Le Pr Abderrahmane Mebtoul démontre, statistiques mondiales à l’appui, que le développement des exportations de fer et des phosphates ne permettra pas de remplacer les revenus déclinants des exportations d’hydrocarbures. Il invite les médias à ne pas diffuser de « déclarations utopiques » comme celle prétendant que l’Algérie économiserait 30 milliards de $ durant les trois ou quatre années à venir grâce au secteur minier.
Le 27 juillet 2016, une émission de télévision, que je ne nommerai pas ici, m’a profondément choqué. Elle a fait intervenir quelques soi-disant experts qui affirmaient, sans retenue et sans analyse chiffrée, que grâce à l’exportation du phosphate et du fer à l’état brut ou semi-brut, l’Algérie fera face à la baisse du prix du pétrole. Inconscience ou démagogie ? Pourquoi induire en erreur tant l’opinion publique que les décideurs du pays ? On se souvient bien de ceux qui avaient promis au gouvernement un cours de pétrole à 70 dollars US entre janvier et juin 2016 alors que le cours le 27 juillet 2016 a clôturé à 41,88 $ le Wit et 43,84 $ le Brent.
Tant pour le phosphate que pour le fer (brut ou semi-brut), la commercialisation dépend tant des contraintes d’environnement, du management stratégique interne, de la teneur chimique – donc de leur pureté qui détermine le coût d’exploitation et la croissance -, et, enfin, de la croissance de l’économie mondiale.
Le phosphate est un élément clé entrant dans la composition des engrais, qui sont d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale. Le prix mondial du phosphate brut est resté stabilisé autour de 115 $ (en moyenne mensuelle en 2015) la tonne métrique. Selon les prévisions de la Banque mondiale, la tendance générale et à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse : le phosphate brut se négocierait en 2020 autour de 80-85 $ la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 $ la tonne métrique (contre 464$ au mois d’avril 2015) et le TSP à près de 300 $ S la tonne métrique contre 380 aujourd’hui.
Ainsi, si l’on exporte 3 millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen de 100 $/t entre 2017 et 2020, nous aurons un chiffre d’affaires de 300 millions de dollars. Comme dans cette filière les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) avec un minimum de 40%, le profit net serait de 180 millions de dollars. En cas d’association avec un partenaire étranger selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 90 millions de dollars. Pour une exportation annuelle hypothétique en vitesse de croisière de 30 millions de tonnes an – ce qui supposerait de trouver des débouchés et un lourd investissement -, le profit net ne dépasserait pas 1 milliard de dollars. On est loin des profits générés par les hydrocarbures.
Pour accroître le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme. Sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais /urée était vendu à plus de 350 euros la tonne en 2014 et a été coté le 27 juillet 2016 à 270 euros la tonne et le prix de l’ammoniac sur le marché mondial est très volatile pouvant varier ces trois dernières années entre 450 et à 600 euros la tonne, soit entre quatre et cinq fois le brut. Pour une grande quantité exportable, il faut des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme (pas avant 2020 si le projet se réalise en 2016). Et pour une importante quantité exportable, il faut un partenariat du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial.
L’exportation du fer n’est pas non plus une panacée
Pour le fer, les réserves mondiales sont évaluées par les organismes internationaux à 85.000 millions de tonnes (Mt). L’Algérie n’est pas citée dans les statistiques internationales mais selon les données algériennes, ses réserves (gisements exploitables) varient entre 1.500 et 2000 Mt. La production mondiale de fer s’élève 3,32 milliards de tonnes, et de très loin, la Chine est le premier producteur, suivie par l’Australie et le Brésil.
Le prix du fer est fluctuant. Il a été coté le 27 juillet 2016 à 56 $ la tonne métrique. Si l’on s’en tient aux statistiques de l’Union européenne en termes d’importation, les cours ont évolué ainsi : 84,49 euros la tonne métrique en janvier 2009, 116,84 en janvier 2012, 83,77 en janvier 2013, 96,27 en janvier 2014, 63,51 en janvier 2015, 48,23 en janvier 2016. Il est prévu un prix à l’importation entre 50 et 58 euros entre septembre et décembre 2016. La banque canadienne SCOTIA, spécialisée dans l’évolution des cours des matières premières, prévoit, dans une note de conjoncture datée du 6 juillet 2016, un prix international entre 48 et 50 $ la tonne métrique entre 2017 et 2018, tout dépendant de la relance de l’économie de la Chine, dont les aciéries ont absorbé 70 % de la demande mondiale du minerai de fer entre 2014 et 2015.
A un cours de 60 $ la tonne de fer (hypothèse optimiste), pour une exportation brute de 3 millions de tonnes /an, nous aurons un chiffre d’affaires de 180 millions $ dont il faudra retrancher 40% de charges (le coût d’exploitions est très élevé) ; resteraient 108 millions $ à se partager selon la règle des 49/51%, ce qui ferait moins de 55 millions $ pour l’Algérie.
Et même si on exportait 30 millions de tonnes /an, le profit net pour l’Algérie ne dépasserait pas 600 millions $/an.C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, le règlement du problème de l’éloignement des sources d’approvisionnement, des mesures de protection de l’environnement et, surtout, une formation pointue des travailleurs.
Seule la transformation en produits nobles peut donc procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation. Ainsi, le cours de l’acier est très fluctuant et s’établit à 620 $ la tonne le 22 juillet 2016 contre 580 $ la tonne le 19 juillet 2016 et 449 $ pour les douze derniers mois. Il ne faudrait, cependant, pas renouveler les expériences négatives d’El Hadjar, qui, malgré les nombreuses promesses et les assainissements répétées, est toujours en difficulté.
Du fait de la structure oligopolistique de la filière mines, au niveau mondial, la seule solution est un partenariat gagnant/ gagnant avec les firmes de renom qui contrôlent les segments du marché international et qui n’accepteront pas la règle restrictive des 49/51% avec ses lourdeurs bureaucratiques, la souplesse et les décisions du temps réel régissant le commerce international.
Pour conclure, les télévisions algériennes doivent consulter des experts et ne pas diffuser des données biaisées qui induisent en erreur l’opinion publique. Elles doivent avoir un langage de vérité. Elles doivent éviter de diffuser des déclarations utopiques comme celle prétendant que l’Algérie économiserait 30 milliards de $ durant les trois ou quatre années grâce à ses mines, alors que l’économie productive de 2016 est embryonnaire.