L’option bancale de la prolongation du mandat de Bouteflika après tripatouillage de la Constitution est tombée à l’eau. Le 5e mandat est remis en selle. Analyse.
Il ne faut sans doute pas compter sur le chef d’Etat-major vice-ministre de la défense, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah pour faire plus respecter la Constitution en 2019 qu’il ne l’a fait en 2014. Si le clan Bouteflika persiste à vouloir maintenir Abdelaziz au poste de président en le présentant comme candidat aux élections présidentielles d’avril prochain, Ahmed Gaïd Salah ne s’y opposera pas, en dépit de l’inconstitutionnalité de cette candidature pour cause d’incapacité.
C’est le sens le plus évident qui ressort de la violente attaque du ministère De la défense nationale (voir communiqué) contre le général à la retraite Ali Ghediri. L’ancien directeur central du personnel de l’armée a invité, dans une tribune de presse, l’homme fort des Tagarins à faire respecter l’ordre constitutionnel menacé par le clan présidentiel afin de maintenir Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays au-delà d’avril 2019. L’attaque, assortie de menaces directes pour non observance d’obligation de réserve pour les officiers de l’ANP à la retraite, reprend des expressions semblables à celles de la lettre du président de la République adressée à la réunion gouvernement-Wali. Objectif assumé, mettre au pas les ambitions des « cercles occultes » pour provoquer une issue au printemps prochain autre que la continuité de Bouteflika. Le chef d’Etat-major, sous pression depuis plusieurs mois, n’a pas apprécié d’être désigné par plusieurs hommes publics comme le dernier rempart contre le projet de maintenir le président Bouteflika à la tête du pays de son vivant.
L’interpellation du général à la retraite Ali Ghediri, partisan d’un renouvellement par le libre suffrage des Algériens du leadership politique à la tête du pays, a, elle, fait perdre la maitrise de ses nerfs, au chef d’Etat-major qui s’est fendu d’une diatribe peu conforme aux canons de la communication officielle en particulier celle d’une institution comme le ministère de la Défense. Il faut bien se résoudre à cette conclusion : Ahmed Gaïd Salah se maintient sur une crête politique délicate.
Il n’a pas envoyé de signaux favorables au projet de toucher à la Constitution pour prolonger le mandat de Bouteflika. Ce qui a contribué à le faire avorter. Dans le même jeu d’équilibre, il ne peut pas se permettre de pencher du côté de ceux qui appellent à tourner la page du Bouteflikisme en permettant aux élections présidentielles d’avril prochain de se tenir sans Abdelaziz Bouteflika. Son communiqué dithyrambique de dimanche dernier donne des gages implicites à la maison des Bouteflika. Est-ce que pour autant le projet insensé de la candidature d’un vieux président souffrant d’incapacité, va obtenir les visas pour se réaliser ?
Le retour au 5e mandat un semi-échec pour Saïd Bouteflika
Le projet de faire élire Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat est depuis quelques jours la base de repli de son frère Saïd. L’idée d’organiser une conférence du consensus national pour amender la Constitution et permettre au président de la République de poursuivre son mandat sans passer par les élections d’avril prochain a brutalement reculé. Faute justement de consensus. Elle était, de l’avis dominant, trop compliquée à réaliser. Dénoncée par plusieurs acteurs de l’opposition (Talaie El Houria, RCD, Mouwatana, etc…), elle a subit une division chez ses propres promoteurs, Abderezak Mokri et Amar Ghoul, poursuivant finalement des agendas légèrement différents, dans cette opération, et n’a manifestement pas trouvé la résonance espérée à la tête de l’armée.
L’option de la révision constitutionnelle d’urgence peut être considérée aujourd’hui comme mort-née et avec elle sans doute la conférence pour le consensus national, sauf à lui donner un autre ordre du jour. Cet échec n’en est cependant pas tout à fait un pour Saïd Bouteflika. Le puissant frère du président est lancé depuis plusieurs mois dans des opérations successives de déblaiement devant son projet visant à tenir la promesse faite à son frère de l’aider à ne jamais avoir à quitter, de son vivant, le poste de président de la République qu’il occupe depuis avril 1999.
Le projet de la révision de la Constitution a obligé l’Etat-major à ouvrir un corridor, en creux, pour le 5emandat, une manière plus soutenable de violer la Constitution qui a déjà emporté l’assentiment de Gaïd Salah après l’AVC présidentiel du 27 avril 2013. La conférence nationale pour le consensus menaçait, en l’absence du DRS dans son fonctionnement de l’ère Toufik, d’échapper à l’influence de l’ANP et de créer une situation ou la succession à Abdelaziz Bouteflika lui soit disputer par le cercle présidentiel actuel et ses clients dans la classe politique et le monde des affaires.
Saïd Bouteflika n’a donc pas tout perdu dans l’impasse de la prolongation et du report des élections d’avril prochain. Il aura réussi sans doute à insinuer, à son corps défendant, que les autres options alternatives au 5e mandat sont encore plus problématiques pour le système. Y compris et surtout celle de choisir un successeur pour défendre les chances de tous face à une opinion désabusée, capable en même temps, de basculer à tout moment dans une réaction imprévisible.
Présidentielles avec Bouteflika, tout n’est pas encore joué
Les gages apportés par Ahmed Gaïd Salah à la maison des Bouteflika dans le communiqué du MDN de dimanche dernier, sont une mauvaise nouvelle pour l’opposition politique.
En menaçant brutalement les expressions d’anciens militaires favorables au changement démocratique, le chef d’Etat-major oblige les partis politiques et les personnalités hostiles au coup de force constitutionnel à chercher ailleurs que chez lui des alliés éventuels pour faire respecter la légalité en avril prochain. De trop nombreux partis de l’opposition se sont montrés timorés durant le mois de décembre lorsque l’option du 5e mandat a paru reculer. Attitude attentiste en quête d’autres scénarios avant de se déterminer.
Si la remise en selle de l’option du 5e mandat, confortée par l’apparition- même pathétique- du président à la cérémonie de signature de la loi de finances pour 2019, le 27 décembre dernier, devait se confirmer les prochains jours, elle obligerait les partis et personnalités de l’opposition à envisager une réaction concertée voir à revenir à la démarche combative initiée à la fin de l’été dernier par Mouwatana.
Il reste encore six à sept semaines pour faire avorter l’annonce d’une candidature de Bouteflika pour un 5e mandat si l’on se réfère à l’annonce de 2014 faite par le Premier ministre (Sellal), le 23 février seulement. Si ce scénario devait tout de même survenir, il provoquerait une dépression de fait pour l’opposition qui devra prendre son parti d’une situation encore plus caricatural, plus outrageuse et plus préjudiciable pour l’image de l’Algérie que celle du printemps 2014, qui a débouché sur un 4e mandat sans président actif.
De nouveaux rebondissements ne sont cependant pas exclus dans les jours et les semaines qui viennent. Première interpellation, comment va réagir le général Ali Ghediri face à la mise en demeure du MDN ? Il peut organiser par son attitude, combative ou de repli, une proto-résistance citoyenne au droit légitime de commenter l’impasse institutionnelle du pays. Seconde inconnue, le renoncement à une conférence pour le consensus national, s’il devait être acté, fermerait en partie la porte à un plan b au cas où l’état de santé de Bouteflika venait à reprendre sa dégradation constatée le 1er novembre et le 27 décembre derniers. En novembre 2018, il était déjà difficile de se mettre d’accord sur un nom pour succéder à Bouteflika, cela risque d’être totalement impossible en février prochain. La candidature de Abdelaziz Bouteflika a pu être perçue comme un moindre tort à la Constitution par le chef d’Etat-major.
Si elle devait s’accomplir, elle serait tout de même un viol public du texte fondamental et des lois qu’il faudra assumer avec un président qui ne parle pas et qui ne peut plus se tenir décemment en public. Rien ne dit que des réactions à l’intérieur de l’ANP – ne vont pas finir par infléchir la position du chef d’Etat-major lorsqu’il faudra avaliser en réalité une non-élection. Dernier paramètre insondable, mais le plus important : les Algériens sont toujours spectateurs de ce feuilleton qui voit les intérêts de leur pays soumis sans états d’âmes à l’exigence capricieuse et égocentrée d’un homme et de son entourage. Il n’est jamais écrit nulle part, qu’ils le resteront dans le contexte de cet hiver, en particulier pour les jeunes d’entre eux, qui pour partie repensent à la Harga comme issue, et qui peuvent toujours faire de leur désespoir d’un moment une brèche incandescente pour changer d’avenir au pays.