Dans cette contribution, Abderrahmane Mebtoul* rappelle que 20 dollars le baril de pétrole est, pour l’Algérie, le seuil de rentabilité zéro au-dessous duquel elle exporterait sa production d’hydrocarbures à perte simplement pour honorerai ses engagements internationaux.
La loi de finances pour 2015, pour un cours du baril de pétrole à 60 dollars, avait établi les recettes de Sonatrach à 34 milliards de dollars. Une baisse d’un dollar en moyenne de ce prix devrait occasionner à l’Algérie un manque à gagner de 600 millions de dollars. Après retrait de 20% représentant les coûts, cela donnerait un bénéfice net pour Sonatrach de 27 milliards de dollars de profit net. Ci-après quelques scénarios plausibles, vu la chute du marché mondial des hydrocarbures.
– à 50 dollars le baril, le profit net de Sonatrach se situerait autour de 21 milliards de dollars ;
– à 40 dollars le profit net de Sonatrach se situerait autour de 15 milliards de dollars ;
– à 30 dollars le profit net de Sonatrach se situerait autour de 9 milliards de dollars ;
– à 20 dollars le profit net de Sonatrach se situerait autour de 3 milliards de dollars.
La production pétrolière à court terme est moins gouvernée par le coût du capital initial que par la dépense d’exploitation au comptant par baril (cash cost). Il faut distinguer le court, le moyen et le long terme pour avoir une appréciation objective du coût (on peut découvrir des milliers de gisements non rentables économiquement).
Selon l’Agence américaine pour l’énergie (EIA), l’estimation du coût du baril de pétrole varie entre 5 et 10 dollars pour l’Arabie saoudite et entre 5 et 7 dollars pour l’Irak. Pour les compagnies américaines, celles cotées du secteur pétrolier ont des coûts d’exploitation situés entre 10 et 30 dollars le baril, et ce, grâce aux récentes innovations technologiques. Par contre, pour les 400. 000 anciens puits en fonctionnement, dits strippers, qui contribuent à environ 11% de la production américaine, les frais directs sont en moyenne nettement plus élevés. Pour que les producteurs américains pompent significativement moins, il faudrait que le baril reste autour de 40 dollars selon Goldman Sachs. Il convient de souligner la forte intensité capitalistique des pétroles de schiste, qui nécessitent un nombre de forages très important. A titre d’exemple, il faut environ 300 puits à l’Arabie Saoudite pour produire 11 Mb/j alors qu’il en faut 30.000 pour produire le même volume de pétrole de schiste.
Vers un déficit record de 47 milliards de dollars en 2016
Entre 1 et 20 dollars le baril, nous serions, en Algérie, au seuil de rentabilité zéro et devra être alors être posé le problème des coûts de production. Dans ce cadre, l’on devra distinguer les anciens gisements des nouveaux et, au sein de chacune de ces deux catégories, les grands gisements des petits.
Pour les grands gisements, comme Hassi Messaoud, le coût devrait tourner autour de 10 dollars le baril, et il s’accroît progressivement en fonction de l’épuisement du gisement. Pour les grands gisements nouveaux, du fait de l’amortissement élevé à court terme, le coût peut aller vers les 15 dollars le baril. Pour les petits gisements anciens, il devrait tourner autour de 15 dollars le baril tandis que pour les petits gisements nouveaux, du fait des investissements non amortis, le coût plancher devrait se situer à 20 dollars le baril.
Ainsi, globalement le coût moyen tourne-t-il entre 15 et 20 dollars, un niveau en dessous duquel l’Algérie exporterait à perte, afin de remplir ses engagements internationaux.
La loi de finances pour 2016 a été établie sur la base d’un cours de 98 dinars pour un dollar et d’un cours pétrolier de 37 dollars le baril. Si on applique le cours de la loi de finances pour 2016, les dépenses seront de 79,84 milliards de dollars et les recettes de 47,47 milliards de dollars, soit un déficit de 32,37 milliards de dollars ! Le fonds de régulation de recettes de l’Etat, toujours selon la loi de finances, clôturerait à 18,36 milliards de dollars. S’il n’est pas alimenté il s’épuiserait courant 2017.
Selon le FMI, pour l’année 2014, entre le budget de fonctionnement et le budget d’équipement, l’Algérie fonctionne selon un cours de 110-115 dollars le baril. Grâce au remboursement par anticipation, au 31 décembre 2014, elle avait une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars, et ce, contrairement à 1986, année d’un grand contre-choc pétrolier.
Les réserves de change ont été établies par la Banque d’Algérie, pour les trois premiers trimestres 2015, à 152 milliards de dollars, et elles devaient se situer entre 140 et 145 milliards de dollars au 1er janvier 2016. Or les sorties de devises pour 2014 ont été estimées à 71,3 milliards de dollars pour les biens et services (11,5 milliards de dollars rien que pour les services), montant auquel il faut ajouter 5 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux, ce qui nous donne un total de plus de 76 milliards de dollars. Pour 2015, si l’on retranche environ 7 milliards de dollars, les sorties de devises ont dû se situer à 69 milliards de dollars. Du fait de l’incompressibilité de certaines importations, ces sorites seraient de l’ordre de 61 milliards de dollars.
Il existe une corrélation entre le niveau des réserves de change, elles-mêmes fonction de la rente des hydrocarbures et la cotation du dinar à 70%. La baisse proportionnelle de ces réserves occasionnera une dévaluation rampante du dinar qui pourrait s’établir, au cas où les réserves seraient inférieures à 20 milliards de dollars, à 200 dinars un dollar. Il s’ensuivrait une diminution inéluctable des transferts sociaux et des subventions (environ 27% du PIB en 2014), et donc un processus inflationniste avec un impact négatif sur le pouvoir d’achat des Algériens, notamment un nivellement par le bas des couches moyennes. Le taux de croissance étant irrigué directement et indirectement par la dépense publique via les revenus des hydrocarbures (83% de la superficie économique est constituée de petits services/commerces et le secteur industriel pèse moins de 5% du PIB), bon nombre de projets, notamment d’infrastructures, devront être gelés, accroissant le taux de chômage déjà sous-évalué par les sureffectifs au niveau des administrations et des entreprises publiques.
Vers un gros dérapage du dinar
La baisse du cours des hydrocarbures impacte également le cours du dinar officiel. Le 19 janvier 2016, nous avons 106,805 dinars pour un dollar et 116,995 dinars pour un euro mais sur le marché parallèle, le cours dépasse 180 dinars pour un euro. Ce dérapage du dinar et les anticipations d’une inflation élevée – qui, sans les subventions devrait dépasser les 10% en 2016 – rendent inopérantes les taux d’intérêt bas des banques à terme. Cela explique, en grande partie, selon nos informations, les résultats mitigés de la décision du ministère des Finances d’intégrer les 40% de la masse monétaire en circulation de la sphère informelle au sein de la sphère réelle. Les agents économiques sont rationnels, comme nous l’ont appris les classiques de l’économie, et pour se prémunir contre l’inflation ou la mauvaise monnaie, ils placent leur capital argent dans l’immobilier, l’or ou dans l’achat de devises fortes.
Ce énième échec, après les mesures précédentes (obligation d’utilisation des chèques pour les transactions égales où supérieures à 50.000 puis à 500.000 dinars), était prévisible car on ne s’est pas attaqué à l’essence de la sphère informelle. Lorsqu’un Etat pond des lois qui ne correspondent pas à l’état de la société, accentuant la méfiance, celle-ci enfante ses propres lois (lois informelles) qui lui permettent de fonctionner.
En résumé, face tant aux tensions géostratégiques dans la région et avec la baisse du cours des hydrocarbures qui sera de longue durée, il faut absolument se départir de cette mentalité rentière, qui croit au miracle du retour à un cours entre 80/100 dollars. L’Algérie est à la croisée des chemins. Nous assisterons entre 2016 et 2030 à de parfondes mutations géostratégiques, technologiques et énergétiques et nous ne devons donc jamais raisonner sur un modèle de consommation linéaire du passé.
(*) Professeur des Universités, expert International en management stratégique.