En Algérie il faut constitutionnaliser la non-discrimination entre les hommes et les femmes (opinion) - Maghreb Emergent

En Algérie il faut constitutionnaliser la non-discrimination entre les hommes et les femmes (opinion)

Facebook
Twitter

L’auteur fait ici une synthèse de la situation du travail féminin en Algérie, non sans se poser la question de savoir dans quelle mesure l’émancipation des femmes algériennes s’effectue par leur intégration dans le marché du travail.

 

L’analyse de l’entrepreneuriat féminin est intiment liée à l’analyse du marché du travail et du salariat d’une manière générale et de la place de la femme au sein de la société. Si le travail est au cœur de la construction de la société, il est particulièrement au centre de la consolidation de l’autonomie de l’individu. Les différentes recherches en sciences sociales affirment souvent que le développement d’une société se mesure au degré d’implication de ses femmes. Etant au carrefour entre la psychologie et la sociologie du travail, les questions de l’émergence des femmes dans l’espace social et politique et celle de entrepreneuriat féminin devraient être posées dans le cadre de la problématique du développement et de la transformation générale de la société.

Comme le montrent Zoudida Haddad et Aïcha Dif dans leurs travaux de recherches, il existe quatre visions de la question de la valeur émancipatrice du travail. La première, liée à la problématique du développement, considère que l’arrivée dans le monde du travail des premiers contingents de femmes est le point de départ d’un mouvement évolutif et irréversible qui ne peut que changer la conscience qu’ont les femmes d’elles-mêmes – celles qui travaillent comme celles qui ne travaillent pas – et constitue un atout majeur dans la conquête de l’espace social et politique. Selon cette thèse, ce sont les femmes qui travaillent, quelle que soit la nature de l’activité exercée, qui s’intéressent le plus à la vie sociale et politique, qui votent davantage et de manière plus autonome. C’est parmi elles aussi que l’on trouve le pourcentage le plus élevé de femmes satisfaites, le revenu – essentiellement salarial – des femmes et la scolarisation massive des filles constituant des facteurs de changement dans les rapports de sexe dans une société qui n’avait connu que le travail des paysannes.

La deuxième vision s’appuie sur une critique des catégories utilisées par l’Office national des statistiques. Elle conteste la progression du travail féminin et remet en cause la thèse du travail émancipateur à partir d’une analyse théorique globale des rapports entre travail salarié et procès de travail domestique. Selon cette approche, le projet étatique de développement et de mobilisation de la société des années 1970 a, de fait, sinon délibérément, exclu les femmes en les affectant en priorité à un procès de travail domestique issu de la destruction des anciennes formes de production et de la séparation entre l’espace de production et de reproduction. Le modèle d’industrialisation mis en place en Algérie s’est traduit inévitablement par une très faible salarisation des femmes, circonscrite aux grandes villes. L’emploi féminin, considéré ainsi comme étant dérisoire et marginal, a encore un autre effet négatif : il introduit une scission entre la minorité qui travaille et la majorité des femmes au foyer vouées aux rôles traditionnels dont les normes patriarcales se trouveraient renforcées.

La troisième vision, élaborée à partir d’enquêtes au niveau des entreprises publiques, considère que le « travail libérateur » de la femme est un mythe et souligne que l’enfermement à l’usine est le strict équivalent de l’enfermement à la maison. Cette vision conteste que le travail puisse être même un facteur de changement du fait que la fonction proprement socio-économique du salaire féminin est subvertie et réintégrée dans une logique symbolique propre à la société traditionnelle et que la possibilité d’indépendance économique est ainsi neutralisée par la logique de la domination.

 

Développement du travail féminin dans le secteur informel

 

La quatrième vision, plus récente – et me semble-t-il, plus réaliste – essaie de réaliser une synthèse ente ces différentes approches intégrant les analyses psychosociologues et la dualité de la société algérienne formel/informel. L’arrivée des femmes dans le monde du travail, limitée mais non marginale, a produit un mouvement irréversible d’aspiration au travail, à l’activité rémunérée et à ce qu’elle implique, c’est-à-dire une forme ou une autre d’autonomie, même s’il existe des résistances au changement. Ce mouvement, du fait des nouvelles orientations économiques et du désengagement de l’Etat, a donné naissance à un développement sans précédent du travail informel qui prend des formes très variées, concernant un nombre de femmes beaucoup plus important que celui des travailleuses déclarées. Toutes sortes d’activités, exercées en auto-emploi, se développent et sont appelées à se développer. Dans cette perspective, le travail salarié a produit des effets sociaux et culturels profonds et irréversibles. Il remet en cause la problématique d’une sorte d’inertie des pratiques et des représentations dans le monde des femmes dans son ensemble, mettant en valeur qu’avec la scolarisation massive des filles, le travail est le paramètre essentiel du changement et que ce changement a des retombées sur celles qui ne travaillent pas.

Cette approche met en relief le savoir social acquis par ces femmes et les multiples manières dont elles l’utilisent en le combinant à des matériaux puisés dans le patrimoine culturel pour construire une image de soi valorisante à la fois comme femmes et comme travailleuses. Ces femmes, bien sûr, peuvent se trouver en butte à des manifestations de réprobation du fait de résistances socioculturelles mais, selon cette approche, avec l’évolution de la famille algérienne, qui ne vit pas en vase clos et est influencée par des facteurs d’environnement local et international (télévision, Internet ), il faut éviter le stéréotype selon lequel la famille, lieu de la tradition, emprisonne les individus et constitue toujours un frein à l’autonomie et au changement, une famille pouvant pousser ses membres féminins au changement parce qu’elle en tire des profits matériels et symboliques. A l’inverse, comme le montrent Haddad et Dif, une femme qui fait des choix individuels en affrontant sa famille ne s’en détache pas pour autant, ce qui signifie, bien entendu, qu’il ne peut y avoir d’un côté tradition et de l’autre innovation. Ces recherches mettent aussi en valeur la connivence mères-filles pour contrer une décision ou en faire valoir une autre, ainsi que tout un ensemble de stratégies qui relèvent de ce que certains sociologues qualifient de « féminisme informel ».

Selon certaines enquêtes, on peut établir quelques constats. Premier constat : la  violence contre les femmes a pris des proportions alarmantes ces dernières années. Le phénomène touche de plus en plus de femmes et ces violences sont commises par le mari, le père, le frère ou même l’enfant. Le réseau Wassila, qui s’intéresse de près à ce sujet, a élaboré une enquête dans laquelle il est clairement mentionné que « 70% des violences sont commises au sein de la famille algérienne ». 

Le deuxième constat est que seules 5% des femmes qui travaillent en Algérie occupent des postes de responsabilité et il existe 6.000 femmes d’affaires dans le bilan d’octobre 2008. Encore qu’il faille noter une nette amélioration entre 2008 et 2014 selon le gouvernement algérien. Selon le ministère du Travail, le nombre de femmes travailleuses dans le secteur public en 2012 est de 607.160, soit 31,80%. Le dispositif d’aide à l’insertion professionnelle pour 2012 aurait enregistré 19.867 demandes déposées par des femmes sur 49.076 demandes ; au niveau de l’Agence nationale de l’emploi, 576.416 demande d’emploi auraient été déposées par des femmes sur 2 millions de demandes (28,3%). Selon l’Office national des statistiques, en 2013, deux millions de femmes occupaient un poste de travail dans le public ou le privé , le taux de chômage moyen officiel étant de 9,8% mais touchant 16,3% pour les femmes, bien que le taux d’emploi ait progressé en 2009-2013 de 17,5%.

 

Discriminations dans l’espace professionnel

 

Deux intéressantes enquêtes récentes mettent en relief le caractère problématique du sujet du travail féminin. La première enquête sur l’emploi féminin en Algérie en 2007-2008 a été réalisée par le site Emploitic.com et diffusée en septembre 2010. Elle montre que sur le marché de l’emploi, de plus en plus de femmes diplômées et expérimentées sont à la recherche d’un emploi comprenant des avantages et perspectives d’évolution professionnelle. Environ 20% des femmes sont en poste, 44% sont en poste et à la recherche d’un emploi avec de meilleures conditions de travail. Mais durant la recherche d’un emploi, de plus en plus de femmes sont confrontées à de multiples difficultés d’ordre social (discrimination) et professionnel (manque d’évolution). Plus de 55% estiment que les perspectives d’évolution au sein de leur entreprise exigent un certain niveau de compétence, 14% estiment qu’il n’y a pas d’évolution et 25% estiment qu’elles ont droit aux mêmes opportunités d’évolution que les hommes. Les difficultés qui entravent l’évolution des carrières professionnelles des femmes sont en relation avec la discrimination dans l’attribution des promotions : 39% estiment que leur niveau de formation et de perfectionnement entrave leur évolution ; pour 32% d’entre elles, les difficultés sont celles de la conciliation entre la vie de famille, la maternité et le travail.

Il existe aussi plusieurs types de discriminations pour des questions d’apparence physique : 22% des femmes estiment que lors de leur recherche, elles ont été confrontées à ce genre de discrimination. 14% affirment avoir été confrontées à une discrimination sur la base de l’âge, 40% à une discrimination dans l’attribution des promotions et à un refus d’accès aux postes de responsabilités. 55% estiment qu’il y a une différence dans l’attribution des salaires entre les hommes et les femmes.

Il y a également les critères de taille et de type d’entreprises qui constituent un élément important dans la sélection du poste de leur choix. Plus de 44% des femmes souhaiteraient travailler dans des entreprises multinationales pour les conditions de travail et de salaire avantageux. 28% préfèrent travailler dans les grandes entreprises algériennes, 24% dans des entreprises et administrations publiques, et seulement 2% s’intéressent aux offres d’emploi au niveau des Petites et moyennes entreprises (PME).

Quels sont les métiers qui intéressent les femmes ? De plus en plus de femmes diplômées et expérimentées souhaiteraient occuper des postes de responsabilité, 31% souhaiteraient occuper des postes de gestion et de management. 20% préfèrent des postes de création et de marketing afin de faire connaître leurs idées. 13% souhaiteraient faire carrière dans le domaine des finances et la comptabilité. Environ 7% des femmes s’intéressent aux métiers du BTP, métiers dédiés entièrement aux hommes.

Quelle conclusion en tirer ? Que la promotion de la femme – du travail féminin, dans son ensemble, et de l’entrepreneuriat féminin, en particulier – est le ciment de toute société. Je propose de constitutionnaliser la non-discrimination hommes-femmes et ce, dans toutes les sphères politiques, économiques, sociales et culturelles. Nos filles et nos femmes ont besoin de la plus grande considération.

Facebook
Twitter