19 eme grande manifestation à Alger : le test d’endurance (Reportage) - Maghreb Emergent

19 eme grande manifestation à Alger : le test d’endurance (Reportage)

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Il était midi et il n’y avait pas encore grand monde à côté de la Grande poste, ce vendredi, 28 juin. A la même heure, une semaine plus tôt,  et au même endroit, les manifestants tourmentaient déjà les policiers occupant en permanence ce lieu devenu symbolique depuis le début de la révolte du 22 février.

 Ce vendredi au cours duquel se préparait la 19eme grande marche du Hirak, à Alger, les premiers manifestants étaient surpris de voir le centre-ville occupé par une véritable armée de policiers. Bien plus nombreuse que les week-ends précédents. Depuis le début de la révolte populaire en Algérie, on n’avait jamais vu une présence policière aussi impressionnante.

Les gens réunis face à la Grande poste n’ont pas souhaité aller au contact des forces de l’ordre. Ils s’étaient mis à l’ombre des arbres, sur les trottoirs, le drapeau sur le dos scrutant les centaines de policiers déployés sur place. A côté des hommes en bleu,  des fourgons prêts à accueillir ceux qui s’approcheraient d’un peu trop près. De fait, de nombreux manifestants ont été interpellés dès le matin et on parlait déjà d’une centaine d’arrestations sans être vraiment sûr du chiffre.   

La rue Didouche Mourad, parcours inévitable des marcheurs, était sous le contrôle des policiers, présents, là aussi, en grand nombre. Leurs véhicules stationnés des deux côtés de la rue la rendait plus étroite et garantissait aux policiers une meilleure maîtrise du flux des manifestants.

A quelques pas de la bouche du métro de la Grande poste, une femme laisse exploser sa colère. D’abord contre les agents qui venaient de lui confisquer la pancarte qu’elle tenait à la main et ensuite contre cette nouvelle façon de faire adoptée par la police. « L’occupant français faisait exactement la même chose en stationnant des véhicules de police en pleine rue», hurla-t-elle. Autour d’elle, les maigres troupes du Hirak étaient entourées de dizaines de policiers prêts à sévir.

Un peu plus loin, à côté du lycée Delacroix, une foule scandait des slogans hostiles au pouvoir et au chef de l’Etat-major de l’armée. Très rapidement, ils sont encerclés par les policiers, les obligeant à rester sur place.  

Vers 13 heures, la rue était entre les mains des forces de l’ordre. Les manifestants, eux, étaient encore peu nombreux et éparpillés. Mais la marche n’avait pas encore débuté officiellement. Les choses sérieuses n’allaient commencer qu’après la prière du vendredi.

Vers 13H55, les premiers drapeaux apparaissent en haut de la rue Didouche Mourad. L’avant-garde venait d’arriver, annonçant l’approche de milliers d’autres manifestants.

Les policiers s’étaient alignés des deux côtés de la rue, à côté de leurs véhicules créant une sorte de couloir menant tout droit vers la Grande poste. Les manifestants, le verbe haut et le drapeau flottant, ont suivi leur parcours habituel sans vraiment prêter attention à la forte présence des policiers.  Pendant quelques instants, les choses avaient l’air de se dérouler normalement, jusqu’au moment où le premier incident se produit. Les policiers repèrent dans la foule un drapeau amazigh arboré par une femme âgée. Ils tentent de le lui arracher. Mais la dame résiste et fini par tomber à terre. La foule s’enflamme et une bousculade s’ensuit. Des insultes fusent, des bouteilles d’eau sont jetées sur les policiers, mais on parvient à calmer les esprits. Pendant les manifestations, aucun drapeau autre que l’emblème national n’est toléré. Un ordre donné par le chef de l’Etat-major de l’armée et mis en application depuis la semaine derrière.

Quelques instants plus tard, deux drapeaux amazighs apparaissent dans le flot des marcheurs. Des policiers foncent dans la foule pour les saisir, une autre bousculade se produit et les manifestants, furieux, scandent des slogans spécialement imaginés pour énerver les policiers. Quelques centaines de manifestants plus tard, un autre drapeau amazigh arrive flottant au-dessus des têtes. Les policiers bondissent sur l’homme qui le porte. Encore une bousculade. Mais au plus fort de l’empoignade, de l’eau commence à tomber du ciel. A grosses gouttes. Pourtant, aucun nuage là-haut. Seul un soleil cuisant.  

Sur son balcon, au sixième étage d’un immeuble, une femme, un tuyau à la main, commence à arroser la foule. Des sourires se dessinent sur les visages des manifestants et des policiers brûlés par le soleil. Les gens, la casquette en l’air,  lèvent les bras en riant, remerciant cette dame généreuse intervenue au bon moment. Il était 14 heures passés, l’heure où le soleil ne connait pas la clémence.

Cette parenthèse se referme quelques minutes plus tard. D’autres drapeaux seront arrachés et d’autres manifestants malmenés. L’emblème palestinien, présent depuis le début du Hirak, a été également ciblé par les policiers. Et au moins une personne a été interpellée pour l’avoir brandie. Dans d’autres cas, le drapeau a été simplement arraché des mains des manifestants.

A la Grande poste, la foule devenait de plus en plus nombreuse. Suffisamment pour se permettre de défier la police. Un manifestant grimpe au sommet d’un réverbère et tente d’accrocher le drapeau amazigh. Les policiers ne tardent pas à agir. Pour faire reculer la foule qui leur fait obstacle, ils utilisent du gaz lacrymogène. Les gens courent dans tous les sens, débordent de la chaussée vers les rues voisines. Le moment de panique passé, quelques manifestants, outrés, vont sermonner les premiers policiers qu’ils croisent leur rappelant la présence d’enfants et de personnes âgées dans la manifestation.

Plus bas, à la rue Amirouche, des marcheurs invitent les policiers à venir avec eux et à les soutenir. Une femme s’arrête pour faire un discours rappelant aux agents surpris par sa verve qu’il n’y a aucun honneur à malmener les femmes et les enfants pendant les marches.

A mesure que le soleil glisse vers l’ouest et que la température baisse, les esprits s’apaisent. Mais la volonté des animateurs du Hirak reste intacte et avec elle un certain esprit de fête. Les manifestants que le gaz  lacrymogène avait dispersés se regroupent à nouveau près de la Grande poste, drapeaux en mains, chantant, scandant leurs slogans, et rappelant qu’ils ne reculeront devant rien pour accélérer la naissance d’une Algérie nouvelle.

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