Le renvoi devant la cour d’assises du Gard du sud de la France de deux anciens membres des GLD (Groupes de légitime défense – patriotes) est une conséquence du refus de la justice algérienne de prendre en charge les plaintes des victimes à Relizane en 1996.
C’est ce qu’a déclaré mardi 12 janvier, Mohamed Smaïn, militant algérien des droits de l’Homme (LADDH), dans un entretien à Radio M, la webradio de Maghreb Emergent. Le militant de droits de l’homme rappelle le contexte d’après l’arrêt du processus électoral en 1992 où les personnes travaillant dans l’administration étaient visées. Les frères Mohamed, sous le coup de la procédure en France, avaient rejoint le Groupe de Légitime Défense (GLD) à la demande de leur père, Abed. Le père des deux frères Mohamed, Abed, avait été gravement blessé en 1995 et un de leurs frères, maire d’Oued Djemaa, tué par un groupe armé, en 1996.
Les frères Mohamed ont alors commis des actes de vengeance contre 15 personnes, a-t-il indiqué. « C’était l’évènement le plus dramatique » qui aurait pu être encore plus lourd s’ils n’avaient pas été sommés par l’armée, le commandant de secteur Abdelfattah et le chef du DRS, Mustapha, d’ « arrêter le massacre ».
Parmi les victimes, figuraient des sympathisants et militants du FIS, mais également des gens qui n’avaient rien à voir avec les islamistes. « Ils étaient des bijoutiers pour la plupart. Ils ont été tous rançonnés. Les miliciens effectuaient des perquisitions, prenaient tout ce qu’ils trouvaient et les emmenaient aux magasins pour ouvrir les coffres … et ils disparaissaient ».
« C’était une vengeance ». Hadj Smaïn indique avoir saisi à l’époque le président Liamine Zeroual et les autorités locales en leur disant qu’il y a un « grand dérapage » et que la situation sera « irréparable » car il y avait des listes de gens qui circulaient. « Zeroual a pris ses responsabilités, il a saisi les autorités locales qu’elles seront tenues pour responsables de tout acte criminel à Relizane ».
La LADDH et les victimes ont saisi la justice avec une dizaine de plaintes à Oued Rhiou. Les familles n’ont pas été entendues par la justice. Toutes les plaintes ont abouti à des non-lieux ou ont été classées. « La justice algérienne n’a pas voulu prendre ce dossier en main. Nous avons déposé une dizaine de plaintes. En dépit des doléances et témoignages des victimes, les autorités ont déclaré des non-lieux », a-t-il déploré.
« L’Algérie n’a pas voulu enquêter. La LADDH était donc obligée de faire tout ce qui est de son pouvoir pour un procès, en Angleterre, en Belgique ou l’ensemble de la justice européenne. La justice française est d’ailleurs une justice universelle (…) D’autant que les deux criminels résident sur le territoire français, dont l’un est de nationalité française. »
Un « soulagement pour les familles »
Le renvoi devant la cour d’assises du Gard du sud de la France des deux « ex-patriotes » algériens, « est un grand soulagement pour les familles de personnes disparues », a estimé Mohamed Smaïn. « Ils pourront connaître la vérité. Condamnés, même symboliquement, les deux frères Mohamed seront reconnus comme coupables », a-t-il expliqué. « S’ils seront condamnés à une condamnation ferme, c’est la plus grande victoire des familles de disparus. » C’est la toute première fois dans l’Histoire que des Algériens seront jugés, en vertu de la Convention internationale contre la torture adoptée en 1984 et intégrée dans le code pénal en 1994, pour des actes commis dans les années 1990 en Algérie.
S’agissant de la procédure en France, Mohamed Smaïn rappelle que « le juge d’instruction, quand quelqu’un réside à l’étranger, donne toujours du temps » pour convoquer les intéressés », en l’occurrence quelques témoins sélectionnés parmi une centaine, « épaulés par les militants de la LADDH ». « L’enquête a duré 10 ans parce que le 1er juge d’instruction est décédé lors d’un accident. Il fallait au moins 3 années pour que chaque nouveau juge d’instruction s’installe et se familiarise avec l’affaire », a conclu le brave militant des droits de l’Homme.
« Il faut avoir le courage de prendre en charge le dossier des disparus »
Mohammed Smaïn a ensuite rappelé que « les autorités ont aussi influencé beaucoup de témoins, qui se sont retirés (…) d’autres habitaient en France et se sont présentés de leur propre initiative au juge de Nîmes pour porter plainte ».
« L’État n’a pas voulu reconnaître qu’il y avait des morts et des charniers. Il disait tout le temps qu’il n’était au courant de rien. Pour eux, l’ensemble des disparus ont pris le maquis (…) Nous avons exhumé avec les parents des victimes ces charniers pour prouver que ces personnes disparues existent ». L’Etat doit prendre en charge le dossier des disparus et avoir le courage de le faire pour aller vers une « vraie réconciliation ».
Hadj Smain estime que les milices ont agi par leur propre chef et n’ont pas été incitées par les officiels à commettre les actes répréhensibles. Pour lui, si l’on veut éviter que les affaires soient traitées à l’étranger il faut que l’Etat et la justice algérienne s’occupent avec « courage » du dossier des disparus.
Le militant des droits de l’homme a rejeté les accusations qu’il y aurait eu entre lui et Hadj Fergane un différend « tribal ». « Ce qui nous sépare, c’est le sang, le patriotisme et les droits de l’homme », a-t-il martelé. Mohammed Smaïn a été condamné en 2002 à deux mois de prison ferme, pour avoir dénoncé des « crimes imaginaires » commis par les milices de Hadj Fergane, après avoir exhumé un charnier.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1xvLXPJ