Rencontré à Paris à l’occasion du lancement du projet Médialab environnement, le 24 octobre courant, Yasmine Seghirate El Guerrab, responsable de la communication au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) nous parle des effets du changement climatique sur l’agriculture au sud de la Méditerranée.
Maghreb Emergent : que peut-on dire aujourd’hui au sujet de la situation de l’agriculture au niveau de la rive sud de la méditerranée, notamment avec la menace que représente le changement climatique ?
Yasmine Seghirate El Guerrab : la question agricole et alimentaire est très stratégique pour les pays de la rive sud de la Méditerranée parce que ce sont des pays importateurs de denrées alimentaires de base, donc très dépendants des marchés internationaux. Marchés internationaux qui sont très réactifs aux crises qui elles-mêmes peuvent être créées par des chocs climatiques. Donc, les pays de la rive sud de la Méditerranée sont très vulnérables face à cette importation de denrées alimentaires.
Il y aussi le phénomène de la dégradation des ressources naturelles : de graves pénuries d’eau, des situations de stress hydrique très importantes, une détérioration des terres, la désertification, la salinisation des sols. En Algérie, par exemple, des terres qui ne sont pas des terres arables d’un point de vue agronomique sont quand même transformées à coup de produits chimiques pour pouvoir les travailler. Ceci est dû au fait que beaucoup ont construit sur des terres arables. A côté de cela il y a la problématique de la consommation. Il faut nourrir des millions de personnes dont les besoins alimentaires ont changé. Un défi d’autant plus difficile pour un pays comme l’Algérie qui n’a pas diversifié son économie et qui a beaucoup misé sur la production du gaz et du pétrole. Il y a un changement qui est en train de s’opérer, en Algérie, mais il sera long parce qu’il faudra former des personnes et créer des emplois dans le domaine agricole.
Est-ce que le changement climatique a déjà commencé à avoir un impact sur l’agriculture dans le sud de la Méditerranée?
Il y a beaucoup de choses qui sont palpables. Peut-être plus en Afrique sub-saharienne où l’on constate directement les changements. L’un des indicateurs les plus évidents est le déplacement des populations. Beaucoup de petits agriculteurs, et de petits éleveurs sont obligés de quitter leurs zones de résidence parce qu’il n’y a plus d’eau et parce que la sécheresse a décimé des troupeaux.
Au niveau de la rive sud de la Méditerranée, on ne les constate pas de manière aussi évidente, si ce n’est la dégradation ou la pollution des sols. Le changement climatique c’est quand même quelque chose qui est dans une temporalité plus ou moins longue. Mais en tout cas, aujourd’hui, on a les moyens et les analyses pour pouvoir faire de grandes prévisions. Des prévisions qui ne sont pas très rassurantes.
A quoi peut-on s’attendre à moyen terme en ce qui concerne les effets du changement climatique dans la région?
Le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) estime que la Méditerranée est l’un des points chauds du changement climatique. Et on pense que d’ici à 2050 on va avoir plus de 2 à 3 degrés en plus en Méditerranée. Cela peut paraître insignifiant mais cela a un impact énorme sur l’agriculture. Une chose à laquelle on ne pense pas, c’est l’effet des parasites qui se reproduisent beaucoup plus vite quand la température augmente. Donc, vous avez toute une série de maladies qui peut toucher les plantes et les animaux à cause de l’augmentation de la température.
Quels en seront les effets sur la disponibilité de l’eau ?
D’ici à 2025, on pense que la plupart des pays de la rive sud de la Méditerranée seront classés dans la catégorie « Pauvres en eau ».
Quelles sont les mesures à prendre pour réduire les effets du changement climatique sur l’agriculture dans le sud de la Méditerranée ?
Il existe des solutions. L’une d’elles c’est d’arrêter le gaspillage de ces ressources. On parle beaucoup du gaspillage alimentaire mais le gaspillage de l’eau au niveau de l’irrigation des champs est énorme. On peut aussi puiser dans nos traditions agricoles. En Algérie, il y a le système des Fougaras, par exemple. On peut également utiliser le système du goutte-à-goutte qui a fait ses preuves dans les zones arides. Il y a aussi la nécessité d’intéresser à nouveau les jeunes à l’agriculture.
Je pense aussi à l’utilisation de pesticides. On parle beaucoup de l’usage des pesticides dans les grandes exploitations agricoles, mais on ne sait pas ce qu’utilisent exactement les petits agriculteurs qui n’ont pas les moyens d’acheter des pesticides.
En Algérie, les autorités ont déclaré à plusieurs occasions qu’il y avait une amélioration dans le domaine de l’agriculture. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
C’est sans doute vrai, par ce qu’on part de loin. Avant, on privilégiait d’autres secteurs d’activité, mais il y a vraiment une prise de conscience, depuis quelques années, au sujet de la nécessité de diversifier l’agriculture, d’avoir plus de jeunes et plus de femmes qui travaillent la terre. Mais il faut accompagner l’agriculture, lui donner la possibilité d’acquérir des terrains à des prix symboliques, lui faciliter l’obtention de prêts bancaires, etc. C’est toutes les étapes d’après qui doivent être prises en compte et cela, je pense que c’est en cours.
L’Algérie est très dépendante des importations. Et les pays à partir desquels ont importe nos produits alimentaires sont moins concernés par les effets des changements climatiques. L’Algérie ne sera pas en difficulté tant qu’elle pourra acheter ces produits. Elle peut aussi décider d’investir dans une agriculture locale endogène qui a fait ses preuves même avec des températures et des situations extrêmes.
Le sud de la Méditerranée va-t-il rester dépendant du nord sur le plan alimentaire pour encore longtemps à cause du changement climatique ?
Il est dépendant pour toute une série de raisons, mais là, il va être plus vulnérable par rapport à cette dépendance que le changement climatique risque d’accentuer.
De notre envoyé spécial à Paris, Ahmed Gasmia