Le triptyque de la prospérité des nations et des entreprises (opinion) - Maghreb Emergent

Le triptyque de la prospérité des nations et des entreprises (opinion)

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« Un pays riche, comme un riche fermier, doit être en mesure de continuer à augmenter son stock de capital » écrit l’auteur de cette contribution*. Quant à certains pays pauvres comme l’Algérie, estime-t-il, « ils ont des revenus relativement élevés parce qu’ils n’investissent pas assez dans le renouvellement de leur portefeuille de capital » et « consomment leurs semences de plantes de la prochaine année ».

 

 

Dans cette contribution, il ne s’agit pas de démontrer que les nations les plus prospères et les plus riches sont celles qui sont bien équipées en démocratie, en connaissance et en capital humain. Les faits sont là et sont largement démontrés. Il s’agit de démontrer que notre pays est un pays pauvre, car les pays pauvres comptent uniquement sur leurs ressources naturelles et la main-d’œuvre ; le capital artificiel construit est tout à fait inutile sans connaissance. Les sacs d’argent ne peuvent pas devenir un capital productif sans connaissance. Notre pays et notre culture sont riches en ressources, mais ils restent pauvres en connaissance.

Avant, la prospérité des nations et des entreprises se faisait à travers l’exploitation des ressources naturelles. A cet effet, les pays du Nord ont colonisé les pays du Sud afin d’exploiter leurs richesses naturelles et leurs main-d’œuvre en les maintenant dans un état de pauvreté. Aujourd’hui, la compétitivité, autrement dit la prospérité d’une nation ou d’une entreprise repose sur la maîtrise de la connaissance et de l’information. Ainsi, la notion de colonisation a-t-elle simplement changé de forme. Les pays du nord, sous couvert de démocratie, font la promotion de dirigeants du sud fondamentalement faibles envers tout ce qui est en rapport avec l‘épanouissement et l’ennoblissement humain. Tout cela afin d’empêcher les pays du Sud de maîtriser l’information et la connaissance. En d’autres termes les pays du Nord viennent pomper les richesses des pays du sud sans nécessité d’occupation.

Dans ce contexte comment peut-on définir la connaissance ? Elle se définit comme la capacité à coordonner ses actions, seul ou avec d’autres, de manière efficace et ciblée, intégrées à l’intérieur et activées par les institutions humaines, sociales et culturelles.

Apprendre à coordonner ses actions, à savoir la production, le maintien et la préservation du capital humain, ne peut avoir lieu qu’au sein d’une infrastructure sociale nécessaire, c’est-à-dire les institutions culturelles et éducatives, les expériences partagées de l’histoire, des habitudes, des valeurs, des croyances, des aspirations et les systèmes de parenté en milieu familial. Ainsi, une démocratie qui fonctionne est-elle basée sur le respect, et le comportement du libre marché repose sur la confiance. C’est pourquoi la démocratie et les marchés sont, dans une large mesure, des comportements appris, qui dérivent de cultures et d’infrastructures sociales fortes. Sans le respect et la confiance appris et profondément ancrés, la démocratie et les marchés deviennent simplement des caricatures voyantes et souvent d’elles-mêmes cruelles. Notre pays, l’Algérie, en est l’exemple parfait.

Seules les nations socialement et culturellement fortes, riches en capital humain, en valeurs familiales, en respect et en confiance, pourront toujours devenir prospères – indépendamment de leurs richesses naturelles, physiques ou financières. Seules les nations d’apprentissage et d’évolution continue de manière fiable de leur capital humain et social pourront toujours goûter réellement à une prospérité durable. Un pays riche, comme un riche fermier, doit être en mesure de continuer à augmenter son stock de capital. Cette accumulation du stock de capital élargit l’ensemble des alternatives et opportunités pour les générations suivantes, rendant ainsi la richesse actuelle durable.

 

Un revenu basé sur l’épuisement du capital n’en est pas un

 

La richesse accrue permet également de générer des revenus plus élevés, mais un revenu plus élevé peut également être créé temporairement en diminuant sa richesse et en réduisant son capital. Seuls les pays pauvres, comme les individus pauvres, vivent pour la plupart de leurs revenus seulement en conservant pour quelque temps, voire en puisant dans leurs stocks de capital. Le revenu basé sur l’épuisement du capital n’est pas viable et ne devrait pas être acceptée comme un revenu, mais seulement comme une consommation de capital. Seuls les plus pauvres des pauvres consomment leur propre substance : ils mangent leurs propres dotations en capital. N’est-ce pas ce que nous faisons avec le pétrole et bientôt avec le gaz de schiste ?

Il est donc de la responsabilité des générations actuelles et c’est le défi qu’elles doivent relever, de laisser aux générations futures plus de capital par habitant. Cela appelle à définir les différentes formes de capitaux. Il y en a au moins quatre :

1) Le capital artificiel, produit actif des infrastructures, des technologies, des bâtiments et des moyens de transport. C’est « l’accessoire » fabriqué des nations. Ce matériel national doit être constamment entretenu, renouvelé et modernisé pour assurer sa productivité, son efficience et son efficacité. En général, dans les pays pauvres, on évalue la performance des gouvernants sur la base de ce capital. Comment accepter cette évaluation lorsqu’on joue tout seul sur le terrain ? L’évaluation la plus logique, dans ce cas, est de dire : peut-on faire plus ou mieux avec moins d’argent? Sur la base de cette évaluation, on verra tout de suite que nos gouvernants n’ont pas la capacité compétitive.

2) Le capital naturel, c’est-à-dire le produit de la nature renouvelé qui reproduit les « intrants » de la terre, de l’eau, de l’air, les matières premières, la biomasse et les organismes. Le capital naturel, renouvelable et non renouvelable, est sujet à la fois à l’épuisement, à la dégradation, à la culture, au recyclage et à la réutilisation. Sur ce plan comment peut-on évaluer des réalisations lorsqu’on navigue à vue, d’une part, et qu’on joue tout seul, d’autre part.

3)Le capital humain (les ressources humaines) fait référence à l’investissement continu dans les compétences, les connaissances, l’éducation, la santé et l’alimentation, les bonne aptitudes, la motivation et l’effort des gens. C’est le « logiciel » et « brainware » (ou bien codage culturel du management) d’une nation. Cela peut être la forme la plus importante du capital pour le développement rapide des pays. Sur ce plan, comment peut-on mesurer les réalisations et le succès, lorsque l’investissement dans ce capital est le moins bien loti ? Comment peut-on mesurer le succès lorsque les gouvernants ne se réforment pas eux-mêmes et restent ancrés dans leurs vielles façons de faire ? Comment peut-on mesurer le succès lorsqu’on navigue sans boussole?

4) Le capital social est le mécanisme ou l’ordre social de fonctionnement des institutions, des communautés civiques, de la cohésion nationale et culturelle, des valeurs collectives et familiales, de la confiance, des traditions, du respect et du sentiment d’appartenance. C’est « l’ordre social » volontaire, spontané, qui ne peut pas être conçu mais son autoproduction peut être nourri, soutenu et cultivé. Ainsi, quelles réalisations les gouvernants peuvent-ils revendiquer? Sur ce plan, on a plutôt dilapidé le peu qu’on avait.

 

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va »

 

Tous les capitaux cités plus haut doivent être élaborés de façon équilibrée et harmonieuse. Les deux dernières formes sont actuellement les plus importants et les plus efficaces dans la création de la richesse et la prospérité. Le vecteur ou le portefeuille de ces capitaux, leur structure et leur profil sont plus importants que leur somme totale : la somme des optimums locaux relatifs à chacun des capitaux cités ne constitue pas l’optimum global relativement à la prospérité d’un pays.

Un pays, comme le nôtre, qui a tout ou presque de sa richesse en ressources naturelles pourrait devenir un fournisseur international mais il ne progressera pas en soi. Bien que les compromis entre les différents capitaux soient souvent nécessaires, et parfois sages et stratégiquement souhaitables, ils sont rarement durables, car les compromis en Algérie n’ont pas été faits sur la base d’une vision qui épanouit et ennoblit les gens, le leadership des organisations est un leadership transactionnel et non pas un leadership transformationnel. Ainsi, le portefeuille de capital optimal a-t-il été affecté négativement par des compromis et des substitutions irréversibles ou trop fréquentes. Par exemple où est la stratégie industrielle ? Qu’a-t-on fait des entreprises publiques? Quel est le résultat de tous les budgets injectés dans la mise à niveau des entreprises et des institutions? Comme disait Sénèque, « il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».

A long terme, c’est le capital social qui fournit les mécanismes de soutien nécessaire au capital humain pour se manifester de manière efficace. C’est ainsi qu’on détecte les talents. Grâce, surtout, au renouvellement du capital humain et social, et par conséquent aussi, du capital artificiel et du capital naturel. L’ensemble des possibilités est élargi pour les générations futures.

Le capital social est clairement critique, bien qu’il soit l’un des plus négligés et ignorés. Les effets pervers de cette négligence sont la corruption et sa « commercialisation ». Le capital social est un ordre social spontané (une société civile et culturelle sans contrainte et non forcée), qui définit les capacités des gens à tendre vers des buts et objectifs communs dans des équipes et des organisations, à former de nouvelles associations et des réseaux de coopération, et à démanteler et dépouiller les vieilles institutions sans conflit ou violence. C’est un environnement favorable au capital humain pour devenir efficace.

Le capital social ne comprend pas seulement le monde des affaires. Il comprend aussi les associations bénévoles et sans but lucratif, les établissements d’enseignement, les clubs, les syndicats, les médias, les organisations caritatives et les mosquées. Une communauté civique solide est caractérisée par une prépondérance des organisations horizontales, l’autonomie, l’auto-organisation, l’autocontrôle et d’autogestion. Les organisations autocratiques, centralisées et hiérarchiques se trouvent dans les sociétés de moindre confiance, de sociabilité spontanée faible et, par conséquent, à performance économique plus faible. Dans ce cas, le rôle d’un Etat est de compenser le manque de réciprocité, l’obligation morale, le devoir envers la communauté et la confiance, un rôle pour lequel, cependant, il est le moins équipé et le moins fiable pour entreprendre.

 

L’impératif de l’innovation

 

Cultures fortes, forts ordres sociaux spontanés et niveaux forts de la confiance civique ont tendance à produire de meilleures performances économiques et à générer de la richesse, et non l’inverse. Une forte performance économique et la création de richesses ne sont pas des précurseurs ou des conditions préalables à des sociétés civiles fortes. Les nations avec des traditions culturelles et civiques faibles seront généralement plus pauvres, aux prises avec les gouvernements « forts », en s’appuyant essentiellement sur leurs ressources naturelles et le capital artificiel et en négligeant les sphères sociales et humaines de l’existence.

Les économies les plus riches et performantes seront généralement engendrées par des nations caractérisées par des cultures fortes, denses et structurées horizontalement, empreintes de confiance, de coopération et d’association. Ainsi, les nations les plus riches sont-elles celles qui ont plus de richesses au niveau de leur capital social et humain, et une partie moindre au niveau du capital artificiel ou naturel.

Les pays riches sont généralement ceux qui investissent davantage dans leur capital humain, l’éducation, l’alimentation, les soins de santé, etc., sur de plus longues périodes de temps. Certains pays pauvres ont des revenus relativement élevés parce qu’ils n’investissent pas assez dans le renouvellement de leur portefeuille de capital, mais le consomment réellement (consommer leurs semences de plantes de la prochaine année). Par exemple, notre pays augmente artificiellement son revenu actuel pour des raisons politiques mais au prix d’un épuisement de la richesse à long terme. Il est assez décourageant de voir que c’est la corruption qui est nourrie à travers une culture de tout-va, tout en étant culturellement aveugle à l’«argent sale ». Ceci s’ajoute à des politiques nationales très myopes qui peuvent endommager ou détruire le capital social et la richesse, de façon pratiquement irréversible. Le développement durable est mieux réalisé en investissant dans les gens. Pourtant, la majorité des politiques économiques actuelles restent concentrées sur le capital artificiel plutôt que d’investir dans la technologie, éduquer les gens en élargissant les opportunités à leur autonomie, à l’autogestion, à l’autocontrôle et au développement de leurs capacités. C’est pourquoi la plupart de nos organisations restent toujours médiocres après 50 ans d’efforts égarés.

Beaucoup de politiques erronées sont le résultat de croyances naïves et d’adoration du marché néo-païen. L’efficacité du marché libre est seulement un des nombreux sous-produits de préexistantes communautés morales. Sans ces communautés morales, le libre marché sans règles ni limites n’est ni conservateur ni constructeur mais constitue une force radicalement perturbatrice, c’est-à-dire qu’il va accentuer la dissolution sans relâche de la loyauté des sociétés à leurs communautés, les clients de leurs commerçants du quartier, les athlètes de leurs équipes et nations, les équipes dans leurs villes, et ainsi de suite. Sans une culture préformée, un ordre social spontané de confiance, de loyauté et de réciprocité, notre pays ne peut atteindre et maintenir une richesse durable.

Pour atteindre ce but de prospérité, il faut aussi innover. L’approche de l’innovation, dans les secteurs institutionnels et les entreprises de production de biens ou de services ne doit pas seulement être efficace (répondre aux attentes des clients). Elle doit être aussi efficiente (réaliser dans les délais et à l’intérieur des budgets prévus). Pour le secteur institutionnel, il s’agit d’assurer la prospérité du pays et des citoyens maintenant et durablement. Ainsi, l’innovation, dans ce secteur, consiste-t-elle à trouver des moyens et des méthodes de support pour faciliter la vie au citoyen ou à l’entreprise, quel que soit l’objet de son besoin. Par exemple, pour un secteur institutionnel de soutien comme un hôpital –nonobstant l’aspect technique du matériel de soin -, l’innovation consiste à déterminer quelles sont les connaissances nécessaires, c’est-à-dire, les compétences, les responsabilités et les comportements requis pour soigner vite et bien. Dans ce contexte, pour assurer l’amélioration continue, les idées de « bonnes politiques » doivent être générées de façon systématique et transformées en « politiques » à succès.

 

(* )Ammar Hadj-Messaoud dirige les opérations de Sciquom Conseil, firme spécialisée dans l’amélioration des capacités compétitives des entreprises et des institutions. Il est consultant auprès de plusieurs entreprises dans l’implantation de processus d’amélioration continue.

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