Ce reportage de Nejma Rondeleux du Huffington Post Algérie décrit heure après heure le sit-in tenu par les habitants d’In Salah depuis près d’un mois pour protester contre l’exploitation du gaz de schiste dans la région*.
Ils campent là depuis 24 jours. Hommes et femmes, jeunes, vieux et enfants, tous ceux qui s’opposent au gaz de schiste se retrouvent, à un moment ou un autre, sur cette place du centre-ville d’In Salah, rebaptisée Sahat Essoumoud (Place de la Résistance), le jour où les protestataires y ont élu domicile. Depuis le 1er janvier, elle est devenue le cœur de cette ville de 50.000 habitants, distante de 1.200 km d’Alger. Et le symbole d’une contestation citoyenne unique en Algérie.
Matinal. La journée commence de bonne heure pour les habitants d’In Salah engagés dans le mouvement de protestation anti-gaz de schiste. Dès le lever du jour, vers 6H30, les tentes, éparpillées sur un hectare de cette place du centre-ville située face à la daïra, commencent à s’animer. Pendant que les “manifestants-campeurs ” s’éveillent, leurs compagnons non campeurs affluent progressivement.
9H00: L’installation. Sur la place baignée par le soleil, des groupes d’hommes allongés ça et là échangent les dernières nouvelles. Des haut-parleurs jaillit de la musique. Soudain, un grand gaillard enturbanné d’un chèche bleu foncé interpelle ses camarades en brandissant un sac poubelle. C’est l’heure du ramassage des gobelets et autres petits déchets. Le nettoyage terminé, le même jeune homme se met à dérouler des banderoles. « J’en crée de nouvelles tous les deux, trois jours », précise Ahmed Belkou. A 25 ans, ce cadre d’entreprise pétrolière trilingue s’active de « 6 heures du matin à minuit » dans le mouvement!
9h30: Prises de parole. Véritable agora, la Place de la Résistance, est avant tout un lieu de débat. Matin et après-midi débutent toujours par des discours où chacun(e) prend librement la parole pour exprimer un avis, une recommandation, un encouragement. Les orateurs se succèdent au micro avec discipline. De l’autre côté de la rue, l’auditoire masculin écoute dans un calme exemplaire, applaudissant de temps en temps en signe d’adhésion.
10H30: L’arrivée des femmes. Munies de leur tapis, les femmes d’In Salah, drapées de tissus aux mille couleurs, s’installent en rangs serrés sur le trottoir devant la daïra. L’exercice est rodé. Tous les matins, depuis 25 jours, c’est le même rituel.
12H: Menus travaux. En attendant l’arrivée des lève-tard, quelques hommes bricolent les installations ou s’adonnent au découpage du bois destiné aux feux de camps, installés devant les tentes, sur lesquels bouillent à longueur de journée de grosses théières dorées pleines de thé à la menthe.
12h30: Les marches. Comme tous les jours depuis le 1er janvier 2015, les protestataires défilent dans les rues de la ville au son des slogans anti-gaz de schiste: « Samidoun !Samidoun! », « La lil ghaz sakhri bi In Salah »(non au gaz de schiste à In Salah). Les hommes ouvrent la manifestation. En ce samedi 24 janvier, ils sont près de 500 à marcher côte à côte.
Comme toutes les activités répétées quotidiennement, la marche est très bien organisée: des volontaires munis de gilets jaunes et orange encadrent les manifestants, au-devant, à l’arrière et sur les côtés, pour garder le rythme et les gens rassemblés. La marche des hommes est suivie de près par celle des femmes. Aujourd’hui, elles sont moins nombreuses que d’habitude, précise l’une d’entre elles: « d’habitude, nous sommes entre 500 et 800 mais aujourd’hui, nous sommes plus proches des 300 personnes. »
Pour la manifestation, elles ont imprimé des phrases en arabe sur des feuilles A4 qu’elles brandissent ou apposent sur leur front : « Non au gaz de schiste », « Le peuple veut que le gouvernement nous entende », « On ne laissera pas tomber ». « Parfois, il nous arrive de marcher deux fois par jour, matin et après-midi, notamment quand des femmes des villages à l’entour viennent nous rendre visite », indique dans un français parfait, Fatiha Touni, professeur d’anglais à In Salah. « Le parcours varie chaque jour, il fait en général entre 10 et 15 km ».
14H: Le déjeuner. Après l’effort, le réconfort ! De retour à la Place, les grosses marmites fument déjà sous la khaïma servant de cuisine où une dizaine de femmes, la cinquantaine dépassée pour la plupart, préparent le repas. Ce midi, c’est « macarones ». « Chaque jour, on cuisine un plat différent, il faut trouver de nouvelles idées », précise, tout sourire, Fatima. Pour nourrir toutes ces bouches, près de 150 assiettes et le double de cuillères ont été réquisitionnées de la vaisselle servant habituellement aux mariages.
15H: Repos. La vaisselle lavée, grâce à une énorme citerne d’eau installée près de la khaïma, on se repose en sirotant un verre de thé accompagné de beignets chauds.
17H: Programme du lendemain. Le campement s’anime à nouveau. Sur une butte, un groupe d’hommes s’agglutine autour des orateurs qui ont repris le micro pour donner les dernières informations sur les « négociations » et évoquer l’organisation de la journée du lendemain. Ahmed Belkou a proposé à chacun (e) de venir avec sa carte d’identité « pour rappeler au gouvernement que l’on est Algérien(ne)s ».
17H30: Le vol des cigognes. Pendant que les débats vont bon train, un vol de cinq cigognes retient soudain l’attention de l’auditoire. Des exclamations s’élèvent et des bras se lèvent pour les prendre en photo. « J’y vois un signe positif « , répond Fatiha Touni, interrogée sur le sens d’un tel présage. « Les oiseaux, n’est-ce pas le signe de la vie et de la liberté ? « .
19H: Une nouvelle journée de lutte s’achève. Après la prière du maghreb, les manifestants partagent un plat de « couscous aux oignons et carottes » avant de se séparer jusqu’au…lendemain.