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Idées

Algérie: un baril de pétrole en baisse, un baril de poudre dans le grand Sud

Par Yacine Temlali
avril 20, 2015
Algérie: un baril de pétrole en baisse, un baril de poudre dans le grand Sud

L’année 2015 commence mal pour le secteur pétrolier algérien. Les cours mondiaux sont déprimés, la production stagne, les exportations baissent, la consommation intérieure explose, la population du sud défend bec et ongles son environnement contre les projets de développement du gaz de schiste. Le gouvernement tergiverse entre le tout-répressif et une gestion moins dispendieuse des finances publiques, sur fond d’une interminable bataille de succession*.

 

 

Depuis l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence, en 1999, l’avenir du régime algérien n’a jamais été aussi entouré d’incertitudes. Malade, le chef de l’Etat n’exerce presque plus de fonctions autres que protocolaires. Ses pouvoirs ont échu à un collège d’officieux régents : des proches collaborateurs, comme son conseiller et frère Saïd Bouteflika, et des membres du gouvernement, comme le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah. Rien n’indique qu’une solution consensuelle a été trouvée à la crise de succession qui secoue ce régime et qui s’est manifestée, à la veille des présidentielles de 2014, par un conflit feutré, par justice et presse interposées, entre deux groupes adverses, l’un hostile, l’autre favorable à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat.

Cet inquiétant tableau politique voisine avec un tableau économique non moins préoccupant. L’année 2014 a fermé la boucle d’une aisance financière sans précédent dans l’histoire de l’Algérie due à d’excellents cours pétroliers depuis le début des années 2000. Les prix du brut ont plongé ces derniers mois, perdant quelque 50% de leur valeur entre juin 2014 et janvier 2015, et rien ne présage de leur redressement à court terme, leur effondrement ne s’expliquant pas uniquement par une offre excédentaire mais aussi par un début de bouleversement du marché énergétique mondial, avec l’essor des énergies renouvelables et l’entrée en compétition des hydrocarbures non conventionnels, notamment les gaz de schiste américains.

 

Crise des revenus de l’Etat

 

Tels que calculés par le Fonds monétaire international (FMI) sur la base d’un prix du baril de pétrole à 89 dollars, les revenus extérieurs de l’Algérie ne dépasseront pas 48,9 milliards de dollars en 2015, contre 62,95 milliards en 2014 et… un pic de 76,9 milliards de dollars en 2008. L’hypothèse d’un baril de pétrole à 89 dollars semble être, au demeurant, trop optimiste. Si les prix se maintiennent durant l’année en cours au niveau de 50 dollars en moyenne, les recettes des exportations prévues par le FMI seront divisés par deux, et les recettes fiscales, tirées en bonne partie de la fiscalité sur la production pétro-gazière, connaîtront un recul considérable. Les contestations sociales ne feront que s’étendre et se radicaliser, car si elles ont pu être contenues ces dernières années, c’est aussi grâce à la redistribution de la rente pétrolière, après une décennie 1990 marquée par une chute libre du pouvoir d’achat de la majorité des Algériens.

La détérioration des cours pétroliers n’était pas imprévisible. Nombre d’observateurs avaient mis en garde contre le caractère éphémère de l’aisance financière qu’a connue le pays dès le début de la décennie 2000. Ils avaient rappelé que les mirobolants revenus des exportations (quelque 750 milliards de dollars entre 1999 et 2014) devaient être employés pour mettre l’Algérie sur les rails d’une économie moins dépendante du brut. Car s’ils ont financé nombre d’infrastructures et amélioré le pouvoir d’achat de larges couches (les dépenses des ménages ont triplé entre 2000 et 2011), ces revenus n’ont pas servi à transformer le pays en ce pays émergent tant rêvé, en paroles, par les officiels. Le pétrole et le gaz représentent toujours la majeure partie de la valeur des exportations (95,6% en 2014) et l’industrie pétro-gazière fournit, à elle seule, près de 30% du PIB (27,5% en 2014 selon les prévisions gouvernementales).

La baisse des cours du pétrole est d’autant plus préjudiciable à l’économie qu’elle est survenue dans un contexte de stagnation de la production et des exportations pétrolières (1,202 millions de barils produits en 2013, selon l’OPEP, contre un pic de 1,371 million en 2007) et de baisse sensible des exportations gazières (quelque 44 milliards de m3 en 2014, contre 46,708 milliards de m3 en 2013, 57,359 milliards en 2010 et… 65 milliards de m3 en 2005.). La baisse des exportations de gaz naturel est due à une croissance vigoureuse de la consommation domestique, qui devrait passer de 17,5 milliards de m3 en 2006 à 50 milliards de m3 en 2017-2020 et qui s’explique par la croissance de la consommation électrique, à 96% de source gazière.

 

Diversification de l’économie ?

 

Devant ce contre-choc pétrolier rappelant par certains aspects celui de 1985-1986, des mesures pour une meilleure « maîtrise des dépenses publiques » ont été prises : arrêt des recrutements de fonctionnaires, gel des chantiers d’infrastructures « non indispensables », etc. La crise, s’est plu à déclarer le président de la République en décembre 2014, devrait être transformée en opportunité pour diversifier l’économie.

Le gouvernement est-il réellement résolu à entamer le chemin d’une déconnexion progressive du budget et des recettes en devises de la manne pétro-gazière ? Rien ne permet de l’affirmer. L’importance du programme d’investissement de la société publique d’hydrocarbures Sonatrach (90 milliards de dollars pour 2015-2019) n’est pas, en soi, un indice que la voie rentière demeure celle privilégiée par les pouvoirs publics (les revenus du pétrole et du gaz pourraient bien financer la constitution d’une économie plus diversifiée). En revanche, ce qui en est un indice probant est le caractère imprécis des orientations présidentielles pour la diversification économique.

Des orientations similaires pour la « dynamisation de l’industrie, de la pétrochimie, de l’agriculture, du tourisme et des NTIC » ont été données, par le passé, à l’exécutif sans que jamais elles soient traduites en objectifs chiffrés et échéances incompressibles. On est en droit de penser, dans ces conditions, que l’augmentation programmée de la production d’hydrocarbures vise moins à financer le passage à une économie émergente qu’à simplement compenser le manque à gagner pour les caisses de l’Etat dû à la baisse des prix du brut.

Le gouvernement espère d’ici à 2019 augmenter la production de pétrole de 20% et faire atteindre à la production de gaz conventionnels le niveau de 151 milliards de m3 (contre 131 milliards en 2014). Il entend également lancer l’exploitation des gaz de schiste, dont l’Algérie détient, selon l’Agence internationale de l’énergie, les quatrièmes réserves mondiales techniquement récupérables. La question ici se pose : comment financer ces ambitieux projets si les revenus pétro-gaziers sont en baisse ? Le recours à l’investissement étranger n’est pas l’option la plus concrète à en juger par le peu empressement des firmes internationales à répondre au 4e appel d’offres de l’ALNAFT (l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures) ; l’ouverture des plis, fin septembre 2014, s’est soldé par un résultat dérisoire : 4 périmètres de recherche et d’exploration ont été attribués sur… 32 périmètres. Le précédent, en 2010-2011, n’avait pas été plus concluant : seulement 2 blocs sur 10 avaient été attribués.

 

Le gaz de schiste : une aubaine ?

 

Légale depuis début 2013, suite à l’amendement de la loi sur les hydrocarbures, l’exploitation des gaz non conventionnels tient une place de plus en plus considérable dans les projets d’amélioration des performances gazières algériennes. La production de gaz de schiste, a déclaré le 7 décembre 2014 le PDG de Sonatrach Saïd Sahnoune, atteindra 20 milliards de m3 en 2022 et 30 milliards en 2025-2007 (soit, respectivement, 15,2% et 22,9% de la production gazière algérienne de 2014).

Qualifiée d’« aubaine » par le Premier ministre Abdelmalek Sellal, le gaz de schiste n’est pourtant pas une solution-miracle à cette crise des revenus de l’Etat qui pourrait, si elle perdurait, provoquer une grave crise sociale et, partant, une grande instabilité politique. L’extraction de ces ressources non conventionnelles ne nécessitera pas de moins lourds investissements que celles des hydrocarbures traditionnels. Et quand bien même le potentiel algérien révélé par les images satellitaires serait prouvé par des travaux d’exploration, son exploitation nécessiterait un recours aux services des sociétés étrangères. En effet, bien qu’elle pratique déjà, dans les gisements conventionnels, les techniques de la fracturation hydraulique et du forage horizontal employées pour la production de gaz de schiste, Sonatrach ne peut mener seule, dans ce domaine, de projet d’exploitation commercialement rentable. A supposer qu’elles aient les moyens financiers d’investir dans le sous-sol algérien, les firmes internationales ont besoin d’être rassurées sur l’acceptation par la population de la production de gaz de schiste, réputée dangereuse pour l’environnement. Or, cette acceptation est loin d’être acquise. Le mouvement anti-gaz de schiste à In Salah, ville de l’extrême Sud, l’a récemment montré.

Ce mouvement s’oppose à l’exploitation du gaz de schiste dans le bassin d’Ahnet, où des tests de production concluants ont été accomplis. Il met l’accent sur ses retombées environnementales (possible pollution des nappes phréatiques) et sur le danger de tarissement rapide de ces nappes à cause de ce que nécessite la fracturation hydraulique comme ressources hydriques. Dans une région où le souvenir des essais nucléaires français de la première moitié des années 1960 est vivace, la préoccupation écologique et sanitaire est profonde.

 

Le Sud et le baril de poudre djihadiste

 

Le gouvernement, si prompt à réagir violemment à la moindre contestation populaire, a montré une certaine prudence dans le traitement des protestations d’In Salah : réunions entre des membres du gouvernement et les représentants de la population, envoyés spéciaux de la présidence… Cette prudence s’explique par la délicatesse de la situation dans le Sud, région ouverte, de surcroît, sur deux pays instables : le Mali et la Libye.

Le Sud vit, en effet, depuis plus d’un an au rythme d’affrontements ethno-religieux dans la vallée du M’zab entre ibadites « berbères » et sunnites « arabes ». Il vit également, depuis plus longtemps encore, au rythme de contestations sociales non négligeables. Avant In Salah, la ville de Ouargla, chef lieu de la wilaya où se situe le plus grand gisement algérien de pétrole (Hassi Messaoud), avait été – et est toujours – le théâtre d’un mouvement de chômeurs radical revendiquant la priorisation de la population locale dans l’accès à l’emploi dans les industries pétro-gazières.

Ces contestations expriment un sentiment d’injustice chez les habitants du Sud, pauvre en dépit des budgets colossaux qui lui sont alloués (2.415 milliards de dinars, soit quelque 24 milliards d’euros, entre 1999 et 2013, selon une déclaration d’Abdelmalek Sellal, le 23 mai 2013). « Nous n’avons pas profité du gaz conventionnel, ni des retombées de la manne pétrolière. (…) Le gaz de schiste nous prendra le peu que nous avons. » C’est ainsi que Mohamed Djouan, membre de l’association écologique Chams d’In Salah, a résumé ce sentiment au quotidien El Watan (5 janvier 2015). Une des banderoles déployées par les manifestants dans cette ville énonçait : « Nous avons été un champ d’expérimentation pour vos bombes. Nous ne le serons pas pour le gaz de schiste ! » Cette évocation des essais nucléaires et chimiques français dans le Sahara, qui se sont poursuivis jusqu’à après l’indépendance, donne un relief particulier à l’hostilité des habitants du Sud à l’exploitation des gaz non conventionnels.

 

Le fruit amer de la répression

 

Il est à rappeler ici que la répression des premières contestations sociales dans le Sud a été la cause directe de la naissance du groupe armé appelé « Les enfants du Sud pour la justice islamique ». Des médiations traditionnelles ont persuadé une partie de ses membres de se rendre aux autorités en 2008 mais il n’a pas pour autant disparu. Son émir, Mohamed Lamine Ben Cheneb, a lancé en janvier 2013 un audacieux assaut sur le site gazier de Tiguentourine (Sud-est), qui s’est soldé par la mort de quelque 40 personnes, dont une majorité d’étrangers. Cette organisation n’aurait probablement pas vu le jour si la justice n’avait pas condamné à des peines d’emprisonnement, en 2004, certains de ses futurs fondateurs, alors membres d’un mouvement social parfaitement pacifique, le « Mouvement des enfants du Sud pour la justice ».

Le gouvernement semble être, face à la contestation d’In Salah, devant un vrai dilemme : la réprimer pourrait engendrer une dangereuse radicalisation de la jeunesse du Sud ; céder à ses revendications ne serait pas un bon signe pour les firmes pétro-gazières internationales, sans le concours desquelles l’exploitation des gaz de schiste resterait hypothétique. Il est, toutefois, peu probable que pour échapper à ce dilemme, son choix se porte sur une solution démocratique : ouvrir un débat sur la production des hydrocarbures non conventionnels et sur un meilleur modèle de développement du Sahara. Le plus probable est que sous la pression de services de sécurité de plus en plus omnipotents, il soit tenté par le tout-répressif. Il n’est pas sans signification que l’émissaire dépêché par la Présidence pour écouter les doléances des habitants d’In Salah ne fût autre que… le patron de la Police, le général Abdelghani Hamel, « grand spécialiste des gaz lacrymogènes » pour citer le bon mot d’un journaliste algérien.

 

(*) Cet article a paru initialement dans Afkar-Idées, n°45, puis republié sur OrientXXI.

Le sous-titre de l’article est d’OrientXXI

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