Le treizième vendredi de la révolte populaire, deuxième du mois de Ramadhan, a été un grand rendez-vous, à Alger. Les manifestants qui ont prouvé leur détermination la semaine dernière malgré la contrainte du jeûne et le poids de la chaleur sont sortis en grand nombre.
Sous un soleil plus doux cette fois-ci, ils étaient des dizaines de milliers à occuper le centre de la capitale avec cette volonté, renouvelée, de tenir tête au chef de l’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, et d’exprimer leur rejet de l’élection présidentielle programmée pour le 4 juillet prochain.
Comme d’habitude, c’est de la Grande poste, point de chute de tous les animateurs du Hirak, que le premier acte de ce vendredi de révolte devait se jouer. Cependant, le lieu était exceptionnellement occupé par les policiers anti-émeute. Les manifestants, drapeaux flottant et slogans aiguisés, devaient faire résonner les murs de la poste de leurs chants avant de se rendre à la place Audin, autre lieu symbolique de la révolte. Ils ont été surpris de voir des policiers casqués, alignés en bon ordre et déterminés à leur barrer l’accès aux marches de la Grande poste.
La tension n’a pas tardé à monter, et les policiers ont dû utiliser leurs vaporisateurs de gaz lacrymogène pour faire reculer la foule. Un coup de semonce a été tiré, une grenade détonante qui a créé un mouvement de panique dans les rangs des manifestants dont deux ont été légèrement blessés dans la bousculade. Du côté des forces de l’ordre, un policier a été éjecté du haut du toit d’un fourgon, après avoir aspergé la foule avec du lacrymogène. Après ces escarmouches, chaque groupe a repris ses positions, attendant la suite des événements.
Pendant les heures qui ont suivi, la foule a continué à défier les policiers, tentant, par moment, de forcer leurs lignes comme si le bras de fer autour de la Grande poste symbolisait subitement tout le combat mené depuis le 22 février. Lorsque les manifestants ont fini par occuper le lieu, peu avant quinze heures poussant la police à se replier, ce sont des hurlements de triomphe que l’on entendait. Officiellement, pour la police, il y avait risque d’effondrement des marches de la Grande poste sous le poids de la foule, ce qui explique sa fermeture. Aux yeux des manifestants, ce n’était qu’un argument fallacieux et le seul effondrement dont ils voulaient entendre parler était celui du système.
Comme la semaine dernière, le gros des marcheurs est arrivé au centre-ville vers 14 heures, déferlant le long de la rue Didouche Mourad, notamment. D’autres sont arrivés, en flux presque ininterrompus, du côté de la Place du premier. Les slogans de cette semaine n’étaient pas uniquement adressés au chef de l’Etat-major où au système. Les télévisions privées Echourouk et Ennahar étaient particulièrement ciblées, accusés d’être à la solde du système. Une journaliste d’Echourouk News a même reçu un coup de pied avant d’être éloignée par des manifestants.
Ce qui a marqué cette semaine aussi, ce sont les débats improvisés mais souvent houleux entre les détracteurs du chef de l’Etat-major et ses défenseurs. Il suffisait qu’un slogan favorable à Gaïd Salah soit crié pour qu’un groupe se forme et pour que les arguments soient confrontés, à grand renfort de gestes. On crie, les bras grands ouverts, on s’offusque en se tenant la tête, à l’algérienne, dans une sorte d’agora ouverte à tous ceux qui ont des choses à dire. Les débats de rues, une nouveauté née avec le mouvement populaire, donnent la possibilité aux gens de s’exprimer sur l’avenir du pays, sur leur vision de l’Algérie de demain et sur tout ce qui concerne l’actualité politique du moment.
Les débats sont riches, parfois surprenants, ouvrant la voie aux face-à-face les plus improbables entre des personnes d’horizons différents. Et même si, par moment, les échanges donnent l’impression d’être agressifs, les gens s’écoutent. Ce qui est déjà un véritable exploit.