La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane (*).
Ahmed Ouyahia a parlé de la conjoncture économique cette semaine. Forcément un mauvais présage. Le secrétaire général par intérim du RND et néanmoins directeur de cabinet à la présidence de la république, a décliné son retour aux sources. Il est politiquement né avec l’exécution du plan d’ajustement du FMI 1995-98.
Il peut faire survivre son destin en vendant sa « compétence » dans la gestion de l’austérité. En dénonçant « le populisme » de ceux qui disent que « tout va bien » alors que la situation est sérieuse, Ahmed Ouyahia a relayé en interne, ce qui se dit dans l’Algérie des élites depuis au moins un an : la conduite par Abdelmalek Sellal de la réponse à la crise budgétaire qui pointe, est elle-même un risque majeur.
Ouyahia l’a présenté comme telle en la comparant à la gestion dilettante de la crise de Chadli Bendjedid du milieu des années 80. « On connaît la suite » a-t-il conclu. Au-delà du discours de vérité aux algériens que propose le patron du RND, il veut suggérer le Ouyahia nouveau : « libérer les initiatives, encourager les investissements du privé et traiter les
«oligarchies » par les impôts ».
En un mot, trois ans après son départ de la tête du gouvernement en septembre 2012, le Ahmed Ouyahia nouveau suggère aux Algériens un CV de chasseur de gaspillage et de facilitateur du business. S’il existe une différence, une seule, d’avec les années Chadli Bendjedid qui ont conduit à l’explosion d’octobre 1988, c’est qu’en 2015, une chronique de la presse, libérée justement par cette explosion, peut évaluer sans concessions « le discours » de Ouyahia.
Que dit donc l’évaluation ? Ahmed Ouyahia, lutteur en chef contre les gaspillages ? Pas sérieux. Après avoir été l’exécuteur de l’ajustement dans les années 90 sous la dictée du FMI, Ouyahia a été l’homme du désajustement sous les injonctions de Bouteflika dont il a été premier ministre durant sept années (mai 2003 à mai 2006 et juin 2008 à septembre 2012).
C’est surtout ce second « mandat », 2008-2012, que Ouyahia s’est distingué en étant l’homme qui aura proposé les deux lois de finances les plus irréalistes (complémentaire pour 2011 et LF 2012). Hausse de plus de 50% du budget de fonctionnement, gonflement des subventions, – avec notamment le bonus huile et sucre décidé comme réponse aux émeutes de janvier 2011 – et reconduite des plans d’assainissement financiers aux EPE déstructurées.
Avec le même zèle – dénoncé en son temps par un superbe livre du regretté Abdelmadjid Bouzidi – qu’il a mis à fermer les entreprises locales sous le protectorat FMI, Ahmed Ouyahia a fonctionné en trader de la famille Bouteflika, achetant pour son compte, de la « paix sociale » à coups de grandes rallonges budgétaires, aujourd’hui insoutenables. Mais savait-il alors que le modèle ne pouvait pas tenir la route plus d’une poignée d’années ? Oui.
Car, autre différence avec les années Chadli, dans l’Algérie de l’après octobre 88 des collectifs libres comme Nabni ont pu, parmi d’autres experts indépendants, faire œuvre utile et alerter dès 2011 sur la fin proche du modèle « courtermiste» de « la croissance sponsorisée » par le budget de l’Etat assis sur la fiscalité pétrolière.
En septembre 2012, lorsque le dernier gouvernement Ouyahia s’en va, les volumes d’exportations des hydrocarbures algériens sont en baisse de plus de 20% depuis 2008. Tout est resté pourtant pareille sur le modèle de consommation énergétique domestique. Ahmed Ouyahia a fait alors comme Abdelmalek Sellal aujourd’hui : ce qu’il appelle du « populisme». Ses décisions de hausses des dépenses sans couvertures à terme sont directement responsables du caractère devenu grave de la crise dont il vient nous prévenir aujourd’hui.
Du point de vue de la conjoncture économique, et pour éclairer l’actualité grecque qui nous parle tant, Ahmed Ouyahia est bel et bien le Kostas Karamanlis algérien, tutelle de Bouteflika en moins. Karamanlis, premier ministre de la Grèce de 2004 à 2009 a creusé les déficits, exploser l’endettement et maquiller les comptes publiques de son pays durant son gouvernement. Au référendum de l’autre semaine il a bien sûr voté oui aux conditions des créanciers européens. « On connaît donc la suite » pour Ahmed Ouyahia face à la prochaine tutelle FMI.
Ahmed Ouyahia ne peut donc pas être l’homme qui combat le gaspillage budgétaire après l’avoir restauré durant 07 années de pouvoir sous Bouteflika. Peut-il être l’homme de la diversification économique qu’il appelle de ses vœux aujourd’hui en défendant l’ouverture au privé y compris aux oligarques ? Là aussi le passif de l’homme est lourd. Blocage du sauvetage des actifs industriels publics avec l’arrêt des privatisations, mise sous tutelle des grands investissements du privé national avec l’institutionnalisation du CNI, Eviction de l’investissement étranger avec le 51-49 et le droit de préemption généralisé, renoncement à la modernisation du secteur financier et à l’essor de la bourse d’Alger, maintient de la jachère foncière industrielle du secteur public défaillant alors que l’investissement privé butte sur la rareté « factice » des assiettes foncières : Ahmed Ouyahia a une solide réputation de tueur de croissance « hors contrôle » directe de l’Etat.
Peut-il s’en affranchir en déclarant – à l’adresse de Louiza Hanoune ? – « vive l’oligarchie algérienne » ? La modernité de Ahmed Ouyahia est d’être un politique quantique. C’est-à-dire en théorie, comme l’élément de Heisenberg, en deux lieux possibles différents. Il est ajusteur puis désajusteur puis candidat ajusteur. Il est éradicateur puis réconciliateur, puis stagiaire éradicateur. Il peut être donc pro-business après avoir été anti-business.
Ou les deux en même temps d’ailleurs, ce qui est le propre de la physique quantique. Pour faire un peu sérieux, cela promet surtout de l’incertitude. Quelles sont les dix mesures urgentes qui pourraient relancer la croissance hors hydrocarbures et hors commandes publiques ? Ahmed Ouyahia, ne se mouillera jamais. D’abord parce qu’on ne lui connaît pas d’idées propres.
Ensuite parce que le prescripteur de programmes de la prochaine décennie est floue : L’armée, Les amis de Bouteflika, Le FMI ou la majorité parlementaire librement élue par les algériens ? A la différence de Kostas Karamanlis, Ahmed Ouyahia peut se mettre encore quelque temps à l’abri du suffrage libre de ses concitoyens. Quelques temps encore.
La Grèce a un pied en dehors de la zone Euro à l’heure ou s’écrit cette chronique. C’est l’Allemagne qui le veut ainsi. La Finlande, la Belgique et la Slovaquie tout autant. Deux critères déterminent la position des gouvernements de l’Eurogroupe vis-à-vis du cas de la Grèce. L’identité de droite ou de gauche de leurs gouvernements, et leur niveau d’exposition au choc que produirait la sortie de la Grèce de la zone Euro. Ainsi, l’Italie veut maintenir la Grèce en dedans de la zone Euro car sa sortie en ferait le premier des maillons faibles face à la spéculation des marchés sur les dettes souveraines en Europe.
L’Espagne aussi serait exposée, mais préfère se taire car son gouvernement de droite ne veut pas gêner le grand ami allemand. La Finlande subit la pression de son opinion, qui pense travailler pour les grecs, la Belgique reproduit hors de chez elle, le schisme intérieur selon lequel les gens du sud – wallons- vivent sur le dos des gens du nord – flamands. Reste la Slovaquie.
Pourquoi autant de hargne à Bratislava contre la restructuration de la dette grecque ? Syndrome fanonien de l’immigré dernier arrivé, qui veut devenir plus blanc que blanc ? Après le gouvernement de droite de la république tchèque qui a soutenu en 2003 l’invasion de l’Irak parce qu’il se sentait menacé par les missiles de Saddam, voilà l’exécutif Slovaque qui a peur de redevenir pauvre si l’Europe vote un 3e plan d’aide à Athènes. Il y a donc pire que Kostas Karamanlis et donc que Ahmed Ouyahia : les gouvernements européens parvenus qui veulent plaire à Berlin.
(*) Article publié sur El Watan du 13 juillet 2015