En donnant le feu vert à l’exploitation du gaz de schiste, pour prolonger le modèle fossile algérien en temps de la production déclinante, le président Bouteflika a opéré son deuxième coup de force, après celui du 4e mandat.
Le dernier conseil des ministres ayant entériné l’accord l’exploitation des formations argileuses et schisteuses dans le sous-sol algérien est définitivement interprété comme une autorisation officielle de l’exploitation d’une ressource énergétique controversée. Cette décision était prévisible, dès lors que la nouvelle loi sur les hydrocarbures avait déjà consacré l’Algérie comme étant le premier pays de l’Afrique du Nord à donner un cadre légal à l’exploitation des énergies non conventionnelles.
Cette nouvelle loi adoptée en février 2013, offre un assouplissement au régime fiscal pour promouvoir l’investissement étranger dans le domaine, en ce sens que les redevances sont adaptées en fonction des niveaux de production, et les impôts sur les revenus prennent en considération la difficulté et le risque dans les opérations d’exploration.
Une étape très significative a été également franchie avec le lancement en janvier 2014, du très « attendu » quatrième appel d’offres de l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (ALNAFT), pour l’octroi de périmètres de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures. Pour la première fois, les périmètres d’exploration se sont élargis aux bassins d’hydrocarbures non conventionnels, près d’une année après leur légalisation.
Les premiers permis attendus en septembre
On devrait assister, dès le 5 septembre 2014, à la signature des premiers contrats pour l’exploration des gisements de gaz de schiste en Algérie, dont les plus importants sont situés Tindouf, Ahnet / Timimoun, Reggane, Berkine-Ghadames, Illizi et Mouydir. Des compagnies pétrolières comme Shell, ENI, Talisman Energy, ExxonMobil, Anadarko ont été pré-qualifiées pour l’exploration de ces périmètres et, récemment, le groupe énergétique français GDF Suez a déclaré vouloir se lancer dans la prospection d’hydrocarbures non-conventionnels en Algérie.
Des majors spécialisés dans l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels avaient aussi fait leur plaidoyer en faveur des gaz de schiste, lors d’un séminaire sur cette thématique organisé par Sonatrach et l’Institut algérien du pétrole (IAP) en septembre à Alger. Une partie du coût de ce séminaire avait d’ailleurs été sponsorisée par Weatherford et Halliburton, l’un des plus grands producteurs des gaz de schiste aux USA et dans le monde.
Coûts, rentabilité et durée de vie
Parmi les plus farouches critiques de l’option du schiste en Algérie, une grande partie se recrute parmi les anciens dirigeants de Sonatrach, en leur qualité d’experts et de fins connaisseurs du secteur. Pour l’ancien PDG de Sonatrach, Nazim Zouiouèche, le gouvernement s’est basé sur des chiffres « extrêmement théoriques » de 27.000 milliards de mètres cube de « ressources », avancé par le département américain de l’énergie. «La ressource, c’est ce qu’il y a dans le sous-sol (…) ; la réserve, c’est ce que l’on peut espérer atteindre en production ; alors que le supply, c’est ce qu’on peut tirer de cette réserve, » a-t-il expliqué mardi dernier sur Radio M, la web radio de Maghreb emergent. Dans le cas des Etats Unis, la production se situe entre 7 et 10%, de ce qui peut être tiré de cette ressource, ce qui minimise considérablement les statistiques avancées par le gouvernement algérien. M. Zouiouèche avance ensuite le problème des coûts. Selon ses estimations, le coût d’un puits de schiste peut s’évaluer aujourd’hui entre 15 et 20 millions de dollars, avec des délais de réalisation 25% plus longs que pour un puits conventionnel.
Pour réaliser une opération de fracturation, il faut mobiliser entre 15 et 20.000 mètres cubes d’eau. A cette eau, il faut ajouter des tonnes de sable et énormément de produits additifs, dont la composante de certains est totalement classée secrète. Il y a enfin les équipements et les ressources humaines, qui sont totalement importés et dominés à 85% par deux géants, à savoir Haliburton et Schlumberger.
L’expert pose aussi le problème de la durée de vie des puits de gaz de schiste. Selon Zouiouèche, le déclin de la production est de l’ordre de 40% après une année seulement d’exploitation. « Ce qui signifie que l’on est obligé de forer à nouveau en permanence et le plus vite possible », explique-t-il. Pour produire environ 25 milliards de m3, il faut forer 600 puits. Les américains ont foré 500.000 puits pour produire 60 milliards de m3 de gaz de schiste représentant 7% de leur balance énergétique. D’où sa recommandation de n’exploiter le gaz de schiste qu’au bout de 20 ou 30 années, une fois la technologie et les coûts maitrisés.
Problématique environnementale
Sur les conséquences environnementales, le Chef de l’Etat s’est voulu rassurant, sans toutefois réussir à convaincre. Le gouvernement a été instruit « de veiller à ce que la prospection, et plus tard l’exploitation, des hydrocarbures schisteux soient menées en permanence avec le souci de préserver les ressources hydriques et de protéger l’environnement». En Algérie, on défend aussi, une « spécificité géologique » des gisements de gaz schiste éloignés des zones d’habitation, qui n’a rien à voir avec les terrains d’exploration aux Etats-Unis et en Europe.
Mais ces assurances, contenues aussi dans la nouvelle loi sur les hydrocarbures, sont difficiles à respecter et à mesurer sur le terrain, d’autant que le nouveau régime fiscal imposé aux firmes multinationales sur le taux de profitabilité ne devrait pas arranger les choses. « Le taux de profit maximum étant la logique de toute firme, le risque est d’assister, pour avoir un coût de puits avoisinant 6/8 millions de dollars, à l’intensification de forage de puits, sans se soucier de l’environnement dans des zones facilement exploitables,», estime Abderrahmane Mebtoul, économiste et expert en énergie.
La transition énergétique, point de convergence des pours et des contres
Au-delà des problématiques environnementale et de rentabilité du schiste, les experts algériens en énergie, qu’ils soient pour ou contre cette option, s’accordent sur l’urgence pour l’Algérie, d’amorcer sa transition énergétique.
Pour nombre d’entre-eux, les hydrocarbures non-conventionnels ne peuvent assurer un niveau acceptable de rentabilité qu’au-delà de 2025/2030. Et l’Algérie enregistre une baisse dans sa production d’hydrocarbures depuis plusieurs années, avec un recul des volumes exportés et des recettes liées au gaz et au pétrole.
Si le principal souci des pouvoirs publics est de revenir aux niveaux élevés de production des énergies fossiles d’il y a dix ou vingt ans, ces experts estiment que les leviers les plus urgents pour assurer l’équilibre du futur énergétique sont ailleurs : amorcer une transition du tout fossile vers un mix qui comprendrait les énergies renouvelables et la rationalisation de la consommation interne, à travers un relèvement des tarifs énergétiques, jugés extrêmement bas et générateurs de gaspillages et de trafics aux zones frontalières. Une option politiquement risquée pour le régime, donc complètement évacuée. Pour le moment.