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« Dégager le système, c’est modifier la trajectoire prise par l’Algérie jusque-là » (Sadoud Ahmed, économiste)

Par Amar Ingrachen
avril 1, 2019
« Dégager le système, c’est modifier la trajectoire prise par l’Algérie jusque-là » (Sadoud Ahmed, économiste)
Selon M. Sadoud, il faut mettre à plat les dispositifs institutionnels en place et rompre avec ltous les attributs moraux et matériels du système actuelle » pour préparer le terrain pour une Algérie nouvelle.

Après plus d’un mois de mobilisation, les voix  appelle à une transition sous la conduite d’un ou de plusieurs personnalités politiques. Est-il aujourd’hui le moment de parler des hommes à même de conduire la transition ?

Quelles que soient les capacités d’un homme, son érudition, son passé de militant, il ne peut à lui seul maintenir ou transformer un système, une configuration politique. Le problème ne réside pas dans les hommes qui vont être à la tête de l’instance de transition, mais dans l’engagement d’un processus de transformation configurationnel de l’ensemble du système social dans ses différentes dimensions (politique, économique, culturelle,…). Certaines voix annoncent dans la précipitation des noms (ZEROUAL, HAMROUCHE, BENBITOUR,…). Elles réduisent souvent la notion de changement  à celle de la substitution des personnes par d’autres. Et chacun choisit une date à laquelle la personne proposée avait quitté les règnes ou son poste (1962, 1990, 1999,…).

Le changement ne consiste pas à effacer un passé, mais à modifier la trajectoire prise par le pays en accordant les commandes dans le sens du changement souhaité par les Algériennes et les Algériens. Autre chose, le changement n’est pas dans les équipes gouvernementales, mais dans la transformation qualitative au niveau des différentes sphères de la vie sociale (économique, institutionnelle, culturelle, sportive,…).

Alors que des millions d’Algériens réclament un changement du système, certains milieux politiques considèrent que celui-ci peut toujours être obtenu dans le cadre d’une élection présidentielle.  Même parmi ceux qui soutienne le mouvement social en cours, notamment Benflis, Bahbouh et Mokri estiment qu’il faut aller vers une élection présidentielle le plutôt possible pour éviter le vide institutionnel. Qu’en pensez-vous ?

La question des élections est hors contexte et ne corrobore pas avec les exigences de rupture systémique  que réclament inlassablement les Algériennes et les Algériens. Il faut mettre à plat les dispositifs institutionnels en place. L’Etat-Parti est irrecevable. La récupération des patrimoines symboliques hérités du Mouvement national et de la guerre de libération, dont les structures politiques et syndicales, est une condition pour la construction d’un espace de jeu démocratique. Le parti FLN, en tant qu’instrument unique de prise de pouvoir,  a fait vivre à la Nation les pires cauchemars (islamisme, terrorisme, mafia politico-financière,…). 

Les successions internes poussent le clan évincé à rechercher ce qu’il lui manquait comme force dans la société pour s’opposer au clan qui a pris le dessus dans le champ du pouvoir.  Il faut accompagner ce travail de réédification institutionnel par l’écriture de notre histoire, qui est une histoire commune. Aussi, s’il y a un problème préalable à régler avant toute élection est celui de l’assainissement du fichier électoral et la mise en place d’une Instance indépendante pour l’organisation, la gestion et la surveillance des élections. Mais, nous savons aussi que beaucoup de questions restent en suspens (la territorialité, les pouvoirs des différents élus, etc.). 

Quelles sont les voies à emprunter pour réussir une rupture définitive avec le système actuel ?

La problématique du changement se pose en termes de rupture et de transformation systémique. La rupture est d’abord de libérer le pays des mécanismes coercitifs,  de contrôle et de limitation des libertés (politiques, entrepreneuriales, de culte,…) qui nous ont conduits à l’état où nous sommes. Il faut accroitre les capacités de l’homme politique est un besoin critique pour la survie de notre nation car les partis sont le lieu de développement des compétences politiques.   Ensuite, il faut mettre en place un compromis sur ce que cette nouvelle Algérie sera, en tant qu’Etat national, économie, et rapport de l’Algérie avec les autres pays et institutions internationales.

Le compromis historique attendu par le mouvement n’est pas l’expression d’un rééquilibrage entres factions, d’une entente sur la base d’intérêts communs des partis politiques, mais d’un effort novateur pour édifier quelque chose de différent. Sur ce plan, la rupture ne pourrait s’envisager sans la réédification de l’Etat national. Les unités de son découpage administratif et institutionnel, sa spatialité, le degré de sa centralité, la profondeur de la hiérarchie institutionnelle et les marges de manœuvres à sa base, sont les questions qui sont au cœur de ce travail novateur. Seulement, la mise en place de capillaires informationnels est nécessaire pour l’efficacité de ses actions multiformes. Ce sont ces capillaires qui ont une existence organisationnelle, qui sont appelés à défonctionnaliser et en finir avec la police politique.

Ceci dit, l’entreprise de réédification étatique est un processus de « destruction créatrice » qui s’inscrit dans la durée. Il faut le remodelage de l’imaginaire collectif pour permettre à la vie citoyenne de se dérouler en dehors du moule de l’ancien système. Or, la transformation des structures mentales est la question la plus ardue à poser et à mettre au travail. Elle prend plus de temps que les autres questions et elle est d’une complexité plus grande. Cependant, une vie démocratique est déjà en soi un apport certain pour venir à bout de certaines résistances. Par exemple, agir sur la fonction de consommation pourrait être la voie de salut pour garantir une sécurité alimentaire autrement, au lieu de chercher, malgré les conditions climatiques, à produire les 7 millions de tonnes de blé qu’on consomme annuellement.

La mobilisation citoyenne que connait l’Algérie actuellement peut-elle accélérer ce processus de rupture que tu décris?

La rue n’est pas à mettre sur le registre des naissances miraculeuses. Un système qui absorbe tous les efforts de ses occupants pour les besoins de sa seule reproduction devrait périr un jour par simple effet de Boomerang. La rue veut maintenant régler un problème que les autres n’ont pas pu faire : rompre avec le système politique en place. Elle le fait dans une originalité créative et de qualité totale (civisme, générosité, singularité,…). 

Les Algériens sont exemplaires en hommes et femmes libres. Le mouvement a une épaisseur politique et des commandes de comportement qui lui sont endogènes. Cet apprentissage démocratique est en grosse part le produit des jeux d’interactions sur l’espace virtuel ou les réseaux sociaux. L’Algérie d’aujourd’hui n’est pas ce qu’elle était en 62 ou en 90 : il y a des médecins, des enseignants (es), des ingénieurs, des femmes et, des hommes, des jeunes et des moins jeunes,… Ceci dit, l’époque des porte-paroles est révolue. L’homme politique doit cesser de voir le monde, dont ses militants, d’en haut, d’être le seul à connaitre l’idéologie de « son » parti.

Le mouvement a révolutionné la façon de faire la politique. Le mouvement fait découvrir au monde entier une société qui aspire à une démocratie, à la création, à la modernité et le tout dans le rattachement à sa patrie. Je pense que tous ces éléments nouveaux sont de nature à faciliter la rupture et à générer une Algérie nouvelle. L’Algérie n’est pas un pays qui sait vivre petit.

L’économiste Samir Bellal dit souvent que « la crise algérienne est fondamentalement celle du régime rentier ». Un changement politique dans les mois ou les années à venir signifie-t-il nécessairement une rupture avec le régime rentier ?

La rupture avec le régime rentier suppose une stratégie économique et des forces entrepreneuriales en capacité d’entreprendre autrement. Il suppose un management de l’économie pour gérer le changement entrepreneurial en œuvre.  Rompre avec quoi ? On peut faire trois constats.

1) Les tenants du système rentier ont tout fait pour maintenir le capital privé dans des limites d’accumulation pour l’empêcher, dit-on, de s’approprier d’un pouvoir qui lui permettrait d’influencer la décision du pouvoir étatique.

Le panachage dans la constitution du portefeuille d’activités des grands groupes privés est  très édifiant. Les entreprises buttent sur des obstacles politiques qui les empêchent d’atteindre des tailles efficientes, voire des tailles mondiales. Dans leurs rapports avec le capital international, on est passé du contrôle par les monopoles de l’Etat, institué dans l’entrepreneuriat privé planifié du début des années 80, à un contrôle par la Banque d’Algérie. Les restrictions dans les attributions des assiettes foncières répondent à la même logique de l’émiettement et de la dilution sectorielle des efforts entrepreneuriaux privés. Le régime rentier ne reconnait pas les exigences de croissance et de compétitivité.

2) Les réputations entrepreneuriales sont conçues comme des menaces sur la pérennité du système. L’évolution des processus entrepreneuriaux peuvent rendre inéluctable la refondation de l’Etat et pousserait à la sortie les tenants du pouvoir rentier. Le choix d’un régime fondé sur la dépense publique est un vecteur d’appropriation des réputations entrepreneuriales qui s’offrent sur le marché des grands projets: les logements sociaux, la grande mosquée, l’autoroute Est-Ouest,…, Les déficits en légitimité politique peuvent, aux yeux du président-entrepreneur, être compensés par des profits de distinction entrepreneuriale (« indjazat rais » est la forme expressive d’une expropriation des entrepreneurs des succès et des réputations entrepreneuriales qu’ils ont réalisés dans ces projets.) Inversement, la tolérance envers l’entrepreneuriat informel se justifie par les privations en reconnaissances sociales qui particularisent ce secteur.

3) L’Etat rentier n’est pas dans l’objet d’asseoir un monopole sur le capital global de l’économie. Pour celui-ci, le monde entrepreneurial est dichotomique : il y a ceux à qui on accorde des largesses et ceux qui sont en permanence dans l’œil du cyclone. L’Etat, en particulier en contexte de mondialisation, doit mettre en place une structure d’intelligence compétitive pour relever le niveau de la réactivité des firmes nationales. Pour aussi exercer son rôle protecteur, en particulier de biens et des personnes,  l’Etat doit mettre en œuvre une politique de localisation des entreprises et de gestion des rapports concurrentiels dans l’économie.

Cette politique d’organisation spatiale des activités entrepreneuriales doit consacrer une structure d’intelligence territoriale. Pratiquement plus de 2/3 des entreprises nationales ont connu au moins un incendie, voire, pour certaines d’entre elles, des kidnapping.

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