Dans cette contribution, la militante écologiste algérienne Sabrina Rahmani défend l’idée d’un moratoire sur l’exploitation des gaz de schistes en attendant la mise au point de techniques plus respectueuses de l’environnement que celle de la fracturation hydraulique. Elle appelle à un « débat national sur la politique économique et énergétique de l’Algérie ».
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés,
A l’instar de beaucoup d’Algériens, nous apprenons avec stupéfaction la mise en œuvre en Algérie de l’exploitation des gaz et huiles de schistes par fracturation hydraulique malgré la quasi-unanimité des scientifiques et de nombreux experts nationaux et internationaux quant à la dangerosité de ce procédé.
Il est formellement établi que la technique d’exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique est nocive aussi bien pour les équilibres environnementaux que pour la santé. Les conclusions sur les expériences actuelles dans les pays qui ont fait le choix de l’exploitation des gaz de schiste sont alarmantes, sans omettre le fait que les études épidémiologiques actuellement en cours (essentiellement aux USA) manquent de recul.
Est incriminée la toxicité des produits utilisés dans le fluide de fracturation (agents de soutènement, réducteurs de friction, surfactants, gélifiants, inhibiteurs de corrosion, antimousses…), dont certains sont cancérogènes (benzène, formaldéhyde, naphtalène…), neurotoxiques (aluminium, hexane, acrylamide, toluène, xylène…) ou toxiques pour la reproduction (acide borique, toluène). Certaines substances considérées comme des perturbateurs endocriniens sont également utilisées (phtalates, butoxyéthanol… Est également mentionnée la toxicité de certains éléments naturels remontés en surface par les boues et la difficulté de traiter ces dernières (métaux lourds, produits hautement radioactifs, bactéries anaérobies qui, au contact de l’air, produisent un gaz asphyxiant), en plus de la pollution de l’air et des nappes phréatiques.
Un autre inconvénient et non des moindres : cette technique nécessite l’utilisation de quantités astronomiques d’eau qui, en Algérie, ne pourront être puisées que dans la nappe albienne fossile et non renouvelable. Cette eau pourrait servir au développement d’autres secteurs tels que l’agriculture, le tourisme, pourvoyeurs d’un plus grand nombre de postes de travail pour les populations locales, de façon durable et respectueuse de leur lieu de vie. N’oublions pas que les futures guerres seront celles de l’eau.
Comment expliquer, dans le cadre de relations équilibrées, qu’un pays comme la France tourne le dos (grâce à la mobilisation citoyenne) aux gaz de schistes sur son sol et puisse avoir des ambitions à ce sujet sur le nôtre ? N’oublions pas Reggane, B2 Namous et Haoud Berkane.
Pour finir, il semblerait que l’investissement dans les gaz de schistes soit contre-productif (en dehors de la facture environnementale, non encore évaluée et à la charge des pays cobayes).
En raison de l’importance des hydrocarbures dans l’économie algérienne, de la dépendance presque exclusive de notre économie de cette ressource fossile épuisable, de la nécessité de sortir de la rente, de l’augmentation des besoins nationaux en termes de consommation énergétique, de notre retard technologique, de l’état de vétusté des installations existantes, de la non-maîtrise des coûts d’exploitation et de production, de l’absence de culture d’économie d’énergie, de notre retard à aller vers le mix énergétique et les énergies renouvelables et au vu du « nouvel ordre mondial énergétique », une réflexion large et stratégique s’impose afin d’impulser une véritable vision quant à la politique économique et énergétique de notre pays.
Par devoir citoyen, nous faisons donc l’appel suivant :
– la nécessité d’un moratoire et d’une commission indépendante sur la question de l’exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique, en attendant des process plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité :
– l’urgence de réactiver le Haut conseil à l’énergie et d’impulser un débat national sur l’avenir économique et énergétique de l’Algérie, impliquant tous les acteurs de la société algérienne dans la transparence la plus totale.
L’Algérie est à un tournant décisif de son histoire, celui de la deuxième indépendance, économique celle-là, qui risque d’être compromise par des décisions précipitées et pas assez concertées. Je vous demande donc, au nom de la responsabilité qui est la vôtre et au nom de la raison, de reconsidérer votre décision et d’ouvrir le champ de la réflexion à toutes les bonnes volontés de ce pays, afin de ne pas prendre le risque de mettre l’Algérie en péril.
Il y a nécessité que cet appel soit entendu.