La jeunesse, comme la nature, a horreur du vide ; aussi meuble-t-elle la vacuité de sa vie que lui imposent des lois scélérates par l’excès en tout, et ce jusqu’à la mort, en faisant même un jeu*.
Il n’est plus besoin de le démontrer : les lois en Tunisie sont scélérates, notamment dans le domaine de la vie privée, empêchant les Tunisiens, surtout les jeunes, de vivre leur vie en toute liberté. Ce qui fait de leur existence, non seulement un enfer, mais aussi une vacuité qu’ils meublent à leur manière, car la nature a horreur du vide. L’excès entraînant l’excès, on voit ainsi à quel niveau de bassesse on tombe dans nos stades qui ne font que traduire les turpitudes de ceux qui doivent donner l’exemple, les responsables politiques, et aussi religieux.
Déni légal de vivre et jeu du « je »
Or, ce qui se passe dans nos stades n’est que la face apparente de l’iceberg que manifeste la présence massive des jeunes Tunisiens dans les mouvements terroristes étant donné qu’il puise ses causes dans ce le déni légal de vivre fait à nos jeunes. Le terrorisme est, bien évidemment l’exemple paroxystique du phénomène dont les facettes moins douloureuses, mais non moins tragiques, se déclinent sous la forme hypocrite de jeux en vogue de l’amour et de la mort.
En effet, la législation liberticide du pays a généré une pratique générique de soi et du comportement social, un jeu du je que pratique le Tunisien afin de donner l’apparence de se conformer à la loi et éviter de la sorte ses rigueurs tout en la contournant en catimini pour vivre ou simplement survivre.
Ce jeu du jeu, communément appelé hypocrisie, n’est qu’une sorte d’adaptation sociale imposée par l’environnement de contraintes. C’est aussi une façon populaire intelligente de s’aménager un espace de libertés privatives, une sorte de no man’s land qui n’est pas hors-la-loi du moment qu’il est hors du territoire de la loi, une zone en quelque sorte franche, mais dont le bénéfice nécessite un prix à payer élevé consistant à se cacher, simuler et dissimuler.
Car cela ne favorise nullement la sérénité psychologique et le vivre-ensemble paisible quand il n’aiguise pas les tensions névrotiques et les maladies psychosomatiques et autres psychoses schizophréniques.
Jeu de la roulette russe
Aujourd’hui, en cette ère postmoderne, désormais la nôtre, et qui est l’âge des foules, notre jeunesse réinvente sous nos yeux sa vie, cherchant par tous moyens à en contrer l’excès de répression subi par un excès équivalent de libération, et ce en faisant de sa vie une roulette russe.
Il s’agit déjà d’un jeu suicidaire consistant à se pointer sur la tempe un révolver dont le barillet est chargé d’une seule balle, et de tirer, ne sachant point si le coup sera mortel ou non. Un tel jeu se développe aux moments de graves crises morales, permettant à ses pratiquants se jouant de leur vie de lui donner un sens. Ainsi était-il très développé dans les rangs des armées américaines durant la terrible guerre du Vietnam.
Et notre jeunesse est en train de jouer à cette roulette devenue tunisienne. Outre ses frasques dans les rues et surtout dans ses stades censés être des lieux de plaisir, elle s’adonne allègrement à la mort au nom de divers idéaux factices : religieux, en faisant le jihad mineur obsolète, ou simplement ludique, pratiquant le jeu en vogue de la baleine. En effet, quand on est en manque, du fait de la loi, de son droit au plaisir, tout se permet pour se donner une raison de vivre.
Vicieux jeu de l’amour
Il faut dire que les autorités du pays ne sont plus désormais inconscientes d’un tel danger épidémique; mais au lieu d’agir sur la cause en abolissant au plus vite la législation scélérate de l’ancien régime, elles tergiversent, s’adonnant à l’hypocrisie. Une illustration éloquente est dans ce qu’on vient de vivre en ce 14 février, consigne ayant été donnée de célébrer l’amour d’une manière quasi officielle. Ainsi, on entendu le mufti de la République disserter lui-même sur ce sentiment, le meilleur en l’humain, rejoignant ce qu’on n’a pas arrêté de dire : que l’islam ne prohibe pas les manifestations amoureuses.
Cependant, comment pourrait-on saluer cela comme une avancée majeure sur la voie de la libéralisation des moeurs en Tunisie quand ce n’est-ce pas que de la poudre aux yeux ? Car il ne s’agit que d’une manoeuvre supplémentaire cherchant à tromper tout juste, faisant croire à ce qui n’existe pas encore en Tunisie : le droit d’aimer. On ne fait donc que gesticuler sans agir, tout en veillant à préserver en l’état la législation qui empêche de vivre, aimer et pratiquer paisiblement le sexe entre adultes. Car un tel droit n’existera que le jour où les lois contraires à l’amour seront abolies, ce qui est loin d’être le cas.
En effet, on continue à appliquer des lois devenues illégales, étant contraires à la Constitution, pour emprisonner les amoureux. N’a-t-on pas pénalisé un simple baiser public ? Et n’emprisonne-t-on pas encore pour des relations sexuelles consenties entre adultes, car ayant lieu hors mariage ou entre mêmes sexes ? Où est l’amour qu’on prétend célébrer ? Le tragique est que, pendant ce temps, nos jeunes, et de plus en plus d’enfants, se piquent à des jeux leur donnant l’illusion de vivre alors qu’ils ne font que se donner la mort.
Tragique jeu de la mort
On a ainsi enregistré une nouvelle victime du fameux jeu de la mort qu’est le jeu de la baleine susmentionné faisant fureur auprès de nos jeunes. À Zaghouan, Mehdi, 13 ans, s’est donc donné la mort par jeu, réussissant l’ultime épreuve du jeu en se suicidant. Il n’est que la dernière victime, chez nous, après bien d’autres de par le monde, y compris au Maghreb où l’on a cité un autre cas, au Maroc, à Benguerrir, près de Marrakech, concernant un jeune de 13 ans aussi, Brahim, heureusement sauvé in extremis.
Il faut dire que ce jeu est particulièrement prisé par les enfants de 12 à 15 ans, des personnes fragiles de cet âge critique où ils ont le plus besoin d’être soutenus, aidées et initiées à la vie. Or, quand l’incitation à la vie fait défaut du fait même de la loi, c’est la mort qui fait office de vie.
C’est le principe sur lequel est basé ce jeu macabre est apparu en Russie et y a été diffusé sur internet en 2016 par son créateur russe, ce qui n’est pas pour étonner eu égard à la fameuse roulette. Le jeu tire son nom de la légende ayant trait au fait qu’il arrive à la baleine de se suicider en venant s’échouer volontairement sur une plage.
Le jeu, appelé « Bleu whale challenge », est une sorte d’initiation sectaire où une baleine est le mentor donnant à son adepte, faisant partie d’une communauté de fidèles, des consignes, tâches secrètes, à remplir en faisant montre de courage et de détermination, pour se surpasser en quelque sorte. Et il est appelé à se filmer réussissant ses tâches afin de partager ses exploits par photos et vidéos sur les réseaux sociaux.
C’est ainsi qu’il communique aussi avec la baleine, son supposé guide, pour lui prouver l’accomplissement de l’engagement et sa disponibilité à en relever d’autres, les épreuves suivantes. Il y en a, en tout, cinquante à réussir en cinquante jours. Car tout défi accompli doit être validé pour accéder à un défi encore plus élevé.
Ils se déclinent du plus banal (comme d’écrire quelque chose sur la main un nombre incalculable de fois, de regarder une vidéo particulièrement repoussante ou osée à une heure inhabituelle) au plus périlleux (se tenir, par exemple, sur le bord d’un toit, les jambes dans le vide ou, en toute fin de jeu, se suicider).
Il est à noter que l’inventeur du jeu a été condamné à la prison en Russie pour incitation au suicide et il la purge depuis juillet 2017. Il a été condamné à moins de quatre ans de prison alors son jeu est une véritable entreprise de manipulation des jeunes. Car son jeu entend créer une communauté unie, symbolisée par un signe d’appartenance (graver une baleine bleue sur le corps, généralement). Pour y entrer, instaurer la relation de confiance nécessaire entre les membres de la secte, le joueur est piégé en étant tenu de fournir des informations et des détails précis de sa vie privée et celle de son environnement aux administrateurs du jeu. Nombre de témoignages affirment ainsi que les jeunes joueurs, une fois parties de la communauté, ne peuvent plus la quitter et se retrouvent obligés de continuer le jeu, subissant même des menaces de mort les visant ainsi que leur famille.
Qu’attendre donc pour sauver nos jeunes des manipulations qui les ciblent ? Il n’y a pour cela qu’un moyen efficace : leur redonner goût à la vie ! Ce qui nécessite de commencer par suspendre et finir par abroger, et ce au plus vite, tous les textes liberticides en matière de vie privée.
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord.