Abdelouahab Fersaoui, président du RAJ : « Il est temps de donner au Hirak un horizon politique » - Maghreb Emergent

Abdelouahab Fersaoui, président du RAJ : « Il est temps de donner au Hirak un horizon politique »

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Maghreb Emergent : Au 2e anniversaire du Hirak, quelle est votre appréciation du chemin parcouru par ce mouvement pacifique, depuis le 22 février 2018 ?

Abdelouahab Fersaoui : Le peuple algérien demeure déterminé. Le Hirak est vivant, en dépit de toutes les tentatives de déstabilisation orchestrées par le pouvoir, et visant à le diviser et à le dévier de son principal objectif. La répression, l’emprisonnement des militants, la fermeture de l’espace public, les campagnes de dénigrement menées à l’encontre des militants et des “hirakistes”, l’agenda purement électoral, dont le forcing électoral du 12 décembre et celui du 1er novembre, le Hirak est resté fidèle à ses principes et rivé sur son objectif, à savoir la quête de liberté, de démocratie, et l’instauration d’un Etat démocratique et de droit.

Durant les deux ans de mobilisation, le peuple algérien aura montré son degré d’éveil citoyen et sa maturité politique. Il est pleinement conscient des enjeux actuels ; le changement de régime sous-entend un changement de pratiques, de réflexes, et non pas un changement de façade, fait de limogeages et de désignations à la tête des différentes institutions de l’Etat que le pouvoir a confisquées.

Le pouvoir a tenté de folkloriser la date du 22 février, en usant du terme « célébration ». Le peuple qui répond présent, deux ans après, le 22 février 2018, rétorque, désormais, de manière éloquente à ce même pouvoir, à travers des marche et une mobilisation nationales : « Votre agenda politique et votre approche de gestion purement sécuritaire ont atteint leurs limites. »
Le peuple algérien s’est libéré, il a décidé de prendre son destin en main. Il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, conscient que son combat pour la dignité s’inscrit dans la durée, sur le moyen et long terme. Je suis confiant. Au pouvoir de revoir son agenda et de réviser sa politique. Il se doit de mettre fin à son entêtement et à sa fuite en avant tout en renonçant sa politique du fait accompli.

En poursuivant sa fuite en avant et en s’enfonçant davantage dans l’autisme, le pouvoir risque d’entraîner le pays dans l’abyme. Dans tous les cas, le peuple algérien, ne peut plus, désormais, faire marche arrière.

Qu’en est il de ce 22 février 2021 ?

La journée de ce 22 février est tout simplement réussie et le ton a été donné à partir de Kherrata. La journée est avant tout nationale, à Alger, les citoyens ont pu fouler le pavé en dépit d’un dispositif sécuritaire impressionnant. Le déploiement policier qui a émaillé cette journée, rend compte de la peur qu’éprouve le pouvoir vis-à-vis de la société.

Cependant, ce dispositif n’aura pas dissuadé les algériens de sortir et d’investir les rues de la capitale. C’est leur manière de célébrer le 2e anniversaire du Hirak, lequel ne peut être célébré que dans la rue. Ils réalisent que leur situation n’a pas changé et que les raisons qui ont poussé des millions d’algériens à exprimer leur ras le bol sont toujours là. Pire, la situation se dégrade de plus en plus. L’on a déjà constaté le délitement à tous les niveaux des institutions politiques, les pouvoirs publics ne parvenant pas à gérer correctement les affaires courantes du pays, alors que sur le plan économique aucune vision ne transparaît pour relancer l’économie algérienne.

Sur le plan social, le pouvoir d’achat s’érode inexorablement, la cherté de la vie et le chômage prennent à la gorge la population. Ce tableau a lieu sur fond d’un énorme recul des libertés et des droits de l’homme. L’espace public est fermé et les ingrédients d’une explosion sociale sont plus que jamais réunis. Ce 22 février, le peuple algérien est donc sorti non pour célébrer un anniversaire mais pour réitérer son engagement et sa détermination d’aller jusqu’au bout afin d’amorcer un véritable processus de changement, ce qui diffère complètement de la politique de replâtrage et de libérations sporadiques de détenus.

En fait, je me réjouis de la libération des détenus du Hirak et des détenus d’opinion en général, mais il est primordial de rappeler que ces algériens qui sont jetés en prison de manière arbitraire et illégale n’ont rien fait et sont innocents. Ils sont emprisonnés pour leur opinion, ce qui constitue déjà une atteinte grave à la liberté d’expression, garantie par la constitution et par les différentes conventions ratifiées par l’Algérie. Nous demandons leur libération et leur acquittement, de même que nous exigeons l’arrêt des poursuites judiciaires et des intimidations policières.

Libérer les détenus d’opinion ne donne pas une garantie pour l’avenir. Je rappelle que le 2 janvier 2020, l’actuel Chef de l’Etat, avait libéré en une seule journée, 76 détenus. D’autres personnes ont été arrêtées par la suite et emprisonnées et voilà qu’une année après, l’on retrouve quasiment le même nombre de personnes à avoir été emprisonnées. Ces gestes d’élargissement ne donnent donc aucune garantie pour l’avenir.

L’organisation des élection, idem ! L’agenda électoral a atteint ses limites. L’organisation d’élections anticipées de quelque nature qu’elle soient, dans le contexte actuel, ne constitue pas une solution parce que la crise en Algérie est une crise purement politique dont la solution à ne peut être que politique, notamment à travers l’amorce d’un authentique processus démocratique pour le changement du régime.

Au cours de la dernière année, le « Hirak » s’est focalisé sur la libération des détenus. Finalement, le pouvoir n’a-t-il pas réussi à détourner ce mouvement pacifique de ses revendications initiales ?

Tout-à fait d’accord. Le pouvoir est dans une logique de diversion qui vise à faire de la libération des détenus un objectif du Hirak, alors que les millions d’algériens qui sont sorti dans les rues en février 2019, l’on fait pour une toute autre raison. Sûrement pas pour la libération de détenus…Les arrestations ont été utilisées comme moyen de dissuasion pour faire peur aux militants et aux hirakistes dynamiques et impliqués et ce pour une seule finalité machiavélique : Casser le Hirak.

Cette politique de répression a toutefois donné l’effet inverse, elle a fini par alimenter l’élan de solidarité dans la société et a boosté la mobilisation. La libération des détenus demeure encore une revendication importante mais cette revendication ne doit pas détourner de l’objectif principal du Hirak, à savoir le changement du régime et l’émergence d’une véritable République Démocratique et Sociale. Un Etat civil, de démocratie et de droits de l’homme.

Certains estiment qu’il n’est pas nécessaire de passer par une période de transition pour instaurer cette cité idéale ?

L’on ne peut changer un régime sans passer par une période de transition. C’est un fait. Pour instaurer tout changement, une période de transition s’avère nécessaire, voire indispensable. Celle-ci doit cependant être savamment comprise, en ce sens qu’elle doit être inclusive et reposant sur des mécanismes qui soient l’émanation d’un débat profond et d’un dialogue sérieux dans la société, entre les différents acteurs.

Aujourd’hui, il s’agit de construire une Algérie de tous les algériens. Le Hirak, à l’instar du pays, est traversé par toutes les sensibilités. Le « vivre ensemble » est une constante qui caractérise l’âme du Hirak qui évolue dans le respect de la diversité et de la différence. Deux ans après, le retour des marches est donc important et indispensable, afin de maintenir la pression. Parce que le pouvoir sans pression de la rue ne va pas céder d’un iota. Il n’y a pas, pour le moment, de volonté politique manifeste pour sincèrement écouter les voix du Hirak et ses revendications.

De février 2019 à février mars 2020, le Hirak aura vécu deux étapes. Après ce fut la période de la pandémie, ce qui a conduit à la suspension des marches pour des raisons sanitaires. Ce 2e anniversaire du Hirak sonne la reprise des marches, lesquelles deviennent finalement impérieuses. Elles doivent donc reprendre mais doivent en même temps être accompagnées par des actions politiques. Il s’agit de donner un contenu et un prolongement politique au Hirak et d’essayer de traduire l’aspiration au changement par une vision politique explicite.

Ce travail politique doit être entamé par l’élite et toutes les dynamiques qui existent dans la société. Le Hirak qui a permis l’émergence de nouveaux militants et d’une nouvelle élite peut prétendre à cette ambition. Il faut capitaliser ses acquis et créer des synergies et des jonctions et enfin discuter entre nous afin de conférer au Hirak une « offre politique » un horizon politique. Il est temps que l’alternative émane du Hirak et que l’initiative soit consensuelle pour dégager un projet politique pour une transition. L’élite est interpellée.

Est-ce à dire que le Hirak aura besoin de leaders pour le représenter ?

Le Hirak doit s’organiser, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il aura besoin de représentants. Il y a déjà une dynamique, puisque les universités, les avocats, les partis politiques, la société civile, les journalistes…ont bougé. La dynamique de changement est donc bien là. Bien réelle. Il est donc temps d’échanger et de créer des synergies sans prétendre avoir des leaders ou autres portes parole…Il y a une différence entre structurer le Hirak et organiser le Hirak.

La vision doit être soumise au peuple en tant que dynamique et ce n’est qu’une fois que le peuple aura pris à bras le corps les revendications du Hirak qu’un rapport de force favorable sera crée et que le pouvoir daignera accepter dialoguer et négocier cette période de transition.

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