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De grands délinquants d’Etat n’ont jamais nulle part réformé le système qui les a enrichis (opinion)

Par Yacine Temlali
juin 10, 2016
De grands délinquants d’Etat n’ont jamais nulle part réformé le système qui les a enrichis (opinion)

Lorsque le modèle redistributif s’effondre les Algériens ont souvenir de là ou cela mène. Lorsque le but du modèle est de se servir en premier et d’acheter le silence universel, on sait qu’il ne peut y avoir de changement. 

 

A l’heure où se boucle cette chronique, le contenu précis du nouveau modèle de croissance du gouvernement algérien est encore sous embargo médiatique. Les participants à la tripartite ont écouté une synthèse du ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, en séance à huis clos. Les éléments qui ont ressortent confirment un faisceau de fuites qui a précédé la réunion, dimanche 6 juin. Le nouveau modèle de croissance algérien est un programme de transition contrôlée vers l’autonomisation du budget de l’Etat vis-à-vis des recettes pétrolières. Sa substance même est construite sur une idée optionnelle. Il n’y a pas lieu de se débarrasser violemment de l’actuel modèle – totalement construit sur la commande d’Etat et sur la redistribution de la rente pétrolière – car les réserves de change peuvent permettre de ne pas le faire encore pendant deux ans. Sellal a acheté auprès de la task force des spécialistes indépendants un grigri pour gagner du temps. En conséquence, il n’y aura pas de démantèlement rapide du système mastodonte de subventions des prix de l’énergie et des produits de large consommation, même si Abderrahmane Benkhalfa a annoncé qu’il préparait le retour au ciblage des catégories ouvrant droit aux aides directes. Il n’y aura pas de réduction brutale du périmètre économique de l’Etat à travers les entreprises publiques mais une simple invitation aux managers publics à trouver de nouvelles sources de financement à leurs entreprises, y compris en fonds propres par l’ouverture de leur capital social. Il n’y aura pas non plus de choc de compétitivité de l’économie algérienne par la levée sèche et définitive des entraves aux investissements directs étrangers et par la libéralisation des flux entrants sortants des capitaux, mais un appel à la modernisation de l’économie par plus d’investissement du privé.

Abderrahmane Benkhalfa promet une substitution des pertes de fiscalité pétrolière par une explosion de la fiscalité ordinaire. Par quel miracle ? Il faudra attendre encore et voir. Dans ce nouveau modèle de croissance, la promotion des économies d’énergie ainsi que la réduction du recours aux ressources fossiles par le développement des énergies renouvelables ont valu aux participants à la tripartite une intervention du ministre de l’Energie. La aussi, la transition se veut très douce. Sans incitation audacieuse par les prix et les taxes. Sans recours à la loi contraignante (exemple l’isolation thermique dans le bâtiment ou le led dans l’éclairage).

Le modèle attendu depuis trois mois est donc un swing programme. Il balance selon la contrainte du contre-choc pétrolier. Si elle s’adoucit comme tendent à le penser de trop nombreux experts proches du gouvernement, il n’y aura pas besoin de traumatiser le contrat social algérien : pourquoi donc anticiper un ajustement de la demande solvable alors que le Trésor public aura peut-être encore les moyens de la satisfaire au delà du trou d’air de 2015-2019 ? 

Dans la théorie spéculative pure, le pouvoir politique algérien peut ne pas avoir tort de ne pas vite démanteler son modèle redistributif sous la panique de ses déficits publics qui se creusent. Il existe des arguments qui le soutiennent. L’Algérie sort d’une guerre civile. La reconstruction de l’unité nationale ébranlée nécessite un Etat-Providence plus actif. Les modèles de croissance basées sur la recherche de l’efficacité des entreprises ne protègent pas les revenus des populations des contre-cycles comme au Brésil ou en Turquie, ni les détenteurs des pouvoirs des insurrections populaires comme en Tunisie ou en Thaillande. En doctrine politique comme en philosophie de l’éthique, dépenser massivement des fonds publics pour rendre plus large et plus facile l’accès au travail, à l’éducation, aux soins de santé, à la mobilité et aux logements peut se défendre. Cela réduit la criminalité, l’exclusion sociale, le sentiment d’injustice, et génère autant d’économies de dépenses publiques qui ne seront pas nécessaires à gérer ces fléaux et nuisances. Deux bémols. Il faut que ce modèle soit soutenable. Il faut qu’il soit articulé dans le but d’humaniser le vivre-ensemble et non d’acheter la complicité de la société face à l’impunité des grands délinquants d’Etat. Lorsque le modèle redistributif s’effondre les Algériens ont souvenir de là ou cela mène. Lorsque le but du modèle est de se servir en premier et d’acheter le silence universel, on sait qu’il ne peut y avoir de changement. 
L’enjeu de la tripartite en devient tout relatif. Il n’y aura pas de nouveau modèle de croissance algérien sous le régime du quatrième mandat. Il faut juste observer encore une fois les acteurs de la réforme pour en faire aussitôt le deuil. Abdelmalek Sellal dans le rôle de l’animateur poussif, visiblement affligé par l’implication de sa fille dans l’offshoring des revenus que l’on veut cacher. Démasqué pour suspicion d’affairisme, ce qui le ramène à la hauteur de Abdeslam Bouchouareb, son ministre le plus puissant de l’ère Said Bouteflika, premier gibier du PanamaPapers scandale.

Le Premier ministre, en bout de course, a massacré son discours en arabe et a fâcheusement cafouillé le nouveau chiffre des réserves de change. Le ministre de l’Energie, lui, a évoqué un programme du renouvelable en retard de quatre ans sur sa feuille de route. Sans dire comment combler ce gap au profit du nouveau modèle. La seule réforme qui se fera sans doute finalement, c’est celle de l’âge de la retraite car le système par solidarité ne peut plus tenir autrement. Les Algériens devront travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite complète. Pour le reste, la messe est dite. L’énoncé de la réforme est lancé. En mode soft et attentiste. Même dans cette formule minimaliste qui veut voler du temps au temps, l’illusion du changement est grossière. Le gouvernement qui doit faire sortir l’Algérie de la dépendance à la fiscalité pétrolière est dirigé par le frère du président de la république, recycle Chakib Khelil, est cité dans les paradis fiscaux pour ses ténors, et planche, dernier virement à son crédit, sur un deuxième baccalauréat, pour cause de fraude massive. Il a, face aux Algériens, autant de forces et de conviction dans la conduite de la réforme que le gouvernement Guy Mollet face aux ultras en 1956, à Alger. 

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