La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane.
Le fait marquant de la semaine économique est, une fois n’est pas coutume, un papier signé de trois professeurs algériens. Les professeurs Raouf Boucekkine, Rafik Bouklia-Hassane, et Nour Meddahi ont pointé, dans une analyse documentée, le maintien du dinar au dessus de son prix d’équilibre une année après le début du contre choc pétrolier. Ils ont conclu en toute lucidité que le lobbying des importateurs algériens est puissant afin d’éviter un renchérissement des produits importés par la baisse du dinar. Attention, ce résumé de l’analyse des trois professeurs peut paraître caricatural. Le papier est solidement étayé. Il montre que face à l’Euro, le dinar algérien a curieusement développé une meilleure résilience à la baisse du prix du pétrole que la couronne norvégienne et que le rouble russe. La dépréciation – déflatée de l’évolution des prix domestiques sur la période- du dinar algérien face à l’ensemble des autres devises a été de 15,2%. Elle a été de 19,5% pour la couronne Norvégienne et de 24,8% pour le Rouble. La banque d’Algérie a situé, elle-même, à environ 5% la surcote du dinar par rapport à son prix d’équilibre. Pour les trois professeurs, il s’agit sans doute d’un seuil minimal de surcote. Pourtant le débat économique algérien effleure à peine la valeur du dinar lorsqu’il aborde les mesures à prendre face à la baisse de plus de 43% des recettes d’exportation sur les 5 premiers mois de 2015. Pourquoi ? Une première explication pourrait venir du fait que le dinar a baissé de 20% au nominal sur une année vis-à-vis du dollar. Cette dépréciation du dinar, conséquence du fait que les exportations du pétrole sont libellées en dollars US, n’impactent que la moitié des importations algériennes. Celles qui proviennent de la zone dollar. La dépréciation du dinar face au dollar n’a pas comme conséquence principal de rendre les importations plus chères mais surtout de gonfler les recettes budgétaires via la fiscalité pétrolière. Pour qu’elle ait une vraie incidence sur le volume des importations, il aurait fallu que le dinar baisse également vis-à-vis de l’Euro, monnaie dans laquelle s’effectue l’autre moitié des importations algériennes. Or et tout le biais de la politique de change algérienne se situe là : la valeur du dinar est restée inchangée vis-à-vis de l’Euro en dépit des déficits extérieurs qui se sont spectaculairement creusé en 2015. Plus déstabilisant encore : le dinar s’est, selon le papier cité, apprécié de 3% vis-à-vis de l’euro si on corrige la parité des inflations domestiques. Durant l’année juin 2014-2015 la couronne norvégienne déflatée a baissé de 2,2% vis-à-vis de l’Euro et le Rouble de 8,5%. Pourtant l’exposition de la Norvège et de la Russie aux revenus énergétiques dans leur balance des paiements est inférieure à celle de l’Algérie.
L’analyse des trois professeurs Boucekkine, Bouklia-Hassane, et Meddahi révèle finalement que la gestion du taux de change actuelle continue de favoriser les importateurs. Elle entretient un dinar surcoté qui soutient la compétitivité des produits importés. Simplement en répercutant, bien plus que la Norvège et la Russie, la baisse de l’Euro face au dollar dans la parité du dinar face à l’Euro. Le papier suggère même que les importations, si elles ont commencé à baisser en valeur n’ont sans doute pas baissé en volume. Des produits importés qui venaient en 2014 de la zone dollar, viennent désormais de la zone Euro soutenue par une parité avantageuse dinar-Euro. Ce qui a par exemple permis à M Emié l’ambassadeur de France en Algérie d’annoncer le retour de la France au rang de premier fournisseur de l’Algérie lors de son discours du 14 juillet dernier. Mais pourquoi le gouverneur de la banque d’Algérie, M Laksaci maintient t’il un modèle de fixing du dinar algérien qui empêche l’Euro de s’apprécier face au dinar alors que la balance commerciale avec cette zone s’est fortement dégradée ? Parce qu’aucun signal politique fort n’est venu clairement signifier qu’il fallait rendre les importations plus chères. Les arguments classiques sont connus : inflation importée et inélasticité des exportations algériennes à la valeur du dinar (un dinar plus faible ne dope pas l’exportation du pétrole et du gaz). L’analyse des trois professeurs balaye le premier argument avec deux chiffres. Les zones d’exportations vers l’Algérie sont encore engoncées dans la déflation ou l’inflation très basse. Pas de gros risque d’importer de l’inflation avec un ajustement à la baisse du dinar vers son prix d’équilibre. Quant à l’argument sur le « non-avantage » de la dépréciation du dinar sur les exportations algériennes, il pose la vraie question du long terme. Veut-on, oui ou non en Algérie lancer une industrie de substitution aux importations et de promotion des exportations pour sortir du tout hydrocarbures ? Ou préfère-t-on laisser les algériens consommer au dessus de leurs moyens réels pour quelques courtes années des produits importés soutenus par un dinar surcoté ? Admettons au moins, que là, ce n’est pas à Mohamed Laksaci de rendre les arbitrages.
A défaut d’arbitrages stratégiques qui réduisent l’avantage de change aux importations algériennes, la guérilla administrative du ministre du commerce, Amara Benyounes. Ce n’est pas trahir un secret que de rappeler ici que le ministère du commerce bloque arbitrairement les importations des entreprises étrangères basées en Algérie et spécialisée dans la « revente en l’Etat ». L’idée de base est empruntée aux tunisiens qui ont décrété, il y’a vingt ans sous Benali, ne pas avoir besoin des étrangers pour leur apprendre à importer vers la Tunisie. L’Algérie a fait cette concession de l’accepter au début des années 1990 dans une conjoncture économique désastreuse. Faut-il en sortir aujourd’hui ? Peut être. Mais le procédé cavalier utilisé par l’administration des douanes liée au service des fraudes du ministère du commerce, n’est pas digne d’un pays qui veut construire des partenariats solides avec le reste du monde. Quelle économie sur la valeur des importations permet d’obtenir un long retard d’enlèvement de marchandises importées par des sociétés étrangères basées en Algérie et spécialisées dans la distribution ? Négligeable. Quel impact sur le climat des affaires et la fiabilité des institutions en Algérie ? Dévastateur. Les propriétaires étrangers de ces entreprises de revente en l’Etat sont déjà amicalement invités à vendre leurs actions à des nationaux. Afin que les importations de leurs entreprises se débloquent. Est-ce donc le grand objectif de politique économique poursuivi par Amara Benyounes, algérianiser la partie des importations que contrôlent les étrangers en Algérie ? Pourquoi pas. Alors peut être un article de loi dans le code des investissements rendrait le procédé plus civilisé. Il faudra alors dans la transparence, expliquer comment ses sociétés doivent passer sous contrôle d’investisseurs algériens. Dernière question, nationaliser la fonction d’importation est il plus important que de réduire l’avantage de change dont elle bénéficie ? Les trois professeurs ont sans doute vu juste. Le lobby algérien des importateurs est encore plus puissant que supposé. Il n’a pas seulement enrôlé gouvernement et banque d’Algérie dans la subvention du dinar importateur. Il s’est vite mis en situation de s’emparer à moindre prix des sociétés étrangères qui importent en Algérie.
(*) Article publié par le quotidien El Watan du 20 juillet 2015.