Cette contribution part des récentes orientations du président Bouteflika en matière de politique énergétique pour rappeler les mesures les plus urgentes à prendre si l’Algérie veut réussir rapidement sa nécessaire transition des énergies fossile aux énergies renouvelables.
Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a présidé le 22 février 2016 un conseil restreint consacré à la politique nationale dans le domaine du gaz et posant la problématique de la transition énergétique avec des orientations importantes : la poursuite et l’intensification de la prospection des ressources en gaz naturel, le respect des plannings d’amélioration des capacités de production des gisements en d’exploitation, la dynamisation du programme de développement des énergies renouvelables adopté en Conseil des ministres en mai 2015 et, enfin, la poursuite des efforts de rationalisation de la consommation d’énergie.
C’est que l’Algérie est confrontée à la perspective d’épuisement de ses réserves. Le communiqué du conseil des ministres, en date du 6 octobre 2015, a fourni un état des lieux alarmant. La production d’hydrocarbures, qui avait plafonné, en 2007, à 233 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), a, par la suite, connu une régression continue pour atteindre 187 millions de TEP en 2012, avant d’amorcer une légère hausse l’année suivante. La consommation nationale de produits énergétiques a quasiment doublé entre 2000 et 2014 (elle atteint 51 millions de TEP), et les réserves d’hydrocarbures s’élèvent à 4.533 millions de TEP (soit 44% des réserves récupérables initiales), dont 1.387 millions de tonnes de pétrole et 2.745 milliards de mètres cubes de gaz naturel.
Il est utile de rappeler ici que 98% des exportations du pays sont issues des seuls hydrocarbures et qu’il importe environ 70-75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées. Les exportations d’hydrocarbures ont généré quelque 800 milliards de dollars de recettes en devises entre 2000 et 2015 et ont permis des importations en devises dépassant 650 milliards de dollars selon les bilans de Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures. Cette manne a permis à l’Algérie d’éteindre sa dette extérieure, de diminuer (artificiellement) sa dette intérieure, de disposer de réserves de change et de faire des investissements colossaux dans les infrastructures qui ont absorbé plus de 70% des investissements mais avec des surcoûts exorbitants.
4 mesures indispensables
Que faire aujourd’hui pour aller dans le sens d’une transition énergétique non seulement souhaitable mais aussi indispensable ?
Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique.Cela renvoie à de nouveaux comportements des consommateurs et, surtout, à une nouvelle politique, notamment de l’industrie et de l’habitat, ainsi qu’à des prix ciblés(leprix de cession du gaz sur le marché intérieur est environ un dixième du prix international).
Selon une récente étude du PNUD ayant exploité les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Algérie figure parmi les pays arabes qui subventionnent le plus les produits énergétiques, avec 10,59 milliards de dollars annuellement. L’électricité, elle, bénéficie de 2,13 milliards dollars de subventions annuelles. Pour les carburants, selon le ministère de l’Énergie et des Mines, le prix réel devrait fluctuer entre 60 et 80 DA le litre. Concernant le prix de l’électricité plafonné, Sonelgaz, suggère que le tarif soit revalorisé de 11% par an pour pouvoir financer ses investissements, induits par l’augmentation de la capacité de production, accusant une perte de plus de 80 milliards de dinars.
Le second axe est l’investissement en amont pour réaliser de nouvelles découvertes mais en ciblant les gisements rentables. L’Algérie connaît une régression de sa production en volume physique. Elle perd des parts de marché (13/14% pour le gaz sur le marché européen en 2007-2008 mais 8% seulement en 2015).
Le troisième axe est le développement des énergies renouvelables. L’Algérie a réceptionné à la mi-juillet 2011 la centrale électrique hybride à Hassi R’mel, d’une capacité globale de 150 MW, dont 30 MW provenant de la combinaison du gaz et du solaire. Cette expérience est intéressante. La combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie.
La Commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG) a annoncé des mesures destinés à accompagner la mise en œuvre du programme algérien de développement des énergies renouvelables. L’obligation aux producteurs de raccorder leurs installations au réseau national interconnecté de distribution d’électricité constitue la principale condition de ce nouveau dispositif dont la mise en place répond à la nécessité d’adopter un nouveau mécanisme d’encouragement à la production des énergies renouvelables. Les filières concernées par ces avantages sont le solaire photovoltaïque et thermique, l’éolien, la géothermie, la petite hydraulique, la biomasse, la valorisation des déchets et les installations de cogénération, l’institution d’un certificat de garantie d’origine des équipements et installations de production d’électricité de source renouvelable, l’instauration d’un nouveau mécanisme qui fera bénéficier tous les producteurs éligibles des tarifs d’achat garantis, le producteur d’électricité devant vendre exclusivement l’énergie aux sociétés de distribution dépendant de la Sonelgaz et respectant un tarif préférentiel dont le seuil est fixé par le ministère de l’Energie sur proposition de la CREG.
Des mesures incitatives sont prévues par une politique volontariste à travers l’octroi de subventions pour couvrir les surcoûts induits sur le système électrique national et la mise .en place d’un fonds national de maîtrise de l’énergie (FNME) afin d’assurer le financement de ces projets et octroyer des prêts non rémunérés et des garanties pour les emprunts effectués auprès des banques et des établissements financiers.
Le programme algérien consistait au départ à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22.000 MW dont 12.000 mégawatts par an dédiés à couvrir la demande nationale d’électricité et 10.000 MW à l’exportation. D’ici 2030, environ, 30-40% de la production d’électricité destinée à la consommation nationale serait ainsi d’origine renouvelable.
Le montant de l’investissement public consacré par l’Algérie à la réalisation de son programme de développement des énergies renouvelables, à l’échéance 2030, qui était au départ fixé à 60 milliards de dollars s’élèvera, selon le ministère de l’Energie, à 100 milliards de dollars portant ainsi la capacité à 36.000 Mégawatts. Le problème qui se pose, cependant, est le suivant : l’Algérie aura-t-elle les capacités financières et la maîtrise technologique pour éviter les surcoûts ? N’est-il pas préférable de réaliser ce projet grandiose dans le cadre de l’intégration du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique ?
Une transition politique est également nécessaire
En résumé, l’Algérie est confrontée à l’urgence d’une transition énergétique maîtrisée s’insérant dans le cadre global d’une transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures. Il faut, excepté pour les secteurs stratégiques, lever la règle des 49-51% inadaptée à toutes les filières ainsi que toutes les contraintes bureaucratiques d’environnement qui freinent l’expansion de l’entreprise créatrice de valeur ajoutée, quelle soit publique ou privée, locale ou internationale.
La transition énergétique est également conditionnée, enfin, par un profond réaménagement des structures du pouvoir algérien assis sur la rente, assistant un Etat artificiellement riche, avec le risque – en cas de non-changement de cap socio-économique et un cours bas des hydrocarbures – d’une aggravation de la pauvreté et des tensions sociales généralisées.
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.