Tout peut donc être résumé déjà ici. Dans son premier grand arbitrage politique, la gouvernance Bouteflika, a choisi de sanctionner le moyen-long terme (investissements publics) alors qu’il est essentiel pour la croissance future et, du même coup, a choisi de préserver le cours terme (subventions et transferts) alors même qu’il est largement hors gabarit*.
Le gouvernement algérien a peut-être commis sa première grande erreur face au contre- choc pétrolier en cours. C’est la publication ce lundi d’un nouveau papier des deux économistes algérien Nour Meddahi et Raouf Boucekkine qui s’en alarme d’entrée. Le premier arbitrage politique a été rendu. Ce sont les investissements publics qui supporteront la plus grosse coupe budgétaire. Les dépenses d’équipement baissent de 16% en 2016 par rapport à 2015. C’est, hors inflation, la plus importante baisse depuis l’indépendance du pays, à la fois des dépenses globales (9%) et de celles du budget d’équipement. C’est exactement le réflexe qu’il fallait éviter.
Le papier, de grande clarté, proposé par les deux économistes revient sur le risque d’impact récessif d’une telle mesure. Et en appelle, de manière brillamment documentée, à ce que l’Algérie aurait dû connaître le mieux : sa propre réaction au premier contre-choc pétrolier, celui de 1986. Il en ressort une première révélation intrigante, le comparatif entre les deux périodes quadri-annuelles d’avant les contre-chocs pétroliers de 1986 et de 2014 montre que ce sont les dépenses de fonctionnement qui pèsent le plus sur l’équilibre budgétaire aujourd’hui. Et non pas les dépenses d’équipement ! « La décomposition des dépenses indique que la moyenne des dépenses de fonctionnement était de 17,4% pour la période 1982-1986 contre 26,6% pour la période 2011-2015 », signale le document.
Le gouvernement insiste sur la grande différence entre les deux périodes qui réside dans le niveau des réserves de change actuel à opposer à l’endettement extérieur de l’Algérie du milieu des années 1980. Le papier de Meddahi-Boucekkine pointe donc une autre comparaison moins visible : les 9% de parts de PIB supplémentaire dédiés aux dépenses de fonctionnement en 2011-2015 comparé à 1982-1986. A l’inverse, et c’est une vraie surprise, la part des dépenses d’équipement dans le PIB était plus grande sur la période 1982-1986 que sur la récente période.
Tout peut donc être résumé déjà ici. Dans son premier grand arbitrage politique, la gouvernance Bouteflika, a choisi de sanctionner le moyen-long terme (investissements publics) alors qu’il est essentiel pour la croissance future et, du même coup, a choisi de préserver le cours terme (subventions et transferts) alors même qu’il est largement hors gabarit. « Nous ne pensons donc pas que la diminution brutale des dépenses d’équipement annoncée soit le bon instrument, en tout cas si l’ampleur de la coupe est maintenue », conclut sur ce thème le papier cité. Il aura été le second à alerter sur le choix risqué de couper les investissements publics. Abdelkrim Boudraa, porte parole de Nabni, a également prévenu des conséquences de ce choix « facile », qui risque de casser la croissance, alors même que le gouvernement se montre incapable de proposer de nouveaux moteurs à l’activité.
Le comparatif inédit du papier Meddahi-Boucekkine sur les deux contre-chocs pétroliers, celui de 1986 et celui de 2014-2015, est particulièrement alarmant : le gouvernement algérien est sur le point de commettre les mêmes erreurs trente années plus tard. Le taux de chômage a explosé en 1987 (21% contre 11,4% en 1986) après la décision des autorités de baisser en priorité et drastiquement les dépenses d’équipement. A l’inverse, le train de vie de l’Etat a peu bougé sur la période qui a suivi le contre-choc de 1986. Le budget de fonctionnement est resté à 20,6% du PIB en 1986 ; 20,4% en 1987 ; 21,9% en 1988 ; 19% en 1989. Un peu comme si les autorités pensaient passer le plus dur sans avoir à agir sur ce front, faussement apparenté à un front socialement le plus dangereux.
C’est ce qui s’est passé, il y a un an, à l’automne 2014, lorsque le parlement a adopté une loi de finances pour 2015 en expansion des dépenses de fonctionnement, alors même que le prix du brut avait dévissé depuis juin 2014. L’arbitrage politique de ceux qui sont aux affaires est mondialement réputé pour privilégier le court terme électoral sur le long terme économique. En Algérie le choix de plus d’inflation (électricité, carburants, eau, sucre, etc.) par la réduction du soutien à des prix incitatifs au gaspillage est jugé plus nuisible socialement que le choix du désinvestissement (commande publics d’infrastructures) qui va produire du chômage. Un peu moins de pouvoir d’achat (bien répartis entre les classes sociales) ou suppression du pouvoir d’achat (souvent concentré dans le salariat). Le vrai choix des politiques est aussi celui-là. Après 1986, il s’est fait dans le sens du report du traitement du système des prix et des transferts et au profit des coupes claires dans l’investissement public. Le rattrapage par le FMI a été monstrueux.
En 2015, le scénario est terriblement semblable. Heureusement qu’un auto-ajustement, lui, a débuté. C’est celui du dinar en baisse de 25% par rapport au dollar. En 1986, il avait pris le chemin inverse. Le dinar s’était apprécié de 6,8% au nominal face au dollar. Décision « ahurissante » affirme le papier Meddahi-Boucekkine : « S’en est suivie une série de baisses pour corriger ces invraisemblables hausses du dinar et de leurs conséquences désastreuses sur l’économie du pays : -18,3% en 1988 ; -22,4% en 1989; -15,2% en 1990 ; -51,5% en 1991, -33,4% en 1994 et -26,5% en 1995. » La banque d’Algérie a évité à l’Algérie ce scénario « invraisemblable ». Elle était sous injonction politique en 1986. Elle a été sanctuarisé par l’auto-réforme en 1990. Avant même le FMI. Des exemples de bonnes décisions face à la crise existent aussi dans le passé économique algérien.
L’Algérie va revenir sur le marché financier international à terme. Meddahi et Boucekkine proposent de repousser au plus loin ce retour car le pays, selon eux, empruntera à des taux élevés alors qu’il ne bénéficie que de taux bas pour la rémunération de ses excédents de change. Discutable. Le fait est que même dans la construction de futurs partenariats public-privé avec des investisseurs étrangers, il s’agira désormais, pour les étrangers, d’évaluer le risque Algérie. Lachemi Siagh, l’expert financier international, a recommandé cette semaine sur Radio M que l’Algérie accepte, voire sollicite, un rating auprès des agences de notation. Selon lui, le pays a, sans doute, manqué une bonne opportunité à la fin de la décennie dernière d’obtenir une belle note – sans doute un triple B – lorsque tous les signaux étaient au vert. Il est encore temps d’accéder à une notation qui rassure les futurs investisseurs en Algérie. Le rating souverain est une invitation permanente à la réforme « modernisatrice ». Cela oblige l’Etat à défendre et à améliorer sa note en agissant sur les éléments qui menacent de la dégrader. Pour Lachemi Siagh ces éléments sont connus : la mono-exportation et l’absence de marché financier domestique.
(*) Article publié dans El Watan du 12 octobre 2015.