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« Face à la crise du pétrole, l’Algérie doit jouer la carte de la préférence nationale  » (Preure)

Par Kheireddine Batache
avril 21, 2020
« Face à la crise du pétrole, l’Algérie doit jouer la carte de la préférence nationale  » (Preure)

« Il faut comprendre que le marché des hydrocarbures ne pourra plus être cartellisé. C’est un constat qui s’impose et qu’il faudra intégrer parmi ses tenants et aboutissants, à l’avenir», souligné l’expert.

Depuis un peu moins de 24h, les Américains ont été les témoins incrédules d’un « 11 septembre » énergétique. Sauf que cette fois-ci, ce ne sont pas des  gratte-ciel imposants qui se sont effondrés comme un château de carte, mais plutôt le prix de l’or noir. Le marché du NYMEX a été l’arène de la spectaculaire mise à mort des cours du baril de pétrole WTI (West Texas Intermediate), ayant atteint le niveau de moins zéro dollar.

Une situation inédite dans les annales du New York Mercantile Exchange, l’un des deux plus importants marchés dérivés de matières premières dans le monde, au côté du Intercontinental Exchange (ICE) à Londres, spécialisés dans la négociation de futures (contrats à termes) et d’options de produits énergétiques bruts ou transformés : pétrole, gaz naturel, fuel domestique, essence sans plomb, charbon, électricité.

Selon l’économiste et expert international en Energie Mourad Preure, cette situation, qui tient davantage du principe de la « patate chaude », est induite par un surplus de stocks de pétrole, devenus problématiques. Le dernier à en posséder avant clôture des sessions de vente et d’achat, essuie d’énormes pertes en matière de logistique. Le baril est donc cédé au prix des petits pains.

 « Il faut savoir que les pétroliers sont minoritaires en ce qui concerne les échanges sur marché. Ce sont les financiers qui tiennent la barre et ils travaillent au feeling. » En d’autres termes, la négociation des fameux contrats à court terme obéit à une logique de « Forex » qui fonctionne à la confiance en anticipant les changements systémiques et macroéconomiques, susceptibles d’influencer la sempiternelle règle de l’offre et la demande. 

Mais l’économiste ne s’arrête pas à cette analyse. Il soutient que  le phénomène de l’effondrement des cours du WTI est symptomatique d’un « collapsus » de l’économie mondiale et ferait  « partie intégrante d’un ensemble de paramètres, dont l’explosion de la bulle du schiste aux Etats-Unis.

« Il faut comprendre qu’en matière d’industrie, depuis la crise de 2008, c’est le schiste qui crée le plus d’emplois et fait tourner la roue des secteurs corollaires en quelque sorte », nous explique-t-il.

Mais comme chacun le sait, une bulle ne peut qu’exploser ! Mourad Preure, que ce premier paramètre est conjugué à un triple choc, caractérisé par la hausse de l’offre (en partie dopée par la production saoudienne), la baisse de la demande et la pandémie du Covid-19 comme amplificateur de la somme des deux données précédentes. 

« Un effet de contagion n’est pas exclu ! »

Mais ne faut-il pas pour autant craindre d’éventuelles répercussions sur les cours du Brent, par extrapolation, sur  le secteur dé l’énergie en Algérie, même si celui-ci est référencé à l’Intercontinental Exchange (ICE), c’est-à-dire le marché du Brent de la mer du nord, dont les prix ont chuté à la moins de 20 dollars aujourd’hui ? Et pourquoi le baril de brent est traditionnellement plus cher le WTI ?

Cette question sur la différence de prix entre le pétrole WTI et Brent est légitime étant donné que les deux barils contiennent la même quantité (159 litres). L’écart de prix est tout d’abord dû à la différence de qualité des deux barils (le taux de soufre), mais également à l’important stock de pétrole aux États-Unis qui fait pression sur le prix du WTI. En septembre 2017, les stocks de pétrole brut aux États-Unis étaient de 368,651 millions de barils, alors qu’ils étaient de 214,430 millions en 2011, soit une hausse 71% des stocks de pétrole aux États-Unis en moins de 6 ans. La différence entre les deux références est également appréciée selon les principes suivants : les lieux d’extractions, le raffinage, l’influence internationale et lieux ou plateformes d’échanges.

Selon Merouane Hamdani, Resrvoir Engineer à Statoil (Equinor) en Norvège, il serait nécessaire de contraindre les pays producteurs à réduire davantage leur rythme de production. « En ce moment, il y a une demande très faible et il est difficile de trouver une alternative au stockage. Nous sommes aux portes de la saison chaude qui plus est, ce qui signifie une baisse supplémentaire de la demande européenne, ce qui impactera inéluctablement les prix du Brent mais aussi ceux du gaz. » Et d’ajouter : « Chez Statoil nous travaillons dur pour réduire les coûts de production. Notre stratégie n’est vraiment pas liée à la prospection mais plutôt à l’acquisition des opportunités. Il y a plein de petites compagnies qui ne sortiront pas indemnes de cette crise. Il faut que l’Algérie fasse pareil : réduire au minimum ses coûts de production en ciblant les meilleurs projets d’investissement, car beaucoup souffriront de cette situation faisant baisser davantage la production. Cela provoquera peut-être un effet de retour de manivelle, qui se répercutera positivement sur les prix. La question est de savoir quand cela pourrait de produire. »

Le même son de cloche retentit chez Mourad Preure qui n’exclue pas un effet de « contagion », précédé d’éventuelles convulsions du côté des producteurs et acheteurs de Brent. Mais l’une des conséquences jugée « fataliste » par l’expert internationale, sera l’implosion de l’OPEP, qui perdrait en quelque sorte toute légitimité quant à la régulation du marché.  « Il faut comprendre que le marché des hydrocarbures ne pourra plus être cartellisé. C’est un constat qui s’impose et qu’il faudra intégrer parmi ses tenants et les aboutissants, à l’avenir. »

Existe-il une thérapie à tout cela ?

Interrogé sur la manière dont le gouvernement algérien devrait travailler à limiter les effets néfastes de cette nouvelle crise du baril de pétrole et tenter d’anticiper sinon endiguer les dommages collatéraux qui pourraient résulter, Mourad Preure préconise une réponse en trois séquences, qui consiste à préserver la vie de nos concitoyens en cette période de pandémie, mettre en place un plan ORSEC pour les entreprises afin de sauver les emplois et enfin préparer 2021 en misant tout sur le patriotisme économique.

« Face à la crise du pétrole, l’Algérie doit jouer la carte de la préférence nationale positive via le principe du patriotisme économique qui est un rempart contre ce qu’on appelle le syndrome hollandais –phénomène qui relie l’exploitation de ressources naturelles au déclin de l’industrie manufacturière locale- tout en ayant une posture d’attaque de l’économie et éviter de se « recroqueviller » sur soi en attendant que la tempête passe son chemin », a-t-il martelé.

En effet, l’expert appelle, entre autres, à des mesures concrètes de conquête des opportunités, via la mise en place d’un fonds de régulation pour l’achat d’actifs, par exemple. « Un fonds capitalisé à hauteur de 5 milliards dollars permettrait à l’Algérie de positionner sur d’éventuels achats d’actifs, car c’est le moment de faire des deals. » Il explique notamment qu’il n’y a nul besoin d’injecter de l’argent frais dans ce type d’opérations, car l’Algérie pourrait faire appel à ses ressources locales en matières d’ingénierie financière. « Nous avons d’excellents experts qui savent faire des montages financiers complexes, auprès de grandes banques d’affaires internationales. » 

 « En 2008, Repsol avait annoncé avoir conclu le rachat de Talisman Energy, numéro cinq des compagnies indépendantes au Canada, une opération d’un montant global de 13 milliards de dollars, dont il a payé 8,3 milliards de dollars en cash. Croyez vous que la compagnie avait dans sa trésorerie, une telle somme à investir sur un projet pareil, en ce temps là ?  Cela a néanmoins permis au géant espagnol sa production de faire bondir de 76 %, pour atteindre 680 000 barils par jour, et ses réserves à 55 %» a-t-il conclu.  

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