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Coronavirus et chute du prix du baril : sauver les PME algériennes, une urgence absolue

Par Maghreb Émergent
mars 23, 2020
Coronavirus et chute du prix du baril : sauver les PME algériennes, une  urgence absolue

La pandémie du Coronavirus est en passe de paralyser de larges pans de l’économie algérienne.  Les mesures prises jusqu’à maintenant ne concernent que l’aspect sanitaire de de cette grave crise. Une priorité compréhensible, mais l’arrêt quasi-total de la vie économique par le confinement effectif sans aucune mesure claire d’accompagnement économique et financière pose problème.

Pour l’instant le seul secteur évoqué officiellement par les autorités est celui de l’administration, autorisée à libérer 50% de son personnel, en plus des femmes ayant des enfants à charge, sans impact sur leurs salaires. Qu’en est-il des autres catégories, dans le secteur public et privé, soit plus de 80% des salariés ? Qui supportera leurs salaires qui devraient continuer à être versés ? Et comment leurs employeurs payeront-ils leurs impôts et leurs charges sociales, puisqu’aucune disposition de report ou d’annulation n’est, pour l’instant du moins, prévue par les services fiscaux et sociaux ? Cette situation nouvelle liée à la crise sanitaire va accentuer les difficultés auxquelles sont confrontées la majeure partie des PME. Cette crise du coronavirus risque d’être le coup de grâce à un tissu de PME malmené depuis plusieurs années.

CARE, un « Plaidoyer pour la sauvegarde de l’entreprise »

Dans ce contexte anxiogène que le Cercle Algérien de Réflexion sur l’Entreprise (CARE) et le Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise (CJD) ont publié un document intitulé « Plaidoyer pour la sauvegarde de l’entreprise algérienne. Le document a été transmis aux autorités algériennes et aux institutions qui interagissent avec l’entreprise ainsi qu’aux médias. Les grandes lignes de ce plaidoyer ont été présentés par Nadir Laggoune, consultant, membre de CARE, lors de l’émission « L’invité du Direct » de Radio M. Il a souligné l’importance cruciale des propositions contenues dans ce document dans cette période d’arrêt quasi-total de l’activité économique. Les difficultés rencontrées l’entreprise algérienne sont bien antérieure à cette crise. Depuis 2014, la compression de la commande publique a impacté pour plus de 75% les cahiers de charges des entreprises algériennes privées. Le recul des commandes s’est accompagné de retards dans les règlements des travaux réalisés, ce qui a mis à rude épreuve la trésorerie des entreprises constituant l’essentiel du tissu des PME du pays. L’année 2019 qui s’est caractérisée par une grande instabilité politique, une paralysie de la prise de décisions et absence totale de perspectives a enfoncé plus encore les PME.

Selon Laggoune, les pouvoirs publics, tout comme les grands groupes publics et privés, doivent envoyer des signaux forts car les entreprises qui disparaitront pendant cette crise ne reviendront plus.

CARE préconise des dispositions à prendre en urgence pour le court terme en faveur des entreprises, d’autres concerneront le moyen terme. La situation de paralysie induite par le confinement va se traduire par la mise à l’arrêt dans les prochaines semaines de la majeure partie des PME mais également des commerces. 

Les mesures préconisées sont :

1/ Un moratoire fiscal et parafiscal pour les entreprises en difficulté.  Une disposition sérieuse, comparée au simple report d’un mois du dépôt des impôts et taxes (G50) du mois de février décidée surtout pour protéger le personnel des Recettes communales en cette période de pandémie. Cette mesure devrait permettre le report du paiement des charges fiscales et sociales pour au moins six mois à compter de février. L’annulation d’une partie de ces charges pourrait même être envisagée en coordination avec les associations patronales et des commerçants.

2/ Abrogation des nouvelles dispositions de la LF 2020 : la taxation des bénéfices non distribués avec effet rétroactif aux trois dernières années, la limitation à 1% du chiffre d’affaire des dépenses liées à la promotion des produits pharmaceutiques et enfin la baisse du plafond soumis au forfait de 30 à 15 millions de DA pour éviter que certains opérateurs basculent dans le secteur informel et donc échappent complétement à l’impôt.

L’objectif de ces amendements qui peuvent faire partie de la Loi de Finances Complémentaire en cours de préparation est de rendre, selon Care, « l’impôt juste et équitable ». Les pouvoirs publics doivent impérativement élargir l’assiette fiscale au lieu d’opter pour les solutions de facilité, qui consistent à piocher chez les mêmes opérateurs contribuables. Le secteur informel pourrait contribuer grandement à cet élargissement. Un large débat inclusif doit être ouvert avec les experts et les opérateurs économiques pour l’identification des moyens pour y arriver.

3/ Abrogation de l’article 23 de l’instruction no 74-94 du 29/11/1994 de la Banque d’Algérie, limitant les lignes de découverts bancaires à 15 jours de chiffre d’affaires du bénéficiaire. Ce seuil, qui date de 26 ans, a montré ses limites. La Banque Centrale doit laisser la liberté aux institutions bancaires d’arrêter avec leurs clients le seuil qui les aide, tout en préservant les règles prudentielles.

4/ Rééchelonnement des crédits par les banques (avec obligation de paiement des intérêts). Cette disposition devient aussi très urgente avec l’arrêt quasi-total de l’activité économique. Là aussi les banques, surtout publiques, doivent pouvoir renégocier un nouvel échéancier adapté aux capacités réelles de remboursement de leurs clients.

5/ Obligation des institutions de l’Etat et les Grandes Entreprises, publiques et privées, de régler les factures des PME dans un délai n’excédant pas 60 jours, voire même 30 jours dans certains cas, car leur trésorerie ne pouvant continuer à supporter les délais de règlement actuels.

CARE propose une autre batterie de mesures qui pourraient être réfléchies et mise en œuvre dans le moyen terme, notamment :

6/ La naissance de l’activité d’Affacturage/Factoring afin de renflouer la trésorerie des entreprises en cédant leurs créances à des banques ou à des organismes spécialisés, qui doivent crées. Les textes réglementaires existent mais nécessitent des textes d’application. Pour rappel, l’affacturage est une technique de financement et de recouvrement de créances mise en œuvre par les entreprises et consistant à obtenir un financement anticipé et à sous-traiter cette gestion à un établissement de crédit spécialisé

7/ Partout dans le monde, aux USA, en France ou chez les pays voisins, il existe un « Régime de sauvegarde des entreprises en difficulté », auquel sont soumis entreprises qui ont des « difficultés temporaires ». Ces entreprises, contre un plan de redressement acceptable, sont placées sous la protection d’un juge vis-à-vis de leurs créanciers. Cette protection est généralement limitée dans le temps et permet aux entreprises viables de relancer leurs activités.

8/ Au chômage technique auquel aurait pu recourir les PME en difficulté, vient s’ajouter l’impératif du confinement qui le rend inévitable.  La CNAC (caisse nationale d’assurance chômage), à laquelle beaucoup d’employeurs contribuent, devra mettre en extrême urgence un dispositif de “Chômage technique” pour assurer aux salariés au moins une partie de leurs revenus.

Tous les conseils des ministres qui ont eu lieu durant ces dernières semaines ont complétement ignoré ces mesures économiques adoptées partout ailleurs en vue de préserver les entreprises et l’emploi.

Le plaidoyer de Care se justifiait déjà par l’état de précarité dans laquelle se trouvaient déjà des milliers PME algériennes. Avec cette crise sanitaire mondiale, cela devient une opération de survie impérative. Le recul sans précédent des recettes pétrolières qui s’inscrit dans la durée exige des décisions plus réfléchies et plus pro-actives que la simple réduction des importations des biens et des services. Cette crise sanitaire combinée à la chute de plus de moitié des recettes hydrocarbures est un cocktail explosif. Seule une négociation générale et inclusive entre les pouvoirs publics, les opérateurs économiques, privés et publics de tous les secteurs, et des experts est à même d’amortir le choc et d’éviter à l’Algérie un effondrement économique majeur. L’improvisation et les « mesurettes » ne sont pas une réponse à cette crise cruciale aux conséquences lourdes.

Abdenour Haouati

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