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Algérie – L’obligation de paiement par chèques à compter du 1er juillet 2015 est-elle réaliste ? (opinion)

Par Yacine Temlali
juillet 2, 2015
Algérie – L’obligation de paiement par chèques à compter du 1er juillet 2015 est-elle réaliste ? (opinion)

Pour l’auteur de cette contribution*, « l’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pas pour l’économie et le citoyen mais en tant que pouvoir immobilisant ».  

 

 

Une des mesures prises par le gouvernement allant dans le sens de l’intégration de la sphère informelle dans l’économie formelle est l’obligation, à compter du 01 juillet 2015, de l’utilisation de chèques dans les transactions commerciales égales ou supérieures à 5 millions de dinars pour l’achat de biens immobiliers et à 1 million de dinars pour l’achat de yachts ou bateaux de plaisance, de matériel roulant neufs, d’équipements industriels neufs, de véhicules neufs soumis à immatriculation auprès des concessionnaires automobiles ou autres distributeurs agréés.

La sphère informelle peut être définie comme  la partie de l’économie qui n’est pas régie par des normes légales relevant de l’Etat, et nous devons distinguer la sphère informelle productive, qui crée de la valeur, de la sphère marchande spéculative, qui réalise un transfert de valeur. En Algérie, cette sphère hétérogène contrôle des segments importants de l’économie, utilise de la monnaie fiduciaire (billets de banques) au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance en le système financier. L’Office national des statistiques (ONS) a mis en évidence, suite à une enquête effectuée au second semestre 2009, que la moitié de la population occupée n’était pas affiliée à la Sécurité sociale, soit un taux de 50,4%. 

Le gouvernement, pour rappel, a déjà fait deux fois marche arrière sur cette question. Qu’en sera t-il de cette nouvelle mesure ? Pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place, c’est-à-dire des institutions. L’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pas pour l’économie et le citoyen mais en tant que pouvoir immobilisant. C’est faute d’une compréhension insérant l’informel dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains l’accusent de tous les maux et reposent leurs actions pour l’éliminer sur des mesures strictement pénales.  Or, on ne résout pas les problèmes par des textes juridiques mais en analysant le fonctionnement réel de la société. 

Sans une vision stratégique d’ensemble de sortie de la crise multidimensionnelle que vit l’Algérie, la sphère informelle ne peut que s’étendre et toutes les mesures ponctuelles s’assimileront à du replâtrage, cette  sphère en Algérie étant favorisée par l’instabilité juridique et le manque de visibilité de la politique socio-économique, une économie de marché concurrentielle maîtrisée étant  intimement liée à  l’Etat de droit et à une bonne gouvernance.

Le ministère des Finances a d’autres chantiers prioritaires, et il doit distinguer l’essentiel et l’accessoire. Il doit d’abord résoudre d’autres problèmes fondamentaux comme la refonte bancaire : les banques publiques concentrent encore plus de 85% des crédits octroyés, sont soumises aux injonctions politiques favorisant les pratiques occultes. Deuxième chantier, une profonde réforme des domaines non informatisés, notamment par la délivrance de titres de propriété, dont l’inexistence occasionne d’énormes pertes au Trésor et rend presque impossible la distribution de logements sociaux dans la transparence. Troisième chantier : la refonte du système fiscal, également peu informatisé, le signe d’une plus grande citoyenneté étant le paiement de l’impôt direct supporté actuellement par les revenus salariaux. Quatrième chantier : une profonde réforme des Douanes devant instaurer des réseaux décentralisés, douanes-banques-fiscalité.

Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement, loin des mécanismes transparents et de la concertation sociale, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens.

La lutte contre la sphère informelle ne relève pas fondamentalement de solutions techniques mais d’une décision politique. L’intégration de cette sphère au sein de la sphère formelle ne peut relever d’un seul département ministériel ; il doit impliquer la Présidence, la chefferie du gouvernement, les services de sécurité, et tous les départements ministériels, avec la participation de la société civile.  Le gouvernement algérien a besoin d’actions  coordonnées tant en amont qu’en aval des différents départements ministériels.

Comment exiger les chèques sans s’attaquer à l’essence de la sphère informelle qui renvoie à des considérations politiques et économiques, ce qui passe forcément par le rétablissement de la confiance Etat-citoyens. Pour le cas du carburant, par exemple, il s’agit de s’attaquer aux subventions en les ciblant par une rationalisation et non pas par le rationnement, qui est une action utopique, étant donné qu’il serait coûteux de ficher au niveau de toutes les stations plus de 8 millions d’utilisateurs. 

Il est urgent, si l’on veut éviter le scénario dramatique des impacts de la baisse du cours des hydrocarbures des années 1986,  d’avoir une vision stratégique qui passe par une coordination étroite entre différents départements ministériels grâce à un dialogue économique et social tenant compte de la réalité de la société, composée de nouvelles forces sociales, relais efficaces entre l’Etat le citoyen, et par une planification stratégique à ne pas confondre avec les anciennes méthodes du bloc communiste (les plus grands planificateurs sont actuellement les firmes multinationales).

 

(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management.

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