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Ce que révèle l’affaire des cachets de la présidence (contribution)

Par Maghreb Émergent
mars 30, 2019
Ce que révèle l’affaire des cachets de la présidence (contribution)

Un fait divers anodin, semble-t-il, vient d’attirer notre attention, cette semaine, dans le monde vaseux du journalisme algérien.

En effet, Ali Fodil, PDG du groupe Echorouk, quoi que l’on pense de ce média, avait déclaré sur Echorouk News, l’invraisemblable information selon laquelle, « le cachet de la Présidence est subtilisé et volé par le frère d’Abdelaziz Bouteflika, Saïd Bouteflika, qui risque de l’utiliser pour décréter des décisions vitales pour l’avenir du pays », rien que cela ! En outre, Ali Fodil, PDG du groupe Echorouk, affirme avoir été interpellé par les services de renseignements relevant du centre Antar à Alger, en raison de ses propos sur Said Bouteflika, conseiller du président de la République.

Il persiste et signe sur le média TSA, en entrant dans moult détails des conditions de son interpellation : « ce jeudi matin, vers 10h, je me dirigeais vers le siège du groupe Echorouk, à Jolie Vue. En cours de route, trois véhicules banalisés ont braqué ma voiture à la manière hollywoodienne, sur l’autoroute entre Ben Aknoun et Dar El Beida, au niveau de la bretelle menant à Kouba. Des hommes armés, en civil, m’ont demandé de descendre de ma voiture. J’ai refusé. Ils m’ont dit alors qu’ils sont des agents des services secrets du centre Antar qui dépend du général Bachir Tartag.

Ils m’ont expliqué que je devais les suivre pour une enquête. Ils m’ont mis les menottes pour m’installer dans un autre véhicule… Au niveau du Centre Antar, j’ai été bien accueilli. Ce n’était pas un interrogatoire, mais une discussion qui a duré plus d’une heure dans le respect. J’ai été libéré ensuite… Durant l’échange avec les officiers de l’ex-DRS, des questions m’ont été posées sur mon intervention sur Said Bouteflika ».

La chaîne Echorouk News nous apprend que « c’est le procureur de la République qui a ordonné la remise en liberté de M. A. Fodil ». De son côté, dans un communiqué, « le procureur général près la Cour d’Alger porte à la connaissance de l’opinion publique qu’aucune procédure n’a été mise en œuvre contre l’intéressé qui puisse justifier son arrestation ».  Il confirme qu’« un des services relavant de la police judiciaire confirme l’avoir arrêté pour des motifs d’enquête préliminaire qui a été déclenchée sans avis préalable du Parquet compétent tel que l’exige le Code de procédure pénale. Cette procédure n’étant pas justifiée au regard de la loi, le procureur général a ordonné la libération immédiate du suscité, tout en ordonnant l’ouverture d’une enquête sur ces faits ».

Enfin, le summum de cette affaire est atteint lorsque  Ali Foudil se félicite après sa remise en liberté, en déclare : « Je remercie l’institution militaire pour cette intervention parce que quand l’armée intervient pour protéger la loi, c’est un bon indice que l’institution militaire est une institution constitutionnelle » ! Après mûres réflexions, le PDG groupe médiatique Echorouk, a annoncé son intention de poursuivre en justice la partie qui a « procédé à mon enlèvement ».

Cette « rocambolesque affaire » aurait prêté à dérision si elle ne révélait pas une profonde décrépitude de la gestion des affaires de l’Etat et de sa privatisation par le Président, sa fratrie et son clan. En effet, pour avoir servi, au plus haut de la hiérarchie de l’Etat, durant plusieurs années, je connais parfaitement les procédures et les instruments qui régissent la signature des textes les plus importants de l’état (lois, décrets, arrêtés, avis et circulaires…) et notamment l’apposition des cachets humides (encre) et sec (relief) par les autorités compétentes qui les détiennent légalement, directement ou par délégation.

Si ces accusations sont vérifiées, comment se fait-il donc que ces instruments de souveraineté et opérationnelle, puissent se « balader entre les mains » de personne qui n’ont en pas la qualité express, prévue par un texte législatif ou réglementaire ? Tous les hautes fonctionnaires savent très bien, qu’après leur nomination à un poste, le récipiendaire attend patiemment la publication de la délégation de signature, pour pouvoir agir dans tous les actes de ses attributions et en premier lieu, le Président de la République qui tient son pouvoir es-qualité, après son élection. Ce pouvoir de signature est ensuite distribué, dans des formes précisées par des textes législatifs et réglementaires aux différents délégataires.

Les cachets (humide ou sec) donc, apposés au bas de tous actes administratifs et autres, représentent l’autorité de l’état dans toutes ses attributions, conférées par la loi et sont complétés pour authentification par une signature ou un paraphe du seul concerné. Aucune exception ne peut venir déroger, sous peine de nullité à cette procédure, de qui que ce soit ou d’une quelconque institution, exception faite, du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat qui peuvent, après une longue procédure codifiée, remettre en cause, dans le fond et la forme, les textes qui sont ainsi validés par le cachet et la signature, de leur auteurs qualifiés, chacun pour ce qui le concerne.

Comment et pourquoi le frère du Président s’est-il, présumé, accaparé les cachets présidentiels et pour quel dessein ? Car le fond du problème réside dans l’utilisation de ces instruments de souveraineté et non de leur possession elle-même. En effet, les conserver dans un endroit sécurisé, tombe sous le sens, de manière à ce qu’ils ne soient pas utilisés à des fins inavouables. Mais qui est en charge de les conserver et de les protéger ? Certainement pas le frère du Président ni d’ailleurs aucun personnage hors attributions réglementaires.

Autant que je connaisse les usages, après signature des documents, les services du secrétariat général du président, apposent les cachets et non le Président lui-même (les purges récentes de hauts fonctionnaires à la Présidence s’expliquent alors) ! Mais le fond du problème n’est pas procédurier, il réside ailleurs et pour le comprendre il faut se demander qui a peur que ces cachets soient utilisés contre lui, au sommet du pouvoir ? C’est certainement celui qui a demandé à Ali Fodil de « balancer cette accusation » dans son média (sans qu’il n’en calcule les tenants et les aboutissants), fondée ou non mais certainement, à titre préventif. Cela explique, en partie, ses remerciements, pas si ubuesques que cela, à « l’institution militaire » à sa libération, emporté par une vague qui le dépasse de très loin car des nominations et des mises en fin de fonction sont en gestation souterraine et l’enjeu est vital pour les différents clans du pouvoir. Et pour ce faire, les cachets présidentiels sont cruciaux pour ceux qui les détiennent et tentent de s’en servir. Après le cachir, les cachets vont entrer dans l’histoire de notre pays.  

Dr Mourad GOUMIRI, Professeur associé.

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