Bouteflika, du plus inattendu des destins à la chute de sa bonne étoile - Maghreb Emergent

Bouteflika, du plus inattendu des destins à la chute de sa bonne étoile

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 Abdelaziz Bouteflika a eu tort de croire à sa bonne étoile au-delà de son plus « beau moment » d’éclat, sans doute vers la fin de son deuxième mandat en 2008-2009. L’ancien président disparu ce vendredi a bénéficié de circonstances exceptionnellement avantageuses dans son parcours. Mais pas toujours. 

Il est vrai que jusque là, elle l’avait, à travers milles embuches, conduit au plus inattendu des destins. Né en 1937 dans une modeste famille de migrants Algériens à Oujda au Maroc, il quitte le lycée Abdelmoumene  à 19 ans pour répondre à l’appel de l’UGEMA de mai 1956 et rejoint les camps de formation de l’ALN au Maroc. Pendant les 22 années suivantes sa bonne étoile aura l’apparence d’un rouquin filiforme et taciturne qui va connaître une ascension fulgurante jusqu’à la tête de l’état-major de L’ALN. Houari Boumediene, son ainé de 5 ans, apprécie la vivacité d’esprit de cette jeune recrue et la prend sous son aile. Abdelaziz Bouteflika, chargé de plusieurs missions délicates en tant que contrôleur de l’ALN, puis d’émissaire de l’état-major au Mali en 1961, démontre des qualités politiques de négociateur qui, pour le coup, devront plus à son intelligence situationnelle qu’à sa bonne étoile. En décembre 1961, il réussit pour ses amis de l’ état-major , sa mission la plus délicate. Dans le conflit ouvert entre, d’une part le GPRA présidé par Benyoucef Benkhedda, mais dont l’homme fort et Krim Belkacem, et d’autre part l’état-major de l’ALN,  ce dernier joue perdant sans leader politique reconnu. L’anonyme capitaine Abdelaziz Bouteflika, 24 ans, est envoyé à la prison d’Aulnoy en France pour proposer de sceller un pacte avec un chef politique parmi les historiques afin de l’opposer au GPRA au moment de l’indépendance. Il réussit à se faire passer pour le marocain Driss Boukharta, proche famille d’un des détenus, faux passeport à l’appui, et rencontre  au parloir tour à tour Boudiaf et Ben Bella. L’alliance qui en naitra, avec Ben Bella, donnera lieu au premier régime de pouvoir de l’Algérie indépendante au détriment du GPRA et d’une grande partie des maquisards de l’intérieur. Après Houari Boumediene l’architecte de l’armée des frontières, Ahmed Ben Bella, leader charismatique de la révolution, proche de l’Egyptien Nasser, est une très bonne pioche pour Abdelaziz Bouteflika. Il avait aussi le don de vite repérer les bons sillages à prendre dans sa jeune carrière.   

Le plus jeune ministre au monde 

Jusque là tout va bien pour le jeune enfant de Oujda aux yeux bleus. Ministre de la jeunesse et des sports et député de Tlemcen à l’assemblée constituante, c’est un destin funeste pour autrui qui va  faire briller le sien. Mohamed Khemisti est assassiné en mai 1963, Abdelaziz Bouteflika assure son intérim à la tête de la diplomatie algérienne. C’est le début d’un récit fondateur de sa « légitimité » plus tard lorsqu’il aspirera à la plus haute des fonctions. Un récit imparfaitement linéaire. Le 28 mai 1965, se sentant cerné par le clan de Oujda et « doublé » par une « diplomatie parallèle » de son jeune ministre des affaires étrangères, le président Ben Bella renvoie Abdelaziz Bouteflika. Sa bonne étoile l’a t’elle lâchée ? L’éviction du jeune prodige du clan de Oujda accélère la conspiration contre la présidence Ben Bella. Bouteflika revient par « la grande porte » du coup d’Etat du 19 juin qu’il aura eu tout le loisir de coordonner durant sa déchéance de 22 jours. Il est définitivement cette fois, le plus jeune ministre des affaires étrangères du monde. Excellent bilingue, à l’aise avec le verbe, il va incarner l’insolence romantique d’un jeune Etat révolutionnaire. L’influence de la diplomatie algérienne surfe sur les mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie. Bouteflika a porte ouverte chez les chefs d’Etat amis. Il s’assit  aussi à la table des puissants du monde.  Ce sont ses plus belles années dans cette fonction, consacrée par la présidence de l’assemblée générale des Nations Unis en septembre 1974. 

Les premiers accros 

Les quatre dernières années du règne de son grand frère Houari Boumediene – 1974-1978 – vont être plus compliquées pour le jeune coq de la diplomatie algérienne. Il travaille de moins en moins – Belaid Abdeslam évoque dans un de ses livres sa fâcheuse tendance à ne pas potasser les dossiers -, séjourne de plus en plus longuement à l’étranger,  mène une vie joyeuse de célibataire qui aurait fait le bonheur des magazines people à une époque postérieure. C’est aussi la période où s’accumule les soupçons sur la destination finale des reliquats annuels de budget des ambassades algériennes dans le monde. La Cour des comptes jugera plus tard qu’ils ont été détourné vers deux comptes bancaires en Suisses que seul Abdelaziz Bouteflika opérait.  Les rivalités idéologiques s’attisent. Le ministre des affaires étrangères désapprouvent l’étatisation outrancière de l’économie et se montre réservé sur la stratégie industrielle « autocentrée » de Belaid Abdeslam. Lorsqu’arrive, dans l’effroi général , l’heure inattendue de la succession, l’enfant gâté du système Boumediene a déjà collectionné les inimitiés au sein du conseil de la Révolution. Il pourra toujours lire l’oraison funèbre de son ami et le pleurer. Mais sans plus. Ses chances d’obtenir le soutien de l’armée pour l’investiture du FLN sont compromises avant même l’ouverture du conclave au palais des Congrés du club des Pins. L’ANP choisira un des siens et pas celui, Mohamed Saleh Yahiaoui qui se posait en candidat. La bonne étoile du jeune lycéen pressé de Oujda a momentanément disparu dans son ciel. Avec les adieux à celui qui l’incarnait, Houari Boumediene. 

Un autre homme en 1998 

Elle réapparaitra à nouveau dans son ciel le 11 septembre 1998, lorsque le président Lamine Zeroual, en désaccord avec les chefs de l’ANP, jette l’éponge, à la surprise générale. Abdelaziz Bouteflika n’a pas fait une traversée du désert de 19 ans. Il a pu revenir en Algérie dés janvier 1987, au prix d’un arrangement avec Chadli Bendjedid tenu secret à ce jour, après avoir été inquiété par la Cour des Comptes, pour son détournement avéré des reliquats des ambassades.  La relation à l’argent de l’ancien ministre des affaires étrangères a toujours était, bien plus que sa relation aux femmes, son talon d’Achille. Libre de ses mouvements, il vendra très cher, pendant de longues années, ses prestations de consultant à  son nouvel ami le Cheikh Zeid Ben Sultane Al Nayhane, fondateur des Emirats Arabes Unis. Basé entre Genève ou il fait prospérer son patrimoine multiforme et  Abu Dhabi ou il complète ses revenus, Abdelaziz Bouteflika est toujours à l’affut de la conjoncture à Alger. Ce n’est pas tant octobre 88 que l’impasse politique créer par l’arrêt du processus électoral, en janvier 1992, qui lui permettra de revenir dans le jeu politique. Il refusera une première fois la fonction de président de l’Etat en janvier 1994 avant de se laisser convaincre, cette fois, par Larbi Belkheir , le faiseur de président au sein du cabinet noir de la république. Le Abdelaziz Bouteflika qui retrouve sa bonne étoile en 1998-1999 n’a pas beaucoup avoir avec le jeune capitaine de l’ALN qui s’est risqué dans la prison de Aulnoy pour pactiser avec Ben Bella et mettre en selle le premier format de système de pouvoir algérien. Il est déjà un homme riche, fort d’un réseau international puissant, et surtout un homme convaincu que l’Algérie, son armée et sa classe politique, a eu tort de le laisser au bord du chemin pendant si longtemps. Il en sera tellement convaincu qu’il ne voudra plus céder le siège présidentiel. Mais cela est la prochaine histoire. 

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