L’avant-projet de loi de finances complémentaire 2015, étudié en réunion du gouvernement mardi dernier, ne serait-ce qu’à travers les larges extraits publiés par la presse, suscite les critiques des milieux experts et les industriels. D’abord sur la forme.
La démarche du gouvernement est encore une fois dénoncée : les propositions et les avis de la société civile (experts indépendants, cercles de réflexion…), sont tout bonnement ignorés. Un fait qui suscite l’indignation du président du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise ‘’CARE’’, Slim Othmani qui déplore que le gouvernement n’a pas jugé utile d’organiser de débat autour de ces questions. Il ajoute que, compte tenu de la richesse des propositions qui ont été retenues par les experts et autres think Tanks (NABNI, CARE), le débat était ouvert cependant que les pouvoirs publics ont jugé bon de « s’entêter dans une démarche complètement autiste », en étant pas du tout à l’écoute de ce qui est proposé la société civile algérienne. Et ce n’est pas parce que le gouvernement se comporte de la sorte qu’il faut se taire et continuer à l’accepter, martèle le président du Directoire de NCA-Rouïba. D’après lui, ce qui est recherché aujourd’hui c’est plus de transparence dans la gouvernance. Slim Othmani estime qu’à un moment aussi difficile que traverse le pays, ignorer les compétences nationales est une attitude « assez étrange et surprenante » de la part d’un pouvoir politique qui est dans une « situation de désarroi ».
La TAP continuera à être un frein à la formalisation de tout le secteur de la distribution
Concernant les mesures fiscales contenues dans l’avant projet de LFC, Othmani estime qu’en ce qui concerne la TAP (Taxe de l’activité professionnelle) le gouvernement a fait la moitié du chemin, le président du cercle de réflexion CARE revendiquant la suppression de cette taxe tout en jugeant que sa substitution financière doit se faire à travers d’autres mécanismes. « Pourquoi avoir fait la moitié du chemin sachant que la TAP a un effet destructeur sur l’économie algérienne ? » s’interroge-t-il. Pour lui, ce n’est pas en ramenant cette taxe à 1% qu’on va continuer à persuader les commerçants agissants dans l’informel d’intégrer le circuit formel. « La TAP continuera à être un frein à la formalisation de tout le secteur de la distribution. En revanche, Slim Othmani salue le fait d’avoir repensé complètement la taxe foncière- le texte de LFC parle d’un relèvement des taxes foncières, sur les biens bâtis et non bâtis sur la base d’une hausse de la valeur de base locative. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement, selon Othmani, doit rester vigilant et faire appel à de l’expertise pour que cette taxe foncière ne soit pas « injuste ». Le président du Directoire de NCA-Rouïba se réjouit aussi de la mesure relative à l’IBS (Impôt sur le bénéfice) en ce sens qu’elle encourage les activité de production (le gouvernement table sur un taux de 19% pour les activités de production de biens, de bâtiment et de travaux publics, contre un taux de 27% pour les autres activités tels que le commerce et services). Toutefois, Slim Othmani estime qu’il ne faut pas discréditer constamment le secteur des importations, car il demeure toujours utile. « Désigner constamment les importateurs à la vindicte populaire n’est pas une bonne méthode, il faut organiser le secteur de la distribution, non pas de façon répressive, mais de telle manière à ce qu’il soit une partie intégrante de la chaine de valeur. Il reste que nous avons toujours besoin d’importation car certains intrants ne sont pas achetés directement chez le producteur ».
Plafonnement du carburant, une mesure « irréaliste »
Il est à relever que l’avant-projet de LFC-2015 entend instituer de nouvelles règles en matière de subvention, notamment le carburant. Il prévu d’instaurer à partir du 1er janvier 2016 une carte de carburant attribuant à chaque automobiliste un plafond de consommation de carburant à prix soutenu. Le président de CARE critique la mesure de plafonnement des carburants car, dit-il, « nous n’avons pas encore un système d’information adapté ». De plus, selon lui, Naftal n’est pas structurée pour pouvoir accompagner ce processus. A titre d’exemple, Othmani affirme que Naftal n’a même pas pu créer des robinets de carburants différencié entre le Super, Super sans plomb et le gasoil. Le plafonnement de carburant tel que préconisé par le gouvernement dans le cadre de la LFC est jugé par Othmani comme étant « irréaliste ». C’est aussi l’avis de l’économiste Yassine Ould Moussa qui estime que « la vraie mesure aurait été de développer le GPL, le populariser et le défiscaliser ». Selon lui, « il aurait été judicieux de développer un autre carburant pas cher, comme le gaz naturel carburant (GNC). Il existe des solutions techniques, selon Ould Moussa, qui pense que ce sont les lobbies qui sont derrière cette attitude du gouvernement à ne pas aller vers ces carburants pas chers.
Une amnistie fiscale doit accompagner une vision économique
Sur le volet relatif à l’assainissement fiscal, l’économiste Yassine Ould Moussa estime qu’une telle mesure si elle n’est pas portée par une vision stratégique, elle ne sert à rien. « Elle va encore financer le marché noir », dit-il. De plus, la mesure telle qu’elle est suggérée prête à plusieurs interrogations. « En optant pour une amnistie fiscale en contrepartie de 10% des prélèvements, cela pose une question fondamentale : celle de savoir si cet argent qui revient au circuit formel ira à la banque ? Il n’y a aucune mesure dans ce sens. Deuxièmement, est ce que cet argent qui ira dans la banque sera ensuite orienté vers les investissements productifs hors hydrocarbures. Là aussi, point de réponse. Aussi, si cet argent va être réhabilité juste pour grossir les financements à l’importation, cela ne sert à rien. Cela va dévaluer le dinar et augmenter l’inflation. En clair : il refinancera de l’importation », explique Ould Moussa. De son coté, Slim Othmani estime que l’assainissement fiscal est nécessaire, mais qu’il doit s’accompagner d’une réforme fiscale. Il préconise de repenser complètement le système fiscal algérien de sorte à assurer plus d’équité, mais aussi à élargir l’assiette et intégrer au mieux les commerçants informels en mettant en place les moyens de les attirer dans le circuit formel. Une amnistie fiscale doit accompagner une vision économique qui fait défaut chez les pouvoirs publics, estime le président de CARE pour qui les projets automobiles comme celui de Renault ne peuvent en aucun cas constituer une vision économique pour l’Algérie.