L’objet de cette présente contribution est de rappeler l’audit que j’ai eu à diriger sur l’emploi et les salaires entre 2007/2008, avec une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de sociologues et de démographes pour le compte du gouvernement(1). A l’époque déjà, j’avais mis en garde contre une dérive salariale, en demandant d’agir avec pondération afin d’éviter le processus inflationniste, qui pénaliserait les catégories les plus vulnérables.
Premièrement, l’audit avait été mis en relief à partir de simulations que l’Algérie a besoin d’un taux de croissance tiré par les segments productifs y compris les nouvelles technologies de 8/9% pendant au moins 5/7 ans pour éviter des remous sociaux et améliorer le pouvoir d’achat des Algériens. Il fallait donc revoir la politique salariale encourageant les créateurs de richesses et non des versements de traitements de rente, souvent sans contreparties productives. Il existe une loi en économie : seule la sphère économique et indirectement comme le postule le PNUD par l’indice du développement humain IRH, la santé et l’éducation contribuent au développement.
Deuxièmement, il avait mis en relief l’importance des transferts sociaux et des subventions pour acheter la paix sociale et avait insisté que cela n’est pas tenable dans le temps ne pouvant distribuer que ce que l’on a préalablement produit, le taux d’inflation officiel étant artificiel. Nous avons préconisé en 2008, un large débat national sur les subventions généralisées, devant être ciblées. Pour éviter une austérité qui toucherait les couches sociales les plus défavorisées, avoir une vision « juste » de la justice sociale, ne pouvant demander des sacrifices aux plus catégories les vulnérables, nous avons préconisé une solidarité collective et une meilleure gestion l’allocation des ressources par des économies de gestion , la lutte contre les surcoûts exorbitants, diminuer le train de vie de l’Etat qui doit donner l’exemple, renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité, l’objectif stratégique étant de lutter contre les inégalités, atténuer le processus inflationniste et relever le niveau de production et de productivité impliquant une nouvelle politique socio-économique axée sur la production et exportation hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales.
Troisièmement, lié au facteur précédent l’étude, l’audit avait mis en relief l’urgence pour une véritable politique salariale cohérente, une vision claire de la répartition du revenu national et du modèle de consommation spécifique par couches sociales afin de favoriser les producteurs de richesses et de lutter, parallèlement grâce à nouvelle politique fiscale ciblée contre une concentration excessive du revenu national, une plus grande citoyenneté se mesurant à la progression de l’impôt direct, l’impôt indirect étant injuste par définition.
Quatrièmement, l’audit préconisait d’améliorer la qualité de l’enseignement, condition de l’accroissement du transfert technologique, managérial et d’accroissement de la productivité globale et ce du primaire au secondaire en passant par la formation professionnelle avec une mise à niveau de la sphère économique qui devra être privilégiée et de l’administration où existent des sureffectifs.
Cinquièmement, partant du constat que le pouvoir d’achat de la majorité des Algériens est en fonction de la rente des hydrocarbures pour une corrélation de 70/80% et que toute réduction des recettes aura pour conséquence, proportionnellement une baisse de son pouvoir d’achat, les réserves de change jouant le rôle transitoire d’antichoc social, l’audit préconisait la rationalisation des choix budgétaires qui devait être une priorité.
Sixièmement, lié au facteur précédent la politique de subventions actuellement généralisée, l’audit avait préconisé de ne plus la faire supporter par les entreprises mais de la budgétiser au niveau du parlement avec une affectation précise et datée par une chambre de compensation, équilibre intra socioprofessionnelle et intra régional aux secteurs inducteurs et les catégories les plus vulnérables afin d’éviter le gaspillage et les fuites hors des frontières.
Septièmement, l’audit avait souligné l’importance de l’adaptation du code du travail algérien aux nouvelles exigences tant locales que mondiales conciliant sécurité et flexibilité grâce à la formation permanente étant appelé en ce XXIe siècle à changer plusieurs fois d’emploi dans notre vie, loin des emplois rentes du passé.
Huitièmement, l’audit préconisait un dialogue économique et social fondée sur des syndicats et associations représentatives pour éviter le divorce Etat-citoyens, loin des syndicats-maison, non représentatif du monde du travail, vivant du transfert de la rente. Le rapport en conclusion sur cette période difficile, rapport élaboré au moment de la crise mondiale de 2008, mais qui n’est pas terminée, sur l’importance des ajustements économiques et sociaux douloureux afin de concilier l’efficacité économique et justice sociale lié à une profonde démocratisation des décisions politiques et économiques, fondement de l’Etat de Droit et d’une nouvelle gouvernance, mais insistait sur les importantes potentialités que recèlent l’Algérie en ressource matérielles mais surtout humaines, nécessitant des stratégies d’adaptation.
En résumé, avec l’abrogation de l’article 87 bis, le risque est l’accélération du processus inflationniste qui favorisera une concentration du revenu national au profit des revenus variables et au détriment des revenus fixes donc salariaux et une lourde répercussion sur le trésor public. Le gouvernement avait déjà évalué l’impact en 2006 à 500 milliards de dinars pour la fonction publique et 44 milliards de de dinars pour les entreprises publiques soit au cours de l’époque 7/8 milliards de dollars annuellement. Entre temps en 2012, certaines catégories ont eu des augmentations de salaires ce qui a permis de relever le plafond de ceux qui percevaient moins de 20.000 dinars par mois. Si on généralisait à tous les salariés (7,5 millions) dont les points indiciaires varient d’une catégorie, l’impact du fait des ondes de chocs avec des effets cumulatifs qui forcément s’en suivront, et ce que l’on oublie pendant toute la durée de l’activité , pourrait aller vers 9/11 milliards de dollars de traitements additionnel annuel horizon 2016/2020. Pour éviter un tel montant, le gouvernement compte appliquer cette mesure dans une première phase à 3 millions de salariés, dont le SMIG est de 18 000 DA, dont 1 million d’entre eux relèvent du secteur privé. L’incidence varierait alors pour ces catégories basses entre 2,5 à 3 milliards de dollars annuellement. Mais ces augmentations pour les basses catégories nivelle par le bas les salaires. Ainsi une femme de ménage qui percevra 20.000 dinars se rapprochera du technicien qui perçoit 25.000/30.000 dinars par mois net. Il faut donc s’attendre à moyen terme à des revendications salariales pour accroître l’écart nécessaire pour ne pas réduire la productivité du travail et cela concerne tant la fonction publique que tout le secteur économique. Ainsi le gouvernement est sur un fil de rasoir avec la chute des recettes de Sonatrach d’environ de 45% du cours es hydrocarbures depuis juin 2014. L’Algérie après 53 années d’indépendance est Sonatrach et Sonatrach est l’Algérie, assimilable à une banque primaire, ayant permis d’engranger plus de 760 milliards de dollars en devises entre 2000/2014 et l’importation en devises de plus de 580 milliards de dollars. Le pouvoir d’achat et des emplois créés des Algériens est corrélé à la rente à plus de 70%. Environ 96/97% d’exportation d’hydrocarbures (3/4% hors hydrocarbures étant constitué de déchets d’hydrocarbures et de métaux ferreux et non ferreux) et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15/20%. Les pouvoirs publics ont-ils tiré les leçons de la chute des cours des hydrocarbures en 1986 avec ses incidences économiques, politiques et sociales de 1988 à 2000 ? Il y va de la sécurité nationale. [email protected]
(1) Le professeur Abderrahmane Mebtoul a dirigé pour le compte du gouvernement algérien un important audit sur l’emploi et les salaires avec une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de sociologues et de démographes, tous experts algériens (2007/2008 -10 volumes 980 pages)