Il existe une loi universelle : un déficit budgétaire entraîne forcément un processus inflationniste. Dans ce cas, l’Algérie, avec la baisse du cours des hydrocarbures et le dérapage accéléré du dinar par rapport tant au dollar qu’à l’euro, ne le peut comprimer grâce aux importations qui, elles-mêmes, connaissent une restriction qui accélère ce processus.
Un taux d’inflation élevé impliquera nécessairement le relèvement du taux d’intérêt bancaire pouvant freiner l’investissement, ne pouvant plus généraliser les taux d’intérêt bonifiés. Or la source de l’APS, organe officiel du gouvernement, en date du 24 janvier 2016 annonce une baisse de 80% durant uniquement les 10 premier mois de l’année 2015, de l’alimentation du fonds de régulation des recettes qui risque d’aller vers l’épuisement courant 2017.
1.-La loi de finances 2016 a prévu des dépenses budgétaires de 7.984,1 milliards DA (mds DA) dont 4.807,3 mds DA de dépenses de fonctionnement et 3.176,8 mds DA de dépenses d’équipement, soit une baisse de 9% par rapport à 2015. Quant aux recettes budgétaires, elles sont estimées à 4.747,43 mds DA composées de 3.064,88 mds DA de recettes ordinaires et de 1.682,55 mds DA de fiscalité pétrolière. La loi de finances 2016 table sur une inflation contenue à 4%, un solde global du Trésor déficitaire de 2.452 mds DA. Le cours adopté étant de 98 dinars un dollar, le déficit budgétaire prévu est de 3236,8 milliards de dinars soit 33,02 milliards de dollars. Le cours du dinar le 24 janvier 2016 est de 106,805 pour un dollar. Ce glissement du dinar voile l’importance du déficit budgétaire dont la fiscalité pétrolière (les hydrocarbures et dérivés représentent 97/98/% des exportations) se fait en dollars et gonfle les taxes douanières de tous les produits importés dont 60% en euro dont le cours officiel le 24 janvier 2016 est de 116, 6996 dinars. En rappelant que 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% proviennent de l’extérieur, accentuant donc les coûts de production par l’inflation importée. Le FRR est alimenté de l’écart entre la fiscalité pétrolière effectivement recouvrée et celle budgétisée sur la base de 37 dollars/baril. La loi de finances 2016 prévoit des réserves du Fonds de régulation des recettes (FRR) de 1.797 mds de DA à fin 2016.La dépêche de l’organe officiel d’infirmation APS le 24 janvier 2016 nous apprend que les versements au FRR ont chuté de plus de 80% durant les 10 premiers mois de l’année 2015 en s’établissant à 255,95 milliards de dinars (mds DA) contre 1.307,36 mds DA durant la même période de 2014 et que les prélèvements opérés à partir de ce Fonds, destinés à financer le déficit du Trésor public, ont atteint 1.850 mds DA entre janvier et octobre 2015 contre 2.965,67 mds DA ; le FFR était de 4.488,2 mds de DA à la fin 2014. Car à 37 dollars le baril, le versement au FFR est égal à zéro. Comme le cours moyen pour l’Algérie 2015 a été supérieur à 52 dollars, et si on prend l’hypothèse d’un cours entre 30/40 dollars pour 2016, le fonds s’épuisera début 2017.
2.– Selon l’ONS, en 2015 , le taux d inflation en Algérie, tenant compte des subventions de bon nombre de produits de première nécessité, a été de 4,8% , contre 2,9% en 2014 et 3,3% en 2013, la loi de finances complémentaire 2015 ayant tablé sur un taux d inflation de 4% contre une prévision de 3%. N’oublions jamais que l’économie est comme le corps humain. C’est la production de marchandises par des marchandises. Une hausse du prix d’un produit qui entre dans la composante d’autres produits, se répercute sur l’ensemble du corps économique. Ce qui implique une planification stratégique et des mécanismes de régulation transparents pour éviter les effets pervers. Je tiens à préciser que le taux d’inflation ( voir notre interview APS 23/01/2016) se calcule par rapport à la période précédente. Ainsi un taux d’inflation faible en 2015 par rapport à un taux d’inflation élevé en 2014 donne un taux cumulé élevé, entrainant la détérioration du pouvoir d’achat, notamment des revenus fixes. Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé car le besoin est historiquement daté, les besoins évoluent. Le taux d’inflation officiel est biaisé, devant l’éclater par produits selon le modèle de consommation par couches sociales (en fonction de la stratification du revenu national) et de surcroît comprimé artificiellement par les subventions, sinon il dépasserait les 10%. Car, la perception de l’inflation est différente d’une personne qui perçoit 200 euros par mois de celle qui perçoit 10.000 euros n’ayant pas le même modèle de consommation. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociale, devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. Avec la chute du cours des hydrocarbures, faute d’avoir assis une économie productive concurrentielle, l’Algérie se retrouve dans un cercle vicieux : l’inflation accélère les revendications sociales pour une augmentation des salaires qui à leur tour en cas de non productivité accélère l’inflation. Comme la détérioration du pouvoir d’achat accroît soit l’endettement des ménages ou accélère la déthésaurisation des ménages notamment les couches moyennes qui se paupérisent en la mettant en circulation, leur épargne gonflant la masse monétaire en circulation, accélérant, en cas de rigidité de l’offre, le processus inflationniste. Lorsque l’Etat a les moyens financiers, l’importation de produits subventionnés joue comme tampon transitoire. On le constate récemment. Faute de prévisions, avec le retour aux licences d’importation et les quotas, du fait de la rigidité de l’offre, nous assistons à la fois à un processus inflationniste qui touche bon nombre de produits ou la demande existe, comme le ciment, le rond à béton, devant occasionner un accroissement du coût des logements, et un cours du dinar sur le marché parallèle qui dépasse les 180 dinars et s’oriente vers 200 dinars un euro. Il existe quatre raisons à l’inflation en Algérie. La première raison est le manque de cohérence de la politique socio-économique, la non proportionnalité entre la dépense publique reflétée par la faiblesse de l’offre par rapport à une forte demande, et les impacts économiques et sociaux. Cela a, évidemment, un impact autant sur le taux d’inflation que sur le taux de chômage réel qui est largement supérieur au taux officiel. La deuxième raison, liée à la première, est la faiblesse d’une politique salariale cohérente privilégiant les créateurs de valeur ajoutée, le travail et l’intelligence au profit d’emplois rente ce qui fait que la productivité globale est une des plus faible au niveau de la région méditerranéenne. La troisième raison est l’extension de la sphère informelle où plus de 80% des transactions se font en cash alors que la base de l’économie moderne repose sur le contrat et le crédit. La quatrième raison, avec la dévaluation du dinar dont le cours est corrélé à 70% aux réserves de change elles-mêmes provenant de la rente des hydrocarbures, est l’inflation importée énuméré précédemment…
3.– Qu’en sera t-il avec l’éclatement de la cellule familiale et en cas de chute du cours des hydrocarbures ne pouvant plus subventionner, un couple avec deux enfants devant percevoir minimum entre 35.000 et 45.000 dinars/mois pour uniquement substituer aux besoins alimentaires et devant éviter un nivellement par le bas pour des rasions populistes suicidaires. La politique des subventions doit être revue. Les subventions ne doivent profiter qu’aux catégories les plus vulnérables. Toute Nation ne peut distribuer que ce qu’elle a préalablement produit, quitte à aller vers la dérive politique, sociale et économique devant tenir compte de la croissance démographique et le versement de salaires sans contreparties productives, la population étant passée de 35,6 millions d’habitants au 1er janvier 2010 à plus de 40 au 1er janvier 2016 et on s’oriente vers 50 millions à l’horizon 2030 avec une demande de couverture nouvelle des besoins sociaux et une demande additionnelle d’emplois entre 300.000/400.000/an. Sans une nouvelle gouvernance, une nouvelle politique socio-économique, la maîtrise de la dépense publique, un retour à la croissance supposant une vision stratégique qui repose sur les véritables producteurs de richesses qui sont les entreprises publiques ou privées sans distinction, et son fondement l’économie de la connaissance. Avec la pression démographique, la baisse des recettes de Sonatrach qui engendre une dévaluation du dinar, le retour à l’inflation semble inévitable avec des incidences à la fois socio-économiques et politiques. Cela aura des incidences négatives tant sur le taux d’intérêt bancaire qui devra être relevé, si l’on veut éviter la faillite des banques, que sur le pouvoir d’achat des Algériens notamment les plus vulnérables. Le risque est le frein à l’investissement productif, une spirale inflationniste, selon le cercle vicieux -revendications sociales, augmentation des salaires sans corrélation avec la productivité, inflation et revendications sociales. Avec l’inquiétude vis-à-vis de l’avenir, l’absence de morale et la faiblesse de la gouvernance tant centrale que locale, avec ce retour accéléré de l’inflation, qui contribue à une concentration du revenu au profit d’une minorité rentière, la majorité des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif. Or, l’épuisement des hydrocarbures traditionnels est prévu au maximum à horizon 2030 au moment où la population algérienne tendra vers 50 millions d’âmes. Invoquer les réserves de change qu’il s’agit de bien utiliser ne provenant pas du travail, est une illusion, le capital argent n’ayant jamais crée de valeur étant seulement un moyen, puisque c’est une richesse virtuelle qu’il s’agit de transformer en richesses réelles. Force est de constater que depuis 1986, l’Algérie est dans une interminable transition n’étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle. Ce qui expliquerait le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique. Pouvoir et opposition doivent donner des solutions crédibles et non se réfugier dans des promesses surréalistes. Ceux qui donnent des leçons de nationalisme doivent savoir qu’à l’avenir, l’amélioration du pouvoir d’achat est le véritable nationalisme des Algériens, quelque soit le niveau de responsabilité. Il se mesurera par leur contribution à la valeur ajoutée interne. Le renouveau impliquera le dialogue productif et le retour à la confiance sans laquelle aucun développement n’est possible. C’est la condition de la mobilisation de toutes les Algériennes et Algériens sans exclusive, car les ajustements économiques et sociaux seront douloureux entre 2016/2020. Mais ils sont nécessaires pour éviter un retour au FMI.
(*) Pr Abderrahmane MEBTOUL, docteur d’Etat (1974), Professeur des Universités et Expert international. Il est membre de conseils scientifiques de plusieurs institutions internationales – expert comptable de l’Institut supérieure de gestion de Lille ( France 1973) ayant occupé d’importantes fonctions supérieures entre 1974/2015 en Algérie- auteur de 20 ouvrages et de plus de 500 contributions et communications nationales et internationales. [email protected]