Comment la sentence de Macron contre le 51-49 va en retarder la réforme plutôt que de la hâter - Maghreb Emergent

Comment la sentence de Macron contre le 51-49 va en retarder la réforme plutôt que de la hâter

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La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane dans El Watan a traité du thème clé des investissements étrangers en Algérie remis à l’avant de l’actualité par la visite présidentielle d’Emmanuel Macron à Alger.

 

Le président français Emmanuel Macron a lâché une petite phrase  à Alger qui résume en bonne partie des rendez vous manqués entre l’Algérie et la France ces dernières années.  « Aucun pays n’a assuré son développement économique avec une règle du 51-49 % ».  Bien sur ce n’est pas le type de sentence qui se dit à un officiel algérien. C’est bien à cela que servent les rencontres avec les acteurs – plus autonomes- de la société civile et du monde des affaires. Le fait est que c’est dit. A priori, ce point de vue représente simplement l’expression des intérêts économiques français en Algérie. En réalité, pas seulement. La règle du 51-49 a ralenti le flux des capitaux entrants en Algérie. Un tarissement souligné chaque année depuis 2013 par l’enquête du réseau Anima des IDE en méditerranée. L’Algérie capte aujourd’hui en moyenne annuelle moins de 500 millions de dollars par an d’investissement étrangers pour trois milliards pour le Maroc. La balance capital du Maroc est certes affectée par les sorties annuelles des dividendes de ses « libres » investisseurs étrangers. Mais son solde global demeure largement positif car les IDE stimulent les exportations industrielles. Le verdict de Macron  sur la règle des 51-49 a déjà suscité un début de polémique sur les réseaux sociaux. Souveraineté algérienne et exemple chinois et indiens sont cités en réponse. Les arguments ne tiennent pas et le factuel ne change pas. La Chine et l’Inde offrent aux investisseurs des marchés de plus d’un milliard de consommateurs et n’appliquent la règle du 51-49 que dans des filières sélectionnées comme stratégiques. La majorité pour les nationaux est plus souvent l’exception que la règle, même si l’obligation de s’associer à un local est systématique. Les responsables politiques algériens, ministres et ex- ministres, chefs de partis, proches du clan présidentiel – se disent, en privé, pour leur très grande majorité piégés dans le 51-49. Mais incapables de le réformer car « c’est la volonté du président Bouteflika de le maintenir ainsi ». Un peu comme le non recours à l’endettement extérieur, ou l’ouverture du hertzien aux radios privées.  Lorsque Macron évoque l’obstacle au développement que sont les trop fortes barrières à l’entrée du capital étranger, il travaille pour ouvrir de nouvelles destinations attractives à l’investissement des entreprises françaises. Il est dans son rôle. Encore qu’il peut se faire attaquer par les souverainistes français qui l’accuseront de faire la promotion de la délocalisation vers l’Algérie.  Mais il pense aussi qu’un partenaire qui attire plus et mieux d’investissements étrangers se développe plus vite, améliore ses revenus internes, fixe mieux ses populations, et devient un meilleur marché pour le made in France. Dans la trajectoire du long terme, Emmanuel Macron plaide pour un système d’échange plus ouvert ou le partenaire Algérie se rapproche de ses standards mondialisés.  La réforme du 51-49 n’est certes pas la panacée pour se mettre à aimanter vers l’Algérie les flux de l’épargne mondiale à la recherche d’emploi à bons rendements.  Son maintien en l’état scelle rapidement le sort de la destination Algérie pour le capital financier.

Le FNI partenaire dormant et coûteux

Il existe suffisamment de recul aujourd’hui en Algérie pour tirer de premiers éléments de bilan dans le fonctionnement du 51-49. D’abord le dispositif a exclu de fait et pendant longtemps le privé algérien des montages sous ce régime. Il a principalement concerné que de grands groupes français (AXA, Renault, Alstom, Sanofi…) et mobilisé une partie algérienne publique. Soit une entreprise publique (SNVI, Saidal, BEA, …) soit le fonds national d’investissement FNI. L’expérience montre que les parties algériennes, non concernées par le management, se conduisent le plus souvent comme des (sleaping partners), actionnaires dormants. Ils resituent en cela les préoccupations de l’actionnaire public. Le 51-49 vise, dans son acception algérienne, à stopper la « saignée » de la sortie des dividendes qui a choqué le président Bouteflika à la fin de l’année 2008 (7 milliards de dollars cette année là).  Pas à réaliser une intégration des métiers en Algérie et à développer une valeur ajoutée chez le partenaire local. Conséquence, les résultats commencent à montrer toute la perfidie du dispositif. AXA Algérie n’a jamais coûté le moindre euro à la banque d’Algérie en rapatriement de dividende. De même que Djezzy nationalisé (2.6 milliards de dollars) selon la même quête de réduction des rapatriements de dividendes. Axa Algérie va réduire la voilure dans son développement dans le pays (sans que ces 2 partenaires FNI et BEA, ne puissent rien changer) et  Djezzy a du mal à se remettre de la maltraitance qu’il a subit des autorités algériennes pour forcer la main de ses propriétaires – d’abord égyptien puis russes- d’en céder la majorité. La philosophie algérienne du 51-49 est exaucée dans les deux cas de AXA Algérie et de Djezzy. L’économie des sorties de dividendes est accomplie. Au prix d’une destruction de marges de développement de l’investissement s’il avait été laissé plus largement entre les mains de l’actionnaire investisseur étranger ? Il y’a des raisons de le penser. Tout le monde connaît les parades des multinationales face à la restriction de leur profitabilité par la rémunération du capital. L’une d’entre elles, la manipulation des prix de transfert intra-groupe, a largement fonctionné ces dernières années en Algérie. Elle consiste a gonflé la facture des importations de biens ou de services liées à l’activité dans le pays afin d’en faire bénéficier la maison mère. Le résultat qui ne peut pas être rapatrié généreusement en clôture de bilan, l’est en réalité en cours d’exploitation. Sanofi Algérie a été épinglé, et son directeur condamné, pour cela il y ‘a trois ans. Le 51-49 ne défend pas mieux les intérêts de la balance des paiements si les actionnaires algériens ne sont pas affranchis. Un partenaire privé lié en toute indépendance avec un investisseur étranger est beaucoup plus vigilant pour ne pas subir des surcoûts d’exploitation qui rognent son revenu lié au capital. Il faut s’attendre à un scénario voisin dans le montage de Renault Algérie avec SNVI et FNI. Pas de dividendes à exporter. Mais des  à kits à assembler en Algérie importés à des prix qui aspirent les devises correspondant à la profitabilité du projet.  Tout pour le partenaire étranger, rien pour le local. Qui détient pourtant 51% du capital.

Le gouvernement ne réagit qu’à l’attractivité « minière »

Le gouvernement algérien est il totalement insensible à l’amélioration de l’attractivité de son économie pour l’investissement direct étranger ? En fait, il est sensible à la contre-performance attractive lorsqu’il s’agit du domaine minier algérien. Car bien sur l’Algérie a réussit le tour de force d’avoir l’un des domaines miniers  (pétrole et gaz) les moins exploré au monde et d’en avoir éloigné les compagnies étrangères depuis 2004. Le gouvernement Ouyahia a annoncé parmi les toutes premières mesures de son investiture sa volonté de réformer la loi sur les hydrocarbures pour attirer à nouveaux les investissements étrangers dans l’amont pétrolier algérien. Le diagnostic est posé, la loi actuelle est bloquante, non pas seulement par son dispositif fiscal (amendé en 2013 par le gouvernement Sellal), mais par son incohérence d’ensemble. Le gouvernement devrait tirer les mêmes enseignements au sujet de l’investissement étranger hors hydrocarbures, en berne depuis la LFC de 2009 et l’introduction du 51-49 et du droit de préemption systématique au moindre changement dans les statuts des sociétés à capitaux étrangers. Il ne le fait pas. La baisse tendancielle de la production algérienne d’hydrocarbures, combinée au tassement des cours du pétrole, prive le pouvoir politique de sa manne d’exercice de l’hégémonie sur la société, la fiscalité pétrolière. Rétablir cette manne dans l’urgence fait éclater toutes les convenances. La réforme de la loi sur les hydrocarbures pour se remettre à produire plus de pétrole et de gaz avec des partenaires étrangers est donc un instrument de survie politique. Tandis que la relance de l’investissement étranger en Algérie dans les secteurs d’avenir de l’industrie, des services et de l’économie du savoir n’est pas perçue comme un enjeu de Trésor public d’importance. Juste comme un moyen d’enrôler dans des partenariats en 51-49 quelques entreprises publiques à soutenir et quelques amis privés à renforcer. L’Etat réfléchit en caste privative. Il est prêt à faire de nouvelles concessions pour être attractif là ou le gain le sert directement (fiscalité pétrolière) et refuse de faire bouger son président hors champ sur un flanc essentiel de l’attractivité qui condamne le pays au retard systémique sur des dizaines d’années.  Reste une option. Faire mentir Emmanuel Macron. Et devenir le premier modèle d’un pays qui se développe vite en tournant le dos aux capitaux étrangers. On n’a pas envie de rester jusqu’à  la fin pour voir.

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