L’organisation de la prière de l’istisqa (invocation de la pluie), vendredi 18 décembre dans toutes les mosquées d’Algérie, à l’initiative du ministère des affaires religieuses, est un signe qui ne trompe pas : la très nette insuffisance des pluies durant l’automne a suscité une vive inquiétude dans le monde agricole. Jusqu’au 21 décembre, début théorique de l’hiver, toutes les régions du pays ont connu un déficit important.
Les régions les mieux arrosées ont enregistré deux journées de pluie, mais partout ailleurs, on a enregistré une seule journée de pluie, parfois moins. Il faut remonter aux années 1960 pour retrouver une saison aussi sèche, selon des fellahs des Hauts Plateaux du centre interrogés par Maghreb Emergent.
La situation risque de perdurer encore une dizaine de jours. Les sites de prévision météo ne prévoient pas de précipitations durant la semaine prochaine. Il est même probable qu’on bascule dans l’année 2016 sans enregistrer de nouvelles pluies. Il faudrait donc des mois de janvier et février exceptionnels pour combler les déficits accumulés.
La sécheresse favorise l’abondance !
La sècheresse s’est accompagnée d’une douceur du climat exceptionnel. Fin décembre, le thermomètre affichait des moyennes supérieures à vingt degrés dans le nord, avec des pics de 24 degrés dans certaines villes. Paradoxalement, ce climat a favorisé une saison exceptionnelle pour les agrumes irrigués. Les produits sont abondants, de bonne qualité, et disponibles à des prix très abordables, même si la désorganisation du marché ne empêche les consommateurs de profiter pleinement de la situation.
La pomme de terre sa saison reste au-dessous du seuil des vingt dinars. Le prix est si bas que les fellahs évitent la cueillette quand ils le peuvent, de peur d’inonder un marché déjà saturé. Mais les plus vulnérables, contraints de financer sur leurs fonds propres la prochaine saison, sont contraints de vendre.
Traditionnellement, c’est la pluie qui régule le marché en cette saison. Dans la plupart des régions, il suffirait qu’il pleuve une bonne journée pour bloquer la récolte pendant une semaine. La rareté qui en découle maintient les prix à flots, à des niveaux acceptables. Pas cette année.
Gagnants et perdants
De plus, les prix risquent de chuter encore à partir de cette semaine pour une raison sans relation avec l’agronomie : les vacances scolaires. En effet, à cause de l’absence de main d’œuvre, la récolte le plus souvent l’œuvre de lycéens et étudiants, qui trouvent là un moyen de se faire de l’argent de poche.
Les perdants de cette situation sont les fellahs. Alor que les frais d’irrigation augmentent, es prix sont orientés à la baisse. Les gagnants, comme toujours, les commerçants, en premier lieu les propriétaires de chambres froides agissant dans le cadre du fameux Syrpalac, système de régulation du marché de la pomme de terre. Ceux-ci achètent le produit entre 15 et vingt dinars en décembre-janvier, et le revendent entre mars et avril au double de son prix. Et si les prix n’augmentent pas, ils ont une rente payée par l’Etat qui distribue des sommes faramineuses sur simple déclaration. Le système a d’ailleurs donné lieu à d’immenses trafics, connus de tous les opérateurs mais jamais sanctionnés.
Inquiétude
Est-ce suffisant pour parle de seuil critique ? Pas encore, affirme un professeur d’agronomie au centre universitaire de Khemis-Miliana. Selon lui, l’urgence, c’est de « sortir des cycles traditionnels », devenus ingérables. « Les céréales non irriguées, l’agriculture dans les zones à stress hydrique, l’irrigation avec utilisation massive d’eau », tout doit être revu de manière rationnelle.
En fait, résume-t-il, comme pour l reste de l’économie, « il y a énormément de gaspillages et de mauvaise gestion ». Le modèle économique de l’agriculture algérienne est obsolète. La situation actuelle, simplement préoccupante, peut devenir critique si les mesures adéquates ne sont pas prises. Les réserves de change n’y changeront rien.