Trois grands connaisseurs du secteur pétro-gazier algérien, Sid Ahmed Ghezali, Abdelmadjid Attar et Nazim Zouiouèche mettent l’accent sur la nécessité d’un débat transparent sur l’exploitation des gaz de schiste en Algérie. Les deux premiers ont déploré la perception déformée qu’a la population, selon eux, de cette question.
Le Forum économique du quotidien algérien d’expression arabe El Khabar a reçu, samedi, trois anciens présidents de la Sonatrach : Sid Ahmed Ghezali, également ex-chef du gouvernement, Abdelmadjid Attar et Nazim Zouiouèche. La rencontre a tourné autour des véritables raisons de la décision du dernier Conseil des ministres portant sur l’exploitation des gaz et huiles de schiste.
Pour Sid Ahmed Ghezali, le gouvernement vise, par cette décision, à « brouiller les cartes » et à détourner l’attention de l’opinion publique des véritables problèmes, notamment l’absence de politique énergétique qui pourrait déboucher, à terme, sur l’« indépendance » vis-à-vis de la rente pétrolière : « Si on a insisté sur la maladie du président, c’est qu’on a cherché à cacher la maladie du système. C’est la même chose pour le gaz de schiste. Si on insiste tant dessus, c’est pour cacher l’absence de politique énergétique. » Et d’ajouter : « Il ne faut pas tomber dans le piège de la question : exploiter ou non les gaz de schiste ? Toutes les richesses sont susceptibles d’être exploitées. a question est : comment y procéder ? »
Pour Sid Ahmed Ghezali, le gouvernement joue sur la « confusion » chez les citoyens, « dont 99% ne savent pas ce qu’est un gaz de schiste ». Il a insisté sur la nécessaire vulgarisation des débats énergétiques pour que les Algériens, a-t-il argumenté, sachent ce qu’il en est des ressources naturelles potentielles. Il a estimé que les chiffres avancés dans ce domaine ne sont que théoriques et qu’ils ont pur fonction de mieux faire passer la « pilule » du gaz de schiste.
Abdelmadjid Attar : « En 2030, la rente sera égale à zéro »
L’ancien P-DG de Sonatrach Abdelmadjid Attar a rappelé, quant à lui, que la décision du conseil des ministres autorisant l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a été prise en application de la loi sur les hydrocarbures de 2013, qui stipule qu’il n’y a pas d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels sans l’aval du Conseil des ministres ». Il a ajouté: « C’est un appel du pied aux sociétés étrangères en vue de les inciter à répondre favorablement à l’appel d’offres portant sur 31 périmètres à explorer. »
Pour M. Attar, le conseil des ministres aurait dû aborder la question de la politique énergétique algérienne. Il a lui aussi déploré une perception déformée chez la population algérienne de la question de l’exploitation des gaz de schiste. Il a averti que les ressources d’hydrocarbures s’amenuisent de plus en plus : « À partir de 2022, l’Algérie ne pourra plus continuer à exporter les hydrocarbures comme elle le fait. On fera toujours des découvertes mais elles seront de plus en plus petites. En 2030, la rente sera égale à zéro ! » Le vrai problème, selon lui, est donc de savoir comment l’Algérie peut sortir de sa grande dépendance du pétrole et du gaz.
« L’avenir est aux énergies renouvelables »
« Le message qui ressort du communiqué du Conseil des ministres est le suivant : peuple algérien, on aura des hydrocarbures encore pour longtemps ! », a résumé, de son coté, Nazim Zouiouèche, ex-P-DG de Sonatrach et expert international en énergie. Pour lui, l’exploitation des gaz de schiste pose deux problèmes : le premier est son coût et le second est la durée de vie d’un puits d’hydrocarbures non conventionnels. L’Algérie, a-t-il, estimé, n’a non seulement pas les moyens logistiques d’exploiter ces gaz dits non conventionnels, mais, en plus, le coût d’exploitation sera plus cher que le prix de vente, ce qui reviendrait à travailler à perte. Au bout d’un an production un puits d’hydrocarbures non conventionnels décline de 40%, a-t-il expliqué, contre moins de 10% pour un puits d’hydrocarbures dits conventionnels.
Selon les statistiques des organismes internationaux spécialisées, l’Algérie renfermerait le troisième potentiel d’hydrocarbures non conventionnels (de schiste), derrière la Chine (1ère) et l’Argentine (2e). Un pays comme la Chine aurait pu être un pionnier dans le domaine, soulignent les trois invités d’El Khabar. Or, le 21 mai dernier, Pékin a signé avec Moscou un méga-contrat d’approvisionnement en gaz d’une valeur de 400 milliards de dollars (291 milliards d’euros). Une autre raison pour les trois invités d’El Khabar de dire que le gaz de schiste n’est pas une priorité pour l’Algérie et que l’accent doit être mis sur les énergies renouvelables.