Abderrahmane Mebtoul* rappelle les différences entre la situation financière de l’Algérie aujourd’hui, et sa situation, de loin plus dramatique, à la veille du soulèvement d’octobre 1988. Pour lui, il y a quatre raisons de penser que les revenus de l’Etat peuvent encore servir de « tampon social ». Il n’en prévient pas moins qu’ils ne peuvent jouer ce rôle que de façon temporaire et que des réformes économiques structurelles demeurent impératives.
Premièrement, l’Algérie n’est pas dans la situation de 1986, où les réserves de change étaient presque inexistantes avec un endettement qui commençait à devenir pesant. Avec 150 milliards de dollars de réserves de change et une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars, ces réserves de change, si elles sont bien utilisées, peuvent à la fois servir de tampon social et permettre la dynamisation du tissu productif.
Deuxièmement, vu la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global. Mais il faut faire attention : résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l’explosion sociale.
Troisièmement, grâce à leur travail mais également aux subventions étatiques, les familles algériennes ont accumulé une épargne sous différentes formes. Cependant, il suffit de visiter les endroits officiels de vente de bijoux pour voir qu’il y a « déthésaurisation » et que cette épargne est , malheureusement, en train d’être dépensée face à la détérioration de leur pouvoir d’achat. Cela peut tenir encore deux à trois ans. A la fin de cette période tout peut arriver.
Quatrièmement, l’Etat, malgré toutes les dispositions de l’avant-projet de loi de finances pour 2016, continue à subventionner les principaux produits de première nécessité : il n’est pas question de toucher à deux produits essentiels pour les plus pauvres à savoir le pain et le lait. En revanche, moins de 40% de la population algérienne ont un véhicule : pourtant, le relèvement du prix du gasoil et de l’essence est relativement faible comparé au prix international. Pour rappel, sur les 28 milliards de dollars de subventions – sans compter les transferts sociaux – les carburants accaparent plus de 10 milliards de dollars.
Les dirigeants doivent donner l’exemple en matière d’austérité
L’élévation du prix de certains produits se répercutera en chaîne sur l’ensemble des segments concernés mais à court terme, cette situation est maitrisable, sous réserve d’une plus grande rigueur budgétaire et d’une lutte contre les surcoûts, le gaspillage et la corruption. Avec la baisse des recettes de Sonatrach de 45%, il est indispensable d’accroître la fiscalité ordinaire : c’est là un exercice difficile sans pénaliser les activités productives et les couches les plus défavorisées.
Il faut être aussi conscient que sans réformes structurelles, évitant les replâtrages et les discours populistes, l’implosion sociale est inévitable horizon 2018/2020. L’inflation joue toujours comme facteur de redistribution des revenus au profit des revenus variables et il appartient à l’Etat de concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale, laquelle n’est pas antinomique avec l’efficacité. Tous les appareils de l’Etat doivent donner l’exemple. J’avais préconisé, lors d’une conférence devant le Premier ministre, en novembre 2014, que les responsables au plus haut niveau (présidence, gouvernement, hauts cadres de l’Etat, députés, sénateurs, etc.) donnent l’exemple par une réduction de leurs salaires et évitent des réceptions inutiles. Certes, une telle attitude n’aura pas une importante répercussion sur le budget de l’Etat mais ce sera un symbole fort pour mobiliser la population.
(*) Pr Abderrahmane Mebtoul est expert international.