La crise liée au gaz de schiste a connu un premier dérapage, mais elle a surtout révélé un problème d’exercice et de fonctionnement du pouvoir.
A In Salah, l’Algérie a produit plus de gaz lacrymogène que de gaz de schiste. Le dérapage enregistré en début de semaine, après deux mois de contestation contre l’exploitation du gaz de schiste, a sonné la fin d’une étape, celle de la contestation pacifique et bon enfant, pour engager le pays dans une épreuve de force à l’issue très incertaine. Jusque-là festive et conviviale, la protestation s’est durcie, donnant lieu à des affrontements violents, avec blessés et arrestations, selon un engrenage des plus classiques.
Comme souvent, le gouvernement a utilisé les armes qu’il manie le mieux : force brutale et promesse de nouvelles rentes. Le président Bouteflika a promis de nouvelles wilayas déléguées, devenues des wilayas dans la bouche du premier ministre Abdelmalek Sellal, et des promesses sonnantes et trébuchantes ont été distribuées. Dans le même temps, des renforts significatifs de gendarmes étaient envoyés dans le sud.
Mais la démarche du gouvernement n’a pas débouché sur des résultats probants. Non seulement il n’a pas obtenu la fin de la contestation, mais il n’a pas non plus réussi à apaiser les esprits. D’erreur en cafouillage, il a fini par tout perdre. Malgré les moyens de l’Etat, il a été écrasé sur le terrain de la communication par des protestataires qui ont fait preuve d’une grande habileté, utilisant les réseaux sociaux et les TIC, alors que le gouvernement restait enfermé dans la langue de bois et des méthodes d’un autre âge. Il est vrai aussi qu’il est difficile de gagner une bataille de com avec le trio Bouteflika-Sellal-Yousfi. Un attelage aussi improbable perdrait une bataille des mots face à un adversaire muet. « Si j’étais Youcef Yousfi, je finirais par douter des déclarations de M. Yousfi lui-même», a dit un protestataire, pour bien marquer le peu de persuasion dans les propos des officiels.
Doutes
Les protestataires ont réussi à semer le doute au sein de l’opinion, grâce à un mélange d’arguments, tantôt sérieux, tantôt tirés par les cheveux. Entre le manque de rentabilité du gaz de schiste, les produits chimiques utilisés présumés dangereux, les risques de pollution de la nappe phréatique, le gaspillage de l’eau, ils ont fait feu de tout bois, pour amener le citoyen à se poser des questions. C’est de bonne guerre.
Pour bien enfoncer le clou, ils ont fait état d’accords plus ou moins secrets passés avec les compagnies américaines Anadarko et Haliburton, des injonctions plus ou moins feutrées de Total et du gouvernement français, qui imposent l’exploitation du gaz de schiste comme prix à payer pour le quatrième mandat, le tout dans une atmosphère de complot et de manœuvres secrètes, alors que l’ombre de Chakib Khelil et des centaines de millions de dollars détournés plane encore sur Sonatrach.
Tout ceci donne le tournis, et amène naturellement à se dire que tous comptes faits, il vaut mieux renoncer au gaz de schiste ou, au moins, décréter un moratoire en attendant que les choses se tassent. Ceci sans oublier certaines initiatives plus ou moins farfelues, ou dangereuses, comme cette pétition qui demande l’intervention du conseil des droits de l’Homme de l’ONU pour assurer « l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste dans notre pays ».
Mais au final, si les adversaires du gaz e schiste ont remporté une victoire, ils ont gagné par défaut. Ils n’avaient pas d’adversaire. Dans une bataille de com, il est difficile de considérer M. Abdelmalek Sellal comme un adversaire de poids, ou de prendre au sérieux un PDG par intérim de Sonatrach. Pour que M. Saïd Sahnoun puisse devenir audible, il faudrait d’abord que le gouvernement le prenne au sérieux, et en fasse un vrai PDG, pas un intérimaire assis sur un siège éjectable et susceptible d’être viré à tout moment.
Alarmes
Dans toute la littérature qui a accompagné cette affaire, deux textes méritent d’être signalés. Le premier relevait que dans une telle crise, le pays a besoin d’une présence, d’une voix, d’une autorité. Il a besoin d’un président, non de lettres anonymes lues en son nom par des bureaucrates fades, dans une atmosphère de fin de règne. Une manière comme une autre de souligner que le quatrième mandat a plombé le pays, l’empêchant de prendre les décisions, bonnes ou mauvaises.
Le second texte souligne que le ministre de l’Energie Youcef Yousfi n’est plus qualifié pour régler cette crise, à supposer que sa hiérarchie soit en meilleure position. Appelé pour apporter une certaine sérénité après l’épisode Chakib Khelil, M. Yousfi a déjà consommé deux PDG de Sonatrach, et gravement entamé le crédit de son ministère. Sa nouvelle loi sur les hydrocarbures n’a pas donné de résultats probants, sa voix n’est pas audible, ses arguments ne sont pas entendus par les adversaires du gaz de schiste. Visiblement, suggère l’auteur de ce texte, les prochains choix doivent se faire sans lui. Ce qui soulève un autre problème.
Alors que le prix du pétrole connait une chute significative, l’homme chargé du secteur des hydrocarbures se trouve sur un siège éjectable. Le patron de Sonatrach est un intérimaire, qui ne sait même pas s’il sera confirmé ou non à ce poste, en attendant que les vrais centres de pouvoir s’accordent sur le successeur de Abdelhamid Zerguine. C’est donc la force de frappe du secteur des hydrocarbures qui se trouve paralysée aujourd’hui. C’est comme si, au moment de déclarer une guerre, on se rendait compte que le chef de l’armée était en vacances, ou en convalescence. Vu sous cet angle, l’Algérie offre un autre spectacle : le pays ne vit pas un problème de gaz de schiste, mais une crise politique, une crise d’organisation et d’exercice du pouvoir. Le gaz de schiste en est à peine un révélateur, un de plus.