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Maghreb

Hommage à Eveline Safir Lavalette, une « juste Algérienne »

Par Yacine Temlali
avril 26, 2014
Hommage à Eveline Safir Lavalette, une « juste Algérienne »

Eveline Lavalette fait partie de ceux qui ont fait « le choix de l’Algérie » pour reprendre le titre du livre de ses amis, Pierre et Claudine Chaulet, paru en 2012. Native de 1927, fille d’Européens installés en Algérie depuis deux générations, elle fera, elle aussi, démentir l’implacable déterminisme social, ethnique ou « racial », en choisissant d’être du côté de ceux que l’ordre colonial a installés dans une altérité définitive et absolue : des humains pas suffisamment humains.

 Dans un pays où les témoignages, souvent tardifs et parcellaires, tentent de guérir d’une amnésie sur l’histoire plus ou moins entretenue pour des raisons politiques, c’est la sortie du livre Juste Algérienne aux éditions Barzakh en juin 2013 qui a fait connaître Eveline Safir Lavalette. Un livre singulier, mélange de poèmes et de prose, où le parcours non moins singulier de son auteure transparaît moins dans le récit des faits que dans les sensations qui s’y expriment.

Eveline Lavalette fait partie de ceux qui ont fait « le choix de l’Algérie » pour reprendre le titre du livre de ses amis, Pierre et Claudine Chaulet, paru en 2012 également aux éditions Barzakh. Native de 1927, fille d’Européens installés en Algérie depuis deux générations, elle fera, elle aussi, démentir l’implacable déterminisme social, ethnique ou « racial », en choisissant d’être du côté du plus faible. D’être du côté de ceux que l’ordre colonial a installés dans une altérité définitive et absolue : des humains pas suffisamment humains.

Cette décision « d’être l’autre » ne va pas de soi. Elle est, par excellence, l’expression d’une singularité, où la conviction de ce qui est juste l’emporte sur toute autre considération, que ce soit l’appartenance de classe ou l’origine. Et il n’est pas surprenant de retrouver Evelyne Lavalette sur une même trajectoire qu’un Pierre Chaulet, décédé le 5 octobre 2012, dans ces milieux progressistes chrétiens d’origine européenne, dont le cœur est trop grand pour s’aveugler sur l’oppression banalisée des « autres ». Et choisir d’être l’autre, d’être « juste algérienne », a un prix. Rupture familiale d’abord. Et aussi, puisque l’on a choisi d’être « l’autre », de subir le traitement que lui réserve l’ordre colonial : la torture, la prison et même des tentatives de liquidation de la part de la Main rouge.

 

Elle s’invente une société douce

 

Evelyne Lavalette est définitivement une moujahida comme ses convictions le lui dictent. Elle est avec Ben Khedda, Abane et Ben M’hidi. Elle fait l’agent de liaison, transporte des documents… Elle fait la frappe. Elle s’occupe de l’appel à la grève des étudiants ou, encore, de la fameuse lettre d’Ahmed Zabana à ses parents. En novembre 1956, elle « tombe » à Oran. Elle reçoit le traitement réservé aux Arabes. Elle est torturée. Mais comme on ne « conçoit » pas qu’une femme « de souche européenne » choisisse d’être « l’autre » que l’on a tant déshumanisé, on cherche l’explication par les troubles mentaux. Après la torture, ce fut l’internement en asile psychiatrique.

Les initiés connaissaient cette femme qui répugnait à se mettre en avant, mais beaucoup d’Algériens n’ont commencé à la connaître qu’à la parution de son livre, préfacé avec passion par Ghania Mouffok. Elle était âgée de 86 ans. Dans ce livre, un texte daté de 2012 intitulé « En guise de fin », et avec l’arrière-fond d’une décennie terrible, elle – c’est plus souvent « elle » que « je » qui apparaît – écrit : « Elle s’invente une société douce et fraternelle, moderne, organisée, qui se souviendrait de l’essence de l’appel du 1er Novembre 1954 et de la plateforme de la Soummam, société qui avancerait au gré des paramètres du 21ème siècle. Et plus près, là, à son échelle, elle voudrait entendre ses pas dans une forêt de cèdres, marcher très loin, dans une vallée profonde et se chauffer doucement au soleil sur un plateau herbeux… ». Paix à Eveline Safir Lavalette, cette juste Algérienne. Cette grande Algérienne.

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