Dans cette contribution, le Docteur Abderrahmane MEBTOUL*, suggère, à la lumière des évènements tragiques de Ghardaïa et des protestations de In Salah contre l’exploitation du gaz de schiste, d’aller vers une « régionalisation économique ».
Comme j’ai eu à le rappeler en rappelant dans différentes contributions nationales et internationales, largement diffusées entre 2007/2015 afin, de rapprocher l’Etat du citoyen, les tragiques évènements de Ghardaïa , les protestations à In Salah contre l’exploitation du gaz de schiste pose l’urgence d’une manière claire pour nos gouvernants de comprendre le fonctionnement de la société loin des bureaux climatisés et donc sans tabou, d’aller vers la régionalisation économique à ne pas confondre avec l’avatar dangereux du régionalisme. L’objet de cette contribution, en m’en tenant au segment socio-économique, devant être élargie à l’anthropologie culturelle, est de poser cette problématique stratégique inséparable de la bonne gouvernance et de l’efficacité des institutions
1.- La notion de région est elle-même extrêmement variable, la régionalisation pouvant se réaliser au sein du pays ou bien par le regroupement d’un ensemble d’Etats dans une zone géographique particulière ou sur la base d’intérêts ressentis comme communs ce que les économistes qualifient d’intégration régionale. Aussi, la régionalisation peut prendre des formes très différentes selon les pays, allant de la décentralisation au quasi fédéralisme. Je définirai la régionalisation économique comme un mode d’organisation de l’Etat qui confère à la région un rôle et un statut économique propre, caractérisé par une autonomie relative mais non indépendant de l’Etat régulateur central pour les grandes orientations stratégiques tant politiques qu’économiques, cette autonomie étant donc encadrée par l’autorité nationale. Toute régionalisation appelle les questions fondamentales suivantes : compétences des régions ; règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs régionaux ; ressources des régions ; relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs régionaux et enfin concertation entre régions. D’une manière plus générale, la mise en place de la régionalisation doit avoir pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale. Selon les théories régionalistes, la diversité des situations locales impose une diversité de solution pour s’adapter aux conditions locales spécifiques. La régionalisation économique couplée avec une réelle décentralisation supposant une clarté dans l’orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le centre et la périphérie permettrait un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborées. Elle devrait favoriser un nouveau contrat social national afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique et rendre moins coûteux et plus flexible le service public. La création d’un nouvel espace public génèrerait une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Le débat permet l’émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et donc déterminerait des choix collectifs optimaux. Une centralisation à outrance, favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société. Les expériences historiques montrent clairement que si la centralisation a été nécessaire dans une première phase, elle a atteint vite ses limites et que ce sont les pays qui ont développé des décentralisations réelles et non des déconcentrations, synchronisant gouvernance centrale et locale, qui ont le mieux réussi leur développement. Le pays le plus décentralisé au monde ce sont les Etats Unis d’Amérique. Une réorganisation du pouvoir local dont la base est la commune, pour une société plus participative et citoyenne s’impose, réorganisation fonction de la revalorisation de la ressource humaine renvoyant à l’urgence de la révision du statut de la fonction publique. Après la «commune providence » du tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte, que la commune doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à la commune que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement devant se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. Actuellement les présidents d’APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des Walis alors qu’il y a lieu de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire.
2.- Pour l’Algérie, il s’agit de procéder à une autre organisation institutionnelle, qui ne sera efficace que sous réserve d‘objectifs précis Il s’agit, d’opérer un nécessaire changement qui passe par une approche basée sur une identification claire des missions et responsabilités et une restructuration des fonctions et des services chargés de la conduite de toutes les activités administratives, financières, techniques et économiques. Cette organisation institutionnelle implique d’avoir une autre organisation tant des Ministères que des wilayas par des regroupements évitant les micros institutions, l’éparpillement des ministères et également des wilayas étant budgétivores devant être regroupées en adéquation avec ceux des ministères. En 2002, le gouvernement avait déjà élaboré un texte législatif intitulé : «Avant-projet de loi-cadre fixant les règles générales d’organisation et d’administration du territoire.»(1) Une disposition de ce texte concernait justement le découpage territorial en régions étant prévu une circonscription administrative intermédiaire entre l’Etat et la wilaya dénommée la circonscription administrative régionale (CAR)», stipulait l’article 85. Concrètement, cette subdivision territoriale devait disposer d’une sorte de gouvernement, d’une capitale et d’une assemblée faisant office de parlement régional. A sa tête, on retrouvait une sorte de superpréfets dotés de très larges prérogatives avec des walis techniciens sous ses ordres au niveau régional devant aller à la suppression des sous préfectures. Selon l’article 92, il devait être chargé de «coordonner l’activité des administrations et services publics à compétences régionales, notamment les grands services publics, les services extérieurs relevant des administrations centrales». Mais, cet avant-projet de loi fixant les règles d’organisation et d’administration du territoire n’a jamais vu le jour alors qu’il est d’une brûlante actualité afin de s’adapter aux nouvelles mutations. Il convient de prendre le soin de ne pas confondre l’espace géographique avec l’espace économique qui, intègre le temps, l’espace étant conçu comme surface, distance et comme ensemble de lieux. La recomposition du territoire s’inscrit dans un vaste projet inséparable des réformes structurelles à, tous les niveaux en cours. La conception volontariste étatiste de l’aménagement du territoire en Algérie, fondée sur la fameuse théorie des pôles de développement ou de croissance entraînant, a été un leurre et n’a pas eu les effets escomptés. L’aménagement du territoire ne peut être conçu d’une manière autoritaire, interventionniste, conception du passé, mais doit être basé sur la concertation et la participation effective de tous les acteurs sociaux. Il doit dépasser cette vision distributive à l’image des programmes spéciaux mais doit concourir à optimaliser la fonction du bien être collectif. De ce fait, je pense que l’aménagement du territoire plaçant l’homme pensant et créateur au cœur du développent doit réaliser un triple objectif : une société plus équilibrée et plus solidaire, la croissance au service de l’emploi et mettre l’Algérie au cœur du développement du Maghreb et plus globalement de la Méditerranée en favorisant la croissance économique. L’aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu’elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l’espace où elles sont installées. Il ne s’agira pas d’opposer le rural à l’urbain, les métropoles aux provinces, les grandes villes aux petites mais d’organiser leurs solidarités. Pour cela, il s’agira de favoriser une armature aubaine souple à travers les réseaux, la fluidité des échanges, la circulation des hommes et des biens, les infrastructures, les réseaux de communication étant le pilier. Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions. Elle devra forcément se situer dans le cadre d’une stratégie plus globale à travers la création d’une Délégation Nationale à l’Aménagement du Territoire dépendante soit de la présidence de la république ou du premier ministre, incluant la protection de l’environnement, souple dans son organisation, dont le rôle essentiel est la prospective du territoire en évitant le centralisme administratif, l’hégémonie des grandes agglomérations en évitant que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire afin de construire un socle productif sur plus d’individus et davantage d’espace.
3.- L’efficacité de ces mesures d’aménagement du territoire pour favoriser les activités productives, impliquent la refonte des finances locales et des taxes parafiscales sans laquelle la politique d’aménagement du territoire aurait une portée limitée devant s’appuyer sur le système de péréquation entre les régions pauvres et riches et sur une véritable décentralisation qui doit être prise en compte par les pouvoirs publics évitant l’esprit centralisateur jacobin largement dépassé. La structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, ce sont les chambres de commerce régionales qui regrouperaient l’Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche. L’action des chambres de commerce, lieu de concertation mais surtout d’impulsion pour la concrétisation de projets serait quadruple :
a- premièrement, dynamiser les infrastructures de base et préparer des sites confiés à des agences de promotions immobilières publiques et privées ;
b- deuxièmement, mettre à la disposition des sociétés une main-d’œuvre qualifiée grâce à un système de formation performant et évolutif allant des ingénieurs, aux gestionnaires, aux techniciens spécialisés et ce, grâce aux pôles universitaires et des centres de recherche, évitant ce mythe d’une université par wilayas. Exemple la chambre de commerce offrirait un poste pour 10 candidats en formation, les 90 % non retenus ne constituant pas une perte pour la région. L’apprentissage en dynamique est un capital humain pour de futures sociétés qui s’installeraient dans la région, une société installée payant des impôts qui couvriront largement les avances en capital de la formation avancée. Cette formation devra être adaptée pour tenir compte de la norme qualité standard, le label qualité étant exigé pour tout exportateur (y compris le Maghreb) en direction de la CEE, des USA ou de l’Asie. Ainsi, nous assisterons à une symbiose entre l’université et les entreprises. Car les sociétés ont besoin de l’accès aux chercheurs, aux laboratoires pour les tests d’expérimentation et l’université a besoin des sociétés comme support financier et surtout d’améliorer la recherche. Les étudiants vivent ainsi la dialectique entre la théorie et la pratique ;
c- la troisième action est de favoriser des entreprises souples reposant sur la mobilité et les initiatives individuelles. Des tests ont montré que l’initiative personnelle, pour certains produits, permet d’économiser certains équipements (donc d’avoir un amortissement moindre dans la structure des coûts) et de faire passer le processus de sept (7) minutes (420 secondes) à 45 secondes soit une économie de temps de plus de 90 % améliorant la productivité du travail de l’équipe . Ce qu’on qualifie d’équipes auto- dirigées ;
d- La quatrième action, la chambre de commerce intensifierait les courants d’échange à travers différentes expériences entre les régions du pays et l’extérieur et l’élaboration de tableaux de prospectifs régionaux, horizon 2015/2020. La mise à la disposition des futurs investisseurs de toutes les commodités nécessaires ainsi que des prestations de services divers (réseau commercial, loisirs) est fondamentale Cette symbiose entre ces différentes structures et certains segments de la société civile doit aboutir à des analyses prospectives fondamentales, à un tableau de bord d’orientation des futures activités de la région, afin de faciliter la venue des investisseurs.
En résumé, les recherches actuelles à portées opérationnelles montrent que les institutions ont un rôle dans la société, notamment des prix Nobel de sciences économiques montrent que les institutions ont un rôle dans la société, déterminant la structure fondamentale des échanges humains, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques et qu’elles constituent un des facteurs déterminants du développement économique de long terme. Sur le plan opératoire, la version actualisée des indicateurs de gouvernance dans le monde, montre que certains pays progressent rapidement dans le domaine de la gouvernance tout en reconnaissant que les données font aussi apparaître des différences sensibles entre les pays. Les progrès sont en rapport avec les réformes dans les pays où les dirigeants politiques considèrent la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption comme des facteurs indispensables à une croissance durable et partagée.. Cette politique devra s’inscrire dans le cadre de l’espace euro-méditerranéen et africain, qui est l’espace naturel de l’Algérie. Aussi, il s’agit pour les riverains sub‑ sahariens d’imaginer des zones tampons de prospérité, de ne pas voir ces zones sous des angles négatifs d’assistance financière (assistanat) mais en privilégiant le co- développement.
En résumé, , la pleine réussite de ce processus complexe éminemment politique implique de poser le rôle de l’Etat et son articulation avec le marché dans la future stratégie socio- économique ce qui renvoie au mode de gouvernance tant local qu’international. Tirons les leçons de la tragédie des événements récents de Ghardaïa. Il existe un lien dialectique entre sécurité et développement, entendu développement multidimensionnel, à ne pas le circonscrire uniquement à l’Economique, vision bureaucratique matérielle du passé ce qui serait une grave erreur politique. L’on devra impérativement prendre en compte les facteurs sociaux et culturels devant impérativement aller vers une véritable décentralisation en posant la problématique de la régionalisation économique qui favorisera une société plus participative et citoyenne.
(1) – Sous la direction Sbih Missoum « Rapport sur la réforme de l’Etat en Algérie » (2 volumes) présidence de la République diffusion officielle 2002 et Contribution de Abderahmane Mebtoul revue internationale Cafrad/Unesco: « rôle de l’Etat, décentralisation et bonne gouvernance en Algérie » n°71/2008
(*) Docteur Abderrahmane MEBTOUL Professeur d’Université en management stratégique Expert International (contact : [email protected])