Ahmed Benbitour ne croit pas à la capacité du gouvernement algérien de réduire les dépenses de l’Etat. La « gestion laxiste du budget » est, pour lui, une des constante de l’exécutif algérien depuis de nombreuses années. Il rappelle que le « prix d’équilibre budgétaire est passé de 35 dollars en 2004 à près de 130 dollars en 2013 ».
Le dérapage des dépenses de fonctionnement a été particulièrement sensible au cours des dernières années. « On a été trop loin dans la dépense, trop loin dans le gaspillage des ressources financières », souligne encore l’ancien chef du gouvernement, qui mentionne sur ce chapitre une croissance de « plus de 42 % en 2011 et de nouveau de plus de 22 % en 2012 ». Pour revenir à une situation d’équilibre budgétaire, « il faudrait réduire les dépenses de 40 % d’ici 2017 ». Un objectif impossible à réaliser dans les conditions de la gouvernance actuelle. M. Benbitour est persuadé « la politique actuelle ne permettra pas de faire baisser les dépenses de l’Etat. Elle ne parviendra, dans le meilleur des cas, qu’à réduire leur rythme de croissance ». Une politique placée par la plupart de analystes sous le signe de la recherche de la « paix sociale », mais dont la logique dominante est plutôt, selon l’invité de Radio M, celle de « l’élargissement du cercle des courtisans ». Le résultat le plus probable d’une telle évolution reste toujours l’épuisement probable dans moins de 2 ans des ressources accumulées dans le fonds de régulation des recettes et de très sérieuses difficultés pour boucler le budget de l’Etat dès 2017.
La dépréciation du dinar prépare le retour de l’inflation
Selon l’ancien ministre des finances, la réponse concoctée par les autorités algériennes a reposé surtout au cours des derniers mois sur la manipulation de la valeur de la monnaie nationale. L’exécutif a commencé à exploiter largement le « gisement représenté par la dépréciation du dinar par rapport au dollar ». La gestion de la valeur de la monnaie nationale, dit-il, « relève désormais plus de la politique budgétaire que de la politique monétaire ». Une démarche destinée à « augmenter de façon nominale le niveau de la fiscalité pétrolière et à réduire le niveau du déficit comptable du budget de l’Etat ». Mais il s’agit d’une simple « illusion » pour Ahmed Benbitour qui avertit sur les effets inévitables de cette politique en matière d’accélération de l’inflation et de baisse du pouvoir d’achat de la population algérienne au cours des prochaines années.
Une « petite sécurité de 5 ans » grâce aux réserves de change
Ahmed Benbitour trouve également dans les récents résultats du commerce extérieurs la confirmation des pronostics formulés par lui-même ainsi que de nombreux experts nationaux au cours des dernières années. « Avec des recettes pétrolières probables de l’ordre de 35 milliards de dollars en 2015 et des importations de biens et de services qui sont supérieures à 65 milliards de dollars depuis 2013, on s’achemine vers des déficits considérables. Si on ajoute des transferts légaux de capitaux de l’ordre de 8 milliards de dollars par an, le déficit de la balance des paiements pourrait être supérieur à 30 milliards de dollars cette année. Ce qui, compte tenu du niveau de nos réserves de change nous donne « une petite sécurité de 5 ans».
Un changement complet de système de gouvernance
Pour Ahmed Benbitour, la gouvernance algérienne est aujourd’hui dans l’impasse. Elle croît encore, comme en 1986, au caractère « conjoncturel » de la crise. Les autorités tentent de gagner du temps en comptant sur un retournement du marché pétrolier. Benbitour défend au contraire l’idée que la crise du modèle économique algérien est structurelle. Le pays devait faire face depuis 2006 à une baisse tendancielle de sa production d’hydrocarbure qui a déjà atteint plus de 25% en cumul. Elle se conjugue à une croissance très vive de la consommation énergétique interne qui va laisser de moins en moins de place au surplus exportable. Cette évolution des paramètres internes est aggravée par une déprime durable des marchés pétroliers internationaux qui ne garantiront « dans le meilleur des cas que des prix du baril compris dans une fourchette de 60 à 70 dollars au cours des prochaines années ».
Pour affronter cette crise structurelle le pays a besoin d’un « changement complet de son système gouvernance ». L’« Algérie de l’espoir », c’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage que l’ancien chef de gouvernement de Abdelaziz Bouteflika vient d’achever, qui sera publié dans les prochaines semaines, et dans lequel Benbitour détaille les conditions politiques, économiques, institutionnelles, mais aussi d’« éducation morale et citoyenne » pour une stratégie de réponse à la crise.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1UgVsRT