Cette contribution* s’étend sur les principales vulnérabilités de l’économie algérienne telles qu’elles se sont manifestées entre 2007 et 2014, ainsi que sur ses perspectives pour 2015-2016.
Avec un territoire de 2,5 millions de km², 39 millions d’habitants au 1er janvier 2015 et 50 millions en 2030 selon les prévisions, l’Algérie a une dette extérieure de moins de 2% du PIB et des réserves de change appréciables. Elle peut éviter le scénario dramatique de l’impact de la chute du cours du pétrole des années 1986 (crise économique, sociale, politique, cessation de paiement et rééchelonnement en 1994). Mais cela suppose qu’existe une volonté politique de profondes réformes structurelles, que permettrait une mobilisation sans faille de tous les acteurs économiques, politiques et sociaux, le but étant – tenant compte de nos différentes sensibilités, en ces moments de grands bouleversements géostratégiques – de rassembler et non de diviser. Le langage de la vérité est l’exigence fondamentale pour surmonter les ajustements économiques et sociaux inévitables entre 2015 et 2020, objet de cette contribution, analysant la période 2007/2014 et les perspectives 2015/2016.
Une croissance qui ne reflète pas l’importance de la dépense publique
L’évolution du PIB à prix courants entre 2007 et 2014 est le suivant selon le Fonds monétaire international (FMI) : 134,3 milliards de dollars en 2007, 170,2 milliards en 2008, 137,2 milliards en 2009, 161,8 milliards en 2010, 199,2 milliards en 2011, 208 milliards en 2012, 209 milliards en 2013, 211 en 2014.
La structure du PIB donne en moyenne à l’agriculture 10%, aux hydrocarbures 31%, aux industries hors hydrocarbures 5%, au BTPH 10%, aux services marchands 22% et aux servies des administrations publiques 18%. En réalité le BTPH, les services marchands et des administrations sont tirés par la dépense publique donnant directement et indirectement plus de 80% du PIB, lui-même tiré par les hydrocarbures.
Une enquête de l’Office national des statistiques (ONS) montre la dominance, dans l’économie algérienne, des micro-unités peu initiées au management stratégique. La sphère informelle, notamment marchande, pèse plus de 50% de la superficie économique et contrôle pour autant la masse monétaire en circulation.
Alors que le FMI tablait sur une croissance de 4,3% en 2014 et de 4,1% en 2015, le PIB nominal (en valeur) devrait tomber à 208 milliards de dollars en 2015, après avoir atteint 211 milliards en 2014. Sa croissance devrait atteindre 3,9% (contre 4% en 2014). Hors hydrocarbures, elle est attendue à 5% (contre 5,5% en 2014), et ce, dans un contexte où les prévisions de croissance mondiale ont été revues à la baisse en raison de risques de stagnation dans les pays développés et des tensions internationales.
Ce faible taux de croissance impacte le marché de l’emploi. Selon la Banque mondiale, les entrées de devises de Sonatrach ont été d’environ 760 milliards de dollars entre 2000 et 2014 et les importations de quelque 575 milliards de dollars – la différence étant les réserves de change actuelles. Le taux de croissance de 3% en moyenne entre 2000-2014 n’est pas proportionnel à l’importance de la dépense publique ; il aurait dû dépasser les 10% influant sur la création d’emplois productifs. C’est que le taux de chômage officiel inclut les sureffectifs dans les administrations, les entreprises publiques, les emplois temporaires à productivité très faible pour ne pas dire nulle (faire et refaire les trottoirs, désherber les rues…) ; 50% de l’emploi sont concentrés dans la sphère informelle. Malgré cela, en référence aux statistiques officielles, selon le FMI, le taux de chômage va encore augmenter en Algérie en 2015 en passant à 11,3%, contre 10,8% en 2014 et 9,8% en 2013, avec des tensions au niveau du marché de l’emploi.
Les services absorbent 60% de la main-d’œuvre
Selon une enquête de l’ONS, la population active en 2014 a atteint 11,5 millions de personnes, dont une population active féminine estimée à 2,078 (18,% de l’ensemble). L’enquête relève que le secteur des services absorbe 60,8% de la main-d’œuvre totale, suivi des BTP (17,8%), de l’industrie (12,6%) et de l’agriculture (8,8%). Cela donne un flux de demande annuelle d’emplois d’environ 250.000.
Ces chiffres sous-estiment la demande féminine, dont le taux d’activité pour l’Algérie aurait été de seulement entre 15 et 17% entre 2000/2014, contre 57% pour la fédération de Russie, 51% pour la France, 56-58% pour les USA, 64% pour la Chine, 26-27% pour le Maroc et 25% pour la Tunisie. En redressant ce taux à une moyenne modeste de 25%, la demande annuelle varierait entre 300.000 et 350.000 demandes d’emplois, qui s’ajouteraient au taux de chômage actuel. Il sera difficile de créer des emplois-rentes à l’infini avec la chute du cours des hydrocarbures ou de donner des taux d’intérêt bonifiés pour les différents programmes d’emploi des jeunes, souvent peu initiés au management stratégique (taux de faillite d’environ 50% après les avantages octroyés), ou pour l’habitat (pour ce dernier secteur, le risque est de créer à l’avenir une bulle immobilière).
Inquiétante baisse de la production physique d’hydrocarbures
L’Algérie étant une économie rentière après plus de 50 années d’indépendance politique, la situation est préoccupante avec la décroissance de la production en volume physique des hydrocarbures, notamment du gaz depuis 2007, que voile la hausse des prix entre 2007 et le premier semestre 2014, encore que les produits raffinés, qui représentent environ 15-20% des exportations, ont une forte valeur ajoutée internationale.
Selon le ministre de l’Energie, la consommation intérieure de gaz entre 2013 et 2014 a été de l’ordre de 35 milliards de mètres cubes, allant, au rythme de la consommation et des prix actuels, vers 75-80 milliards horizon 2030 et un quadruplement horizon 2040, soit 140 milliards de mètres cubes gazeux. En appliquant uniquement un taux de 30% de réinjection, l’on devra produire environ 200 milliards de mètres cubes gazeux uniquement pour la consommation intérieure, rendant l’exportation de 85-100 milliards de mètres cubes gazeux incertaine.
Selon les rapports de Sonatrach, entre le GNL et le GN, les exportations en volume physique ont été de 59,7 milliards de mètres cubes gazeux en 2009 et de 57,3 en 2010. En 2011, l’Algérie a exporté 35,7 en GN et 16,4 milliards en GNL, soit 52,1 milliards ; en 2012, environ 37,3 de GN et 14,5 milliards en GNL, soit au total 51,8 milliards ; en 2013 environ 32,7 en GN et 16,5 milliards en GNL soit 49,2 milliards de mètres cubes gazeux. Pour 2014, nous avons 16,8 milliards de GNL et 27 milliards de GN, soit 43,8 milliards, en baisse de 16,75% par rapport à 2009. Ainsi s’impose, à l’avenir, l’urgence de définir le futur modèle de consommation énergétique, l’énergie étant au cœur de la sécurité nationale de tout pays. L’Algérie doit s’orienter vers un bouquet énergétique (mix énergétique) et privilégier le dialogue contradictoire productif avec la société, personne n’ayant le monopole du nationalisme.
Grosses tensions au niveau de la balance des paiements
Les exportations d’hydrocarbures représentent, les dérivées compris, 97-98% du total des exportations. Elles ont évolué ainsi : 43,937 milliards de dollars en 2005, 53,456 milliards en 2006, 58,831 milliards en 2007, 77,361 milliards en 2008, 44,128 milliards en 2009, 55,527 milliards en 2010, 71,427 milliards en 2011, 69,804 milliards en 2012, 63,752 milliards en 2013 et 58,8 milliards en 2014. Les exportations hors hydrocarbures sont constituées à plus de 50% de dérivées d’hydrocarbures et de déchets ferreux et semi-ferreux. Elles ont fluctué entre 1 et 2 milliards de dollars annuellement entre 2005 et 2014.
La décroissance de la production d’hydrocarbures influe directement sur les quantités exportées et, partant, sur les recettes extérieures. Selon le FMI, en 2015, les exportations sont attendues à 49,8 milliards de dollars, en baisse de 15,4% par rapport à 2014. Ces projections ont été faites sur la base d’un prix moyen du baril optimiste, à 89 dollars en 2015. Or, force est de constater que depuis le second semestre 2014 et jusqu’à janvier-mars 2015, le cours du Brent fluctue entre 54 et 58 dollars et celui du WIT entre 45 et 50 dollars, le prix de cession du gaz étant indexé sur celui du pétrole.
Comme la baisse d’un dollar par baril en moyenne annuelle donne un manque à gagner d’environ 600 millions de dollars, un cours moyen de 60 dollars donnera une recette de Sonatrach d’environ 35 milliards de dollars ; un cours moyen de 55 dollars donnera 32 milliards de dollars de recettes. Cela signifie un profit net de Sonatrach, après la déduction des charges (environ 25%), situé entre 24 et 27 milliards de dollars selon que le cours moyen serait de 55 ou 60 dollars. Or, Sonatrach a programmé plus de 100 milliards de dollars d’investissement entre 2015/2020. Comment les financer et financer le reste de l’économie dans les conditions actuelles du marché pétrolier ? Rappelons ici que l’on peut découvrir des milliers de gisements mais non rentables économiquement au vu des coûts du vecteur prix international et de la concurrence des énergies substituables, dont les nouvelles technologies réduisent les coûts.
(A suivre)
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.