Pour l’auteur de cette contribution*, l’évolution de cette filière dépendant de l’évolution de la consommation d’énergie dans le monde, il y a urgence de penser son implantation en Algérie à un nouveau modèle de consommation énergétique.
Le marché de voitures est un marché oligopolistique (quelques constructeurs face à une multitude de demandeurs). Il est fonction du pouvoir d’achat des consommateurs déterminant la gamme, des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport, notamment le collectif spécifique à chaque pays. Il a connu, depuis la crise d’octobre 2008, d’importants bouleversements, les fusions succédant aux rachats et aux prises de participations diverses.
A l’heure actuelle, les plus grandes multinationales sont General Motors, qui a subi une profonde restructuration, Volkswagen et Nissan/Renault, Chrysler, FIAT, Honda, Mitsubishi et Mazda. Les sept premiers constructeurs mondiaux ont une capacité de production supérieure à quatre millions de véhicules, représentent 61% du marché mondial de l’automobile, suivis des sociétés sud-coréennes Hyundai, Daewoo, Kia, Ssang Young et Samsung qui ont rejoint les rangs des constructeurs indépendants, capables de financer, de concevoir et de produire leurs propres véhicules.
Selon l’observatoire CETELEM, le nombre de voitures nouvellement immatriculés a été de 78,287 millions en 2012, 82,39 millions en 2013, 85,02 en 2014 et 88,08 millions en 2015 et il atteindra plus de 100 millions par an avant 2020. En 2013 les USA ont produit 11.045.902 voitures, la France 1.740.000, l’Allemagne 5.718.222, l’Italie 658.207, l’Espagne 2.163.338, le Japon 9.630.070, la Corée du Sud 4.521.429, la Russie 2.175.311, le Brésil 3.740.418, la Chine 22.116.825, l’Inde 12.765.526. En 2013, l’Europe occidentale des 17 pays a produit 12.765.526 véhicules et au total mondial pour 2012 nous avons eu 81 millions 700.000. La Chine est le premier fabricant mondial, avec 22,8% de la production totale, largement devant les Etats-Unis (12,2%), le Japon (11,8%) et l’Allemagne (6,7%). L’Asie représente 51% de la production automobile mondiale.
Selon Ward’s Auto, en 2010, 1 015 millions de voitures ont été recensées aux quatre coins du monde, contre 980 millions en 2009, dépassant, en 2014, 1,1 milliard. Les experts du Fonds monétaire international (FMI) prévoient un parc mondial de 2,9 milliards de voitures particulières à l’horizon 2050. Cette prospective part de l’hypothèse d’une élévation des revenus des ménages, surtout dans les pays émergents comme la Russie, l’Inde ou la Chine représentant des marchés à fort potentiel pour l’industrie automobile. Ainsi, l’on devrait assister à un renversement de tendance des ratios actuels, où on dénombre 600 voitures pour 1.000 habitants pour l’Union européenne, cette proportion étant de 200 pour 1.000 en Russie et de seulement 27 pour 1.000 en Chine ; au sein du parc automobile mondial, près de 70% seraient dus aux pays actuellement peu motorisés comme la Chine ou l’Inde. Si la Chine se rapprochait de ce taux, il faudrait compter un milliard de voitures supplémentaires avec une quantité astronomique d’émissions de gaz à effet de serre en perspective.
Dans cette perspective, nous devrions voir ce dessiner horizon 2020 des perspectives technologiques tenant compte du nouveau défi écologique (voitures hybrides, électriques ) et du nouveau modèle de consommation énergétique qui se met lentement en place, préfigurant d’importants bouleversements géo stratégiques et économiques, la Chine étant en passe de devenir le leader mondial des voitures propres toutes catégories, profitant ainsi au premier chef des plans de relance « verts » des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.
Quelle est la situation du marché algérien de voitures ?
Le premier constat à faire est que la majorité de la société algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures, dont l’évolution des cours détermine fondamentalement le pouvoir d’achat. C’est que plus de 70% de la population active algérienne touche un revenu moyen inférieur à 40.000/50.000 dinars, certes devant être corrigé par la crise du logement et les transferts sociaux via la rente qui permettent un regroupement des revenus. Que restera-t-il en termes de pouvoir d’achat réel pour acheter une voiture, le crédit à la consommation risquant accroître l’endettement des couches percevant moins de 50.000 dinars par ménage ?
Le deuxième constat est que faute d’unités industrielles spécialisées, la plus grande part des pièces de rechange est importée. Par ailleurs, malgré les restrictions des différentes lois de finances, ce qui montre, avec l’explosion de la facture d’importation entre 2010-2014, les impacts mitigés du passage du Remdoc au Crédoc.
Le troisième constat est une importation massive de véhicules de tourisme, dont la facture s’est élevé à 3,725 en 2013 et à 2,956 milliards de dollars en 2014, le parc auto passant de 2,9 à 5,7 millions de véhicules durant la période de 2000-2013, selon l’ONS, chiffre auquel il faut ajouter les automobiles de transport de marchandises dont la facture d’importation s’est élevée à 2,104 milliards de dollars en 2014, contre 2,225 en 2013. L’année 2014 a enregistré un volume de ventes total de 339.094. Par rapport à 2013, le marché global a enregistré une baisse de 19,65%, véhicules particuliers et véhicules utilitaires ayant enregistré, respectivement, une baisse de 21,62% et -9,98% par rapport à 2013.
La rentabilité financière est une condition essentielle de la survie d’une entreprise. Quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales, aux nouvelles mutations de la filière automobile. Pour tout projet fiable à moyen et long termes, il s’agit de produire au minimum 200.000 à 300.000 unités pour les gammes de large consommation et non pas de produire 15.000 puis 75.000 voitures en misant uniquement sur le marché intérieur algérien, sachant qu’à l’instar de la SNVI, la majorité des inputs seront importés. L’on devra aussi inclure le coût de transport, la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux par rapport aux pays concurrents et donc la productivité du travail qui, selon l’OCDE, est en Algérie une des plus faibles au niveau du Bassin méditerranéen.
Le coût est fonction certes des gammes de voitures, surtout des capacités de production, et la vente fonction de la structuration des revenus et du modèle de consommation par couches sociales. Aussi, toute étude de marché sérieuse, si l’on veut éviter le gaspillage des ressources financières suppose que l’on réponde au moins à ces quelques questions. La première construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l’objectif du management stratégique de toute entreprise devrait être régional, voire mondial du fait que cette filière est internationalisée en sous-segments s’imbriquant au niveau international. La deuxième question est : à quels coûts hors taxes, l’Algérie produira-t-elle cette voiture et en tendance lorsque le dégrèvement tarifaire allant vers zéro selon les accords qui la lie à l’Union européenne sera appliqués et quelle est la valeur ajoutée interne créée par rapport au vecteur prix international (balance devises tenant compte des inputs importés et de l’amortissement tous deux en devises) ? La quatrième question est : quel sera le mode de construction de véhicules et fonctionneront-ils à l’essence, au diesel, au GPL, au GNW (pour les tracteurs, camions, bus) ou bien seront-ils hybrides ou au solaire au terme de la révolution technologique qui s’annonce ? ? La réponse implique d’analyser objectivement la politique des carburants car l’Algérie sera importatrice de pétrole dans moins de 15 ans. La cinquième question, enfin, est : quel sera le prix de cession de ces carburants et la stratégie des réseaux de distribution pour s’adapter à ces mutations technologiques? ?
Qu’en est-il de l’usine Renault Algérie ?
Qu’en est-il de l’usine Renault Algérie comparée à celle du Maroc ? L’usine Renault de Tanger est dédiée à la production des modèles Lodgy et Dokker, de l’emboutissage au montage en passant par la tôlerie et la peinture. Sa production est destinée, en premier lieu, aux marchés émergents. Profitant du bas cout de la main-d’œuvre, elle pourrait créer 6.000 emplois directs et 30.000 indirects dans le nord du Maroc, la structure du coût du projet selon différentes sources étant évaluée environ à 1,1 milliard d’euros engagés en 2 tranches. Sa capacité de production annuelle initiale, de 170.000 unités, devrait rapidement atteindre 400.000 par an grâce à la mise en service d’une 2e ligne de montage.
Un deuxième constructeur français Peugeot SPA vient de signer un accord d’implantation d’une unité d’assemblage à Kénitra, au nord de Rabat, la production devant démarrer en 2020, pour un investissement total de 557 millions d’euros. Selon le protocole d’accord, l’usine commencera dès 2020 par 90.000 véhicules et 90.000 moteurs, avant d’atteindre la capacité de croisière de 200.000 unités/an dès 2023. Ces voitures seront exportées vers toute la zone Afrique-Moyen-Orient par le port en eaux profondes qui sera construirait d’ici la fin de la décennie à Kenitra.
Dans le cadre de la règle 49/51% (l’Etat algérien est majoritaire dans la joint-venture), l’usine de Renault Algérie produira notamment la Renault Symbol, un modèle dérivé de la dernière Logan sans aucune perspective d’exportation en direction de l’étranger. Concernant le coût de l’investissement, au départ, il y a eu une véritable cacophonie. L’ex-ministre de l’Investissement avait donné un montant de 1,1 milliard d’euros alors qu’une source proche de Renault avait indiqué à l’AFP que l’investissement initial était de 50 millions d’euros, générant au départ 300 emplois directs et 500 indirects. Avant la chute du cours du pétrole, certaines sources avaient annoncé horizon 2020 un investissement global cumulé (dinars et devises) d’environ 800 millions d’euros, sans préciser l’apport de la partie française. Il est entendu qu’il n’est pas question que Renaul/Algérie, entité commerciale autonome, responsable devant ses actionnaires pour leurs dividendes, supporte les surcoûts car, en France, existe une opposition et une transparence des comptes et que c’est la rentabilité économique qui doit primer.
Pendant la période d’exonérations fiscales et d’avantages accordés par le gouvernement algérien via l’agence l’ANDI, l’unité pourrait tenir face à ses concurrents. Mais aussitôt les avantages arrivés à terme, elle devra rembourser ses emprunts et payer ses charges fiscales, et ce, dans le cadre de la règle 49/51%. A ce moment-là elle ne pourra être rentable avec une capacité si faible, à moins que l’Algérie supporte les surcoûts.
Par ailleurs le taux d’intégration souhaitable à terme devrait être au maximum de 50% (nous devons être réaliste car il n’existe nulle part une firme avec une intégration de 100%), et ce, grâce à la sous-traitance par des réseaux décentralisés afin de rendre les coûts compétitifs. Le taux d’intégration de 42% souhaité par l’Algérie (actuellement, il est d’environ 15%) ne sera effectif qu’au bout d’une certaine période. Aussi, les négociations entre Renault et l’Etat algérien doivent porter également sur le transfert technologique et managérial, une « colocalisation » définie comme un partage de la valeur ajoutée entre la France et l’Algérie.
Pour Renault Algérie, la capacité de départ prévue est de 15.000 unités/an devant passer à 25.000/an puis à 40.000/an et à 75.000/an horizon 2020, avec des perspectives d’exportation selon les responsables de Renault Algérie. Cette capacité permettra-elle d’être compétitif ? La question se pose.
En résumé, face à la concurrence internationale, à une industrie qui devrait connaître de profonds bouleversements technologiques (cela s’applique à l’ensemble des constructions camions, tracteurs, voitures de tourisme),laconstruction d’unités de véhicules en Algérie, pour sa pérennité, doit tenir compte de sa rentabilité économique.
Mais évitons la sinistrose : nous pouvons tolérer transitoirement de supporterle coût de l’apprentissage pour le transfert technologique et managérial afin de densifier le tissu productif. Dans le cas contraire, c’est à un suicide économique que l’on devrait assister, la rente pétro-gazière étant destinée à s’épuiser et l’Algérie, entre 2015 et 2025, avec la baisse du cours des hydrocarbures et la pression démographique, devant connaître de grosses contraintes de financement.
Il faut impérativement insérer la stratégie industrielle au sein de sous-segments de filières internationalisées où l’Algérie peut avoir des avantages comparatifs en termes de qualité/coût. Ce segment étant intimement lié à la stratégie énergétique, il y a urgence de penser à un nouveau modèle de consommation énergétique. L’Energie doit être au cœur de la sécurité nationale. Selon les prévisions tenant compte de la forte consommation intérieure et des exportations, à moins de découvertes substantielles, les réserves de pétrole et de gaz traditionnel en Algérie devraient s’épuiser horizon 2030.
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management.