Vingt- deuxième vendredi de la révolte populaire en Algérie. Une journée chaude et un programme chargé. Marcher pour la liberté, narguer le pouvoir en place et, ensuite, supporter l’équipe nationale à la finale de la coupe d’Afrique des nations étaient les activités du jour. Le football, même s’il a le pouvoir d’occuper les esprits ne devait pas faire oublier l’essentiel, ont martelé, néanmoins, les animateurs du Hirak algérien.
A Alger, sur le terrain, la police a changé de tactique renforçant sa présence, en hommes et en véhicules, au niveau de la Grande poste et, tout près de là, à la rue Abdelkrim Khettabi.
Aux alentours de 10H30 les premiers manifestants qui se sont approchés de l’esplanade de la Grande poste, là où ils ont l’habitude de taquiner les policiers en faction, ont été sommés de s’éloigner. Encore peu nombreux par rapport aux forces de l’ordre, les manifestants ont préféré reculer, cédant l’esplanade de la Grande poste et la rue Abdelkrim Kherttabi à la police. Temporairement, c’est donc à la place Audin que les slogans sont scandés et les pancartes arborées. Quelques manifestants ont préféré, cependant, s’installer sous les arbres et sur les trottoirs non loin de la Grande poste.
Vers 13 heures, les marcheurs chassés de la Grande poste décident de parcourir la rue Didouche Mourad dans un sens puis dans l’autre pour faire entendre leur voix et en attendant le début officiel de la manifestation, prévu avec la fin de la prière du vendredi.
A la Place Audin, alors que les marcheurs font leur va-et-vient une scène déjà vue la semaine dernière se reproduit ce vendredi. Des journalistes d’une chaîne de télévision provoquent la colère de quelques manifestants par des questions jugées hors sujet. « Ce n’est pas le moment de nous poser des questions sur le football. Le football c’est pour après. Là, on est en pleine manifestation », s’insurge un homme qui s’éloigne, furieux, suivi d’un autre. La journaliste portant un maillot de l’équipe nationale insiste malgré tout et veut parler sport. Un manifestant décide de jouer le jeu. « Nous sommes fiers de notre équipe, nous remercions Belmadi et ce que fait notre équipe en ce moment est un prolongement de notre Hirak et de notre lutte pour le changement », dit-il avec le sourire. Il faut dire qu’entre certaines chaînes de télévision et le Hirak, les choses ne se passent pas très bien. Chaque semaine des slogans vengeurs sont scandés à l’adresse de ces chaînes de télé et parfois à la presse dans son ensemble.
Peu avant 14 heures, une foule nombreuse arrive du haut de la rue Didouche Mourad. Les policiers se sont déjà mis en position, à la place Audin, pour canaliser la foule. Une longue rangée d’hommes en uniformes d’un côté de la chaussées et une rangée de véhicules de l’autres. D’autres policiers forment des groupes un peu partout sur le parcours des marcheurs, prêts à intervenir.
Comme la semaine précédente, les manifestants ont répété des slogans en faveur d’un Etat dirigé par des civils, égratignant au passage le chef de l’Etat-major de l’armée et exigeant « l’indépendance du peuple ». Cette semaine non plus, l’ancien Moudjahid Lakhdar Bouregraa, placé en détention provisoire, n’a pas été oublié. Et c’est sa libération immédiate qui est demandée. Le flux des manifestants arrivant depuis la rue Didouche Mourad est discontinu. La foule est loin des records déjà enregistrés les mois précédents. Probablement en raison du verrouillage hebdomadaire de la capitale, notamment ces dernières semaines.
Du côté de la rue Hassiba Benbouali, des centaines de manifestants arrivent en renfort, marchant vers la Grande poste où une multitude de personnes est déjà rassemblée. Peu à peu, la Grande poste devient noire de monde et le terrain occupé par la police n’est plus aussi inaccessible qu’il y a quelques heures. La rue Abdelkrim Khettabi, solidement quadrillé durant la matinée est occupée par des manifestants, drapeaux brandis, sous le regard des éléments des forces de l’ordre. Ces derniers semblaient plutôt détendus tout comme les marcheurs et pratiquement aucun`incident n’est enregistré de toute la journée.
Lorsque la température devient un peu plus clémente, à la rue Didouche Mourad, un groupe de jeunes musiciens attire l’attention en jouant une musique légère et entrainante. Les paroles, elles, sont lourdes de sens. « Vous ne nous ferez pas oublier notre objectif avec le football », disait la chanson. La foule qui entoure les jeunes musiciens devient de plus en plus nombreuse. D’abord curieux, les gens commencent à chanter avec le groupe, alors que quelques-uns font déjà des pas de danse.
A quelques dizaines de mètres de là, un autre groupe de jeunes entourant un véhicule dansait au rythme d’une chanson vantant les mérites de l’équipe nationale de football. Quelqu’un leur rappelle que la manifestation n’était pas encore terminée, mais sans succès. Le match opposant l’Algérie au Sénégal pour la coupe d’Afrique hante les esprits. Et sur les éatals, on vendait depuis le matin, des accessoires rappelant cette rencontre décisive, des maillots de l’équipe nationale surtout.
La manifestation de ce vendredi ne s’est pas terminée comme les autres. Peu avant 18 heures, les rues du centre-ville, au lieu de reprendre leur calme relatif, sont devenues exceptionnellement bruyantes. Le défilé précédant le match, attendu deux heures plus tard, avait déjà commencé. Voitures circulant à toute vitesse, drapeaux au vent et klaxons incessants ont marqué la fin de la manifestation.
La journée se termine par la victoire de l’équipe algérienne et avec elle un espoir qui va bien au-delà des terrains de football.