Partant de l’éviction du chef du DRS et de la « mésentente » entre le gouvernement et le puissant homme d’affaires Issad Rebrab, Ahmed Henni* revient sur les relations du pouvoir politique au privé algérien depuis l’indépendance. La mise à l’écart du général Mohamed Mediene serait l’indice de l’éclatement définitif du « comité de gestion » informel qui gérait les ressources du pays depuis 1962. Le renforcement du pouvoir présidentiel serait, lui, le signe de la progression d’un courant favorable à un contrôle plus individualisé de ces ressources. Comme en 1979, lors de la crise de succession qui suivi la mort de Houari Boumediene, ce courant, est représenté par… Abdelaziz Bouteflika**.
La rébellion inattendue de l’homme d’affaires le plus riche d’Algérie, M. Rebrab, président du groupe Cevital, clôt une longue phase du cycle politique ouvert en Algérie par les « événements » d’octobre 1988. La crise ouverte par cette intrusion d’un « rentier », ayant depuis toujours bénéficié des signatures et autorisations lucratives à l’origine de son accumulation primitive (importation d’acier, par exemple), montre que les déterminants du pouvoir en Algérie ont glissé d’un système de contrôle collectif vers des appétits de contrôle individuel de plus en plus ouvertement affirmés.
La fissure ouverte en 1988, avec l’éviction d’anciens combattants influents, avait déjà montré que l’Algérie entrait dans une période de transition devant conduire le système de pouvoir vers l’abandon du contrôle collectif des anciens combattants sur les ressources de la nation et l’aménagement de voies ouvrant l’opportunité à des modes de contrôle et d’appropriation individuels des ressources. Il est significatif de constater que l’émergence d’un homme d’affaires dans le débat politique soit concomitante au retrait du chef de la sécurité militaire, l’un des garants du système de contrôle collectif. Ou bien, est-ce ce retrait qui a encouragé le ministre de l’Industrie à refuser une autorisation d’importation à M. Rebrab ?
Si l’on admet que, par sa haute main sur le contrôle politique de l’enrichissement individuel et des ambitions politiques, le général écarté disposait d’une place centrale dans le dispositif de contrôle collectif des ressources, on peut supposer que son départ traduit un succès des partisans d’un contrôle individuel plus affirmé sur ces ressources. Un indice de leur offensive terminale contre les tenants encore debout du système politico-militaro-sécuritaire de contrôle collectif avait été fourni, en 2014, par la « rébellion » précédente du secrétaire général du parti FLN contre ce même général, accusé de vouloir diriger l’État, de s’opposer à l’instauration d’un « État civil » et de « s’immiscer » dans les affaires politiques du pays. En bref, de brider les ambitions individuelles.
La transition amorcée en 1988 vers un système de contrôle individuel sur les ressources n’est garantie que si ses partisans peuvent s’assurer une légitimité par le suffrage universel. Or, tel n’était pas le cas. Les hommes d’affaires algériens ont-ils décidé aujourd’hui de sauter ce pas ?
Les partisans du contrôle individuel, écartés à l’indépendance en 1962, ont dû d’abord subir l’hégémonie des tenants du contrôle collectif puis, dans une deuxième phase, ils ont tenté de créer leur propre réseau de production de suffrages en essayant, à la faveur des événements d’octobre 1988, de détruire l’appareil FLN (confiscation de locaux, de journaux, institution de délégations spéciales administratives dans les municipalités, encouragement du syndicat national UGTA à se détacher du FLN et à s’y opposer) pour y substituer une myriade de partis avec ou sans substance, supports préalables à l’expression d’ambitions individuelles échappant au contrôle collectif des anciens combattants.
Depuis 1962, un « comité de gestion » occulte gérait les ressources nationales
Lorsqu’en 1962, le Front de libération nationale algérien prend le pouvoir – dans des conditions internationales qu’il reste à éclaircir –, il lance le slogan significatif « Un seul héros, le peuple ! ». Cette stratégie visait à couper toute voie aux éventuels destins individuels construits par la force ou produits par un suffrage universel pluraliste. La direction du Front était un amalgame hétéroclite placé rapidement sous l’hégémonie d’officiers issus souvent de milieux populaires. Ceux-ci n’avaient pas les moyens de se construire économiquement ou politiquement un destin individuel. Ils le feront collectivement par la force. Ils aménageront de ce fait un système de pouvoir articulé autour d’un « comité de gestion » politique chargé d’assurer un contrôle collectif sur les ressources de la nation. Le chef de l’exécutif en titre ne jouit que d’une délégation de pouvoir (une wilaya en droit constitutionnel musulman) de ce « comité de gestion ». Il est dès lors nécessairement un ancien combattant coopté par ses pairs. Ce premier critère n’a pas varié depuis. Le président est un wali, au centre d’une résultante de forces sociales qu’il contribue à pacifier ; ici, grâce au pétrole, par une redistribution rentière.
La politique socialiste, conjuguée aux abondantes ressources pétrolières apparues à partir de 1965, a permis aussi bien de légitimer ce contrôle collectif que de l’accompagner de moyens matériels assurant une large redistribution à une population neutralisée et adhérente à ce mode collectif. Le socialisme a, d’un autre côté, annihilé toute velléité de production de destins politiques individuels par le jeu du marché. L’enrichissement individuel fut toléré mais uniquement dans le cadre des limites permises par la reproduction du contrôle collectif sur l’ensemble des ressources. C’est ce que j’appelle une première phase d’alliance où les hommes d’affaires participent, sans décider, au partage collectif et réalisent une accumulation primitive individuelle, mais bridée, sous le contrôle du « comité de gestion ».
Cette alliance contradictoire ne manqua pas de susciter au fil du temps des oppositions au sein du comité de gestion lui-même. Les partisans des ambitions et de l’accumulation individuelle furent toujours minoritaires, ne recueillant pas l’adhésion de l’ensemble et rapidement écartés. Dès la fin des années 1960, des ambitions de contrôle individuel apparaissent sous la forme de propositions de libéralisation économique considérées comme anti-socialistes et rejetées par la majorité des anciens combattants. On ne comprendrait pas autrement l’éviction aisée de M. Kaïd Ahmed, ex-commandant Slimane et artisan principal de l’ascension du colonel Boumediene lors du conflit opposant l’État-major général de l’Armée de libération nationale (ALN) au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de Tunis. Ajoutons que la redistribution de la rente pétrolière sous la forme d’une salarisation généralisée d’une population en mal de millénarisme dans la consommation a toujours permis de faire pencher la balance en faveur des partisans du contrôle collectif.
La Constitution de Boumedine : une première autonomisation du pouvoir présidentiel
Ce système n’avait pas besoin de suffrages pour se légitimer et se reproduire. Il connut sa première crise grave lorsqu’à la faveur de la suppression du Conseil de la Révolution et de la normalisation de 1976, le colonel Boumediene quitta son statut de premier parmi ses pairs et octroya une Constitution le légitimant comme président par le suffrage universel. Il maintenait, cependant, un contrôle collectif sur les ressources. Pour ce retour au suffrage universel, il a fallu se doter d’une machine électorale et créer un champ politique civil en réanimant le parti unique qu’on avait mis au congélateur dix ans plus tôt. Le FLN actuel trouve à cette date son origine. Le président, commandant l’armée, en fut constitutionnellement le chef. Cet investissement du champ civil par le militaire permit au colonel Boumediene de trouver de nouvelles ressources sur lesquelles s’appuyer et de se « libérer » de la tutelle du « comité de gestion » (anciens combattants).
Houari Boumediene changea de statut, et de wali délégataire du Conseil de la Révolution, il devint président des Algériens. Une voie, étroite, certes, était ouverte à la production de destins individuels. Ceux-ci devaient s’appuyer cependant sur la formalité du suffrage universel. Un deuxième critère vint s’ajouter au mode de désignation du président: l’élection, même formelle, par le peuple. On aura compris que, de ce fait, la production par le système de pouvoir d’un président en soit devenue plus complexe: trouver un ancien combattant mais qui, formellement, recueille l’adhésion du suffrage universel.
Le président élu, monopolisant les signatures et autorisations, reproduit le système de contrôle collectif par une redistribution qui arrose, sous forme de pensions et autres prébendes, la couche des anciens combattants, neutralise les forces sociales par une salarisation généralisée et du pain subventionné à bon marché et, enfin, autorise, par le fait de la signature du prince, l’enrichissement sélectif d’hommes d’affaires. Il s’appuie, pour ce faire, sur son ministre de l’Industrie, M. Belaïd Abdeslam, qui, tout en hissant haut le drapeau du contrôle collectif, distribue discrètement, dans un marché fermé, de lucratives licences d’importation à des hommes d’affaires choisis par lui. Ce type de redistribution est cependant limité. Les directeurs d’entreprises publiques, insérés dans le système de contrôle collectif, veillent, en effet, à neutraliser les ambitions individuelles des hommes d’affaires. D’un autre côté, la police politique comptabilisait l’enrichissement, mieux que le fisc, et dissuadait les ambitions politiques individuelles.
Un lucratif investissement : les postes à « signature autorisante »
La disparition prématurée du colonel Boumediene, si elle redonna au « comité de gestion » un pouvoir collectif de décision, n’en limita pas moins sa marge de manœuvre. À ce moment déjà, fin 1978, il ne fut pas aisé de désigner un candidat à la succession. M. Bouteflika (un ex-commandant de l’ALN) fut déjà cité. Il ne fut pas retenu, accusé à l’époque d’être plus « libéral » que son concurrent, le colonel Yahyaoui, autrement dit d’être beaucoup plus favorable à un relâchement du contrôle collectif. On peut dès lors légitimement s’interroger pourquoi le « comité de gestion » l’a adoubé en 1998. Est-ce la composition du comité qui a changé ? Est-ce qu’une division existait au sein de ce comité traduisant la présence de deux groupes ? L’un, ancien, tenant encore au contrôle collectif et qui n’aurait eu aucune raison de donner l’onction à ce candidat déjà refusé par le passé, l’autre, nouveau, partisan de l’instauration d’un contrôle individualisé plus poussé sur les ressources mais qui ne trouve pas sur place d’ancien combattant idoine et va chercher M. Bouteflika dans son exil, espérant, sans doute, utiliser cette candidature et les inimitiés datant de 1978 pour neutraliser le groupe ancien ? C’est cette deuxième hypothèse qu’il conviendrait, semble-t-il, d’examiner. Mais, de ce fait, une question surgit: comment le comité de gestion a-t-il pu changer à ce point de composition et pourquoi ?
Il faut ici remarquer que la dynamique sociologique des alliances d’affaires et matrimoniales avait déjà vermoulu l’édifice. Des mariages ciblés et des associations d’affaires avaient permis aux hommes d’affaires d’attirer à eux des anciens combattants ou leurs enfants ou des cadres du FLN, de l’administration et des entreprises publiques. L’investissement dans des postes à signature autorisante s’avérait être très lucratif et intensifiait l’accumulation de capitaux privés. D’autres alliances avaient permis à certains réseaux maraboutiques de reprendre de l’ascendant. On pouvait déjà, en 1979, en observer les effets puisque la belle famille du nouveau président, M. Chadli, en était. L’un des enfants sera préfet de département.
Lorsqu’en 1979 le colonel Chadli succède au colonel Boumediene, il tire la leçon des difficultés ayant conduit à sa cooptation. Il accélère la constitution d’un appareil civil sur lequel s’appuyer électoralement. Mais, M. Chérif Messaadiya, qui s’attellera à cette tâche et fera du FLN un appareil tentaculaire et hégémonique, affichera une ferme adhésion au système de contrôle collectif, entravant de ce fait la dynamique des ambitions individuelles. Ces structures furent des leviers de contrôle du champ civil autrement plus efficaces que la simple répression de l’ombre. L’apparition d’appareils civils puissants encadrant la société (partis, syndicats, entreprises publiques, administrations, collectivités locales multipliées) et la nourrissant de rente, si elle a permis à M. Chadli d’évincer un certain nombre d’anciens et de tenter de se produire un destin individuel en « neutralisant » un commandement militaire par éviction des anciens combattants de la première heure et en les remplaçant par des « nouveaux » tout acquis à lui, l’a, en même temps, enferré dans une contradiction intenable: tenant son pouvoir des anciens, voilà qu’il les neutralise.
L’échec de la solution islamiste à la crise de contrôle des ressources nationales
Dans le même temps, le président Chadli fait adopter un Code des investissements plus favorable aux capitaux privés. Ces antagonismes, aiguisés par la crise des paiements de 1986, conduisent en 1988 à un compromis : autonomisation du pouvoir présidentiel, retrait des anciens mais, en contrepartie, maintien d’un contrôle collectif ouvert chargé de contenir sans l’ostraciser la dynamique du contrôle individuel (parenthèse des « réformateurs »). Cependant, malgré leur volonté d’ouverture et l’avancée vers une démocratie pluraliste et une société de marché régulé, les réformateurs furent jugés trop réticents à l’abandon du contrôle collectif et considérés comme un frein à la marche vers un contrôle individuel des ressources plus affirmé. Ils furent neutralisés par un coup d’État en juin 1991.
M. Chadli ne semble pas avoir fait un dogme de l’identification du contrôle collectif à un contrôle centralisé. Il a plutôt décentralisé le contrôle collectif des « petites affaires » ne laissant au centre que le contrôle collectif des « grandes affaires ». Cette décentralisation des « petites affaires » pouvait durer et occuper la population tant que la rente pétrolière en irriguait les canaux. Mais, lorsqu’en 1986 le prix du baril de brut chute à 10 dollars, ces canaux s’assèchent. Faut-il dès lors les alimenter par les ressources réservées aux grandes affaires ou laisser la population se débrouiller par elle-même ? D’où le projet contradictoire: maintien du contrôle collectif au centre et « autonomisation » des entités décentralisées (assimilée à tort à un libéralisme). En résumé, tout d’un coup le gâteau n’était plus suffisant pour tout le monde.
Simultanément, s’étaient mises en mouvement de puissantes forces sociales encadrées par le Front islamique du salut (FIS). Celui-ci aspirait aussi bien à remplacer les anciens combattants dans le système de contrôle collectif qu’à libéraliser l’économie et encourager l’accumulation individuelle de capitaux marchands. Cela ne réjouissait ni le comité de gestion opposé à toute alternance politique ni les anciens combattants ni les cadres du secteur public, affaiblis mais attachés au système de contrôle collectif, ni les hommes d’affaires installés, partisans d’un contrôle individuel, mais dépendant encore de signatures et les voulant à leur seul bénéfice.
Deux offensives se dessinent alors: l’une, contradictoire, portée par le FIS et réclamant, simultanément, d’un côté, le maintien du contrôle collectif, c’est à dire le pouvoir de redistribution aux mains de futurs gouvernants islamistes, et, de autre côté, l’irrigation des canaux par redistribution des ressources réservées aux grandes affaires centralisées et excluant jusqu’alors les nouvelles ambitions individuelles, notamment celles de personnalités islamistes entravées dans leur accumulation. La deuxième offensive vient d’une fraction du comité de gestion: la seule façon de réserver les ressources est d’éviter toute alternance, de ne pas irriguer les canaux de la décentralisation qui pourrait alimenter la clientèle électorale du FIS et, enfin, de réinstaurer un contrôle a priori de la redistribution des ressources – M. Belaïd Abdeslam gérera un moment ce qu’il a appelé une « économie de guerre ». Le capital installé est sauf et ses compétiteurs islamistes neutralisés. La sécurité militaire est chargée de se porter garante de ce contrat de statu quo qui préserve les intérêts collectifs acquis etqu’on pourrait qualifier de transition gelée vers le contrôle individuel car elle préserve la dynamique du capital privé installé. Leur alliance conduisit à renverser M. Chadli en janvier 1992 et mettre fin à l’autonomie du pouvoir présidentiel.
Les anciens combattants, partisans du contrôle collectif adhèrent à cette solution médiane, et délèguent le président de leur association au poste de chef d’État coopté. Une fois l’islamisme vaincu, ceux qui ont fait la sale besogne pour éradiquer les concurrents islamistes et qui tiennent à garder la haute main sur la redistribution des ressources se retrouvent face aux partisans du contrôle individuel. Ceux-ci ressortent un homme providentiel : M. Bouteflika. C’est cette alliance hétéroclite qui a mis 20 ans pour se décomposer totalement aujourd’hui.
Quelques enseignements de l’affaire Rebrab
On peut supposer dès lors que l’alliance tacite conclue après 1992 entre tenants du contrôle individuel et tenants du contrôle collectif traduisait l’impuissance des partisans du contrôle individuel à se doter de modes autonomes d’accumulation – l’État contrôle toujours les devises – et de modes fiables de production de suffrages légitimant leur exercice du pouvoir. L’affaire Rebrab révèle que les titulaires de signature ont repris de l’ascendant, mais à leur propre compte : un ministre refuse aussi bien de le recevoir que de lui délivrer une autorisation d’importation. C’est le signe d’une autonomie retrouvée du pouvoir présidentiel et d’une individualisation plus forte. Par ailleurs, la mise à l’écart du général chef de la sécurité militaire peut indiquer que le compromis faisant de celle-ci le garant d’un contrôle collectif est caduc. L’inquiétude s’en est suivie chez les bénéficiaires des avantages collectifs acquis – si l’on se rapporte aux déclarations de la porte-parole du Parti des travailleurs. L’alliance avec les titulaires de capitaux installés semble également en souffrir.
Le plus probable est l’apparition d’une tendance à faire place à de nouveaux venus : titulaires de signature délégataires d’un pouvoir en voie d’autonomisation, islamistes à l’étroit et monnayant leur fonds électoral en soutenant cette autonomisation. Il semble que le capital installé puisse se sentir puissamment attaqué pour que M. Rebrab s’en prenne au chef d’état-major de l’armée lui-même. « La faute est grave », écrit le magazine Maghreb Emergent du 7 octobre 2015. « M. Rebrab avait-il déjà décidé de rompre les ponts avec le pouvoir ? », s’interroge-t-il. Les titulaires de capitaux installés vont-ils, pour se défendre, être amenés à faire de la politique ?
Certes, pour eux, face aux nouveaux concurrents et aux importations de produits étrangers, libéraliser l’économie serait mortel. Ils ont encore besoin d’une économie à signatures autorisantes. Ils ont encore besoin soit d’une alliance si le pouvoir reste amical ou, à défaut, de placer leurs propres hommes au pouvoir si celui-ci devient inamical. Or, avec le nouveau président, la centralisation des grandes affaires de redistribution, s’est souvent davantage opérée au bénéfice des détenteurs de signatures qu’aux détenteurs de capitaux nationaux installés (affaire Khalifa de transfert à l’étranger de sommes d’argent colossales, grands chantiers d’infrastructures confiés à des capitaux étrangers). Dans l’un des journaux proches du groupe Cevital, un économiste affirme: « Investir dans les infrastructures était une grossière erreur. » (Liberté, 8 octobre 2015).
Les mandats successifs du nouveau président ont, semble-t-il, permis de donner corps à certaines dynamiques qui remettent en question le compromis de janvier 1992. Une centralisation du contrôle des ressources s’est opérée mais au bénéfice d’un contrôle individuel d’une présidence de plus en plus autonome. Le système de contrôle collectif a été désarticulé mais il ne semble pas que ce soit au bénéfice des capitaux privés installés. Le pouvoir politique a repris un ascendant grâce à des actions massives de redistribution (de logements, notamment), des levées de restrictions à l’activité permettant de desserrer le climat économique et débouchant sur l’émergence de nouveaux venus. Pour se constituer un fonds électoral plus large, il peut se permettre de heurter les « éradicateurs » en ménageant les islamistes et en menant à bien cette action symbolique qu’est la construction d’une des plus grandes mosquées du monde. Depuis un an, la division par 2,5 des prix du pétrole conduira à renforcer cette redistribution de symbolique. Cette chute des prix semble conduire à un rationnement des devises. Pour préserver la réserve à disposition du pouvoir central et ses capacités de redistribution pour sa propre clientèle et de négociation avec les opérateurs étrangers, le pouvoir semble le faire au détriment des capitaux privés installés. D’où la rébellion de l’un de leur titulaire.
(*) Ahmed Henni est professeur d’économie à l’Université d’Artois, en France. Il a notamment publié Syndrome islamiste et les mutations du capitalisme (Non Lieu, Paris : 2007) et Le Capitalisme de rente : de la société du travail industriel à la société des rentiers (L’Harmattan, 2012).
(**) Les intertitres sont de Maghreb Emergent.
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