Le procès en appel du journaliste Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb Emergent, se tiendra ce dimanche 4 juin à la cour de Ruisseau, à Alger. Le tribunal de Sidi M’hamed l’avait condamné à cinq ans de prison, dont trois ans fermes et deux avec sursis le 2 avril.
Ce dimanche 4 avril, Ihsane El Kadi devra se défendre devant le juge de la cour d’Alger et ses avocats vont plaider pour la première fois dans cette affaire. Lors de son procès en première instance, le journaliste avait gardé le silence devant la juge : « Je n’ai pas parlé durant trois mois et c’est une opportunité pour moi de parler. Mais tout a changé dès le jour où le chef de l’Etat m’a insulté, et condamné avant mon jugement », avait déclaré Ihsane El Kadi en faisant allusion aux propos tenus par Abdelmadjid Tebboune, qui l’a accusé de « Khabardji » (informateur) sur la télévision publique. Le collectif d’avocat de la défense a boycotté l’audience pour protester contre les différentes irrégularités et violations de procédures, à commencer par l’arrestation d’Ihsane El Kadi en pleine nuit par des agents de la DGSI, et la mise sous scellés, dès le lendemain, des locaux des deux médias Radio M et Maghreb Emergent sans décision de justice.
Incarcéré depuis plus de cinq mois, Ihsane El Kadi est accusé de « réception de fonds de l’étranger à des fins de propagande » et « pour accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité et au fonctionnement normal des institutions ». Selon ses avocats, il s’agit d’une somme de 20 000 livres sterling, (soit l’équivalent de 3.400.000 Da) que Tinhinane El Kadi, fille d’Ihsane El Kadi et actionnaire dans l’agence Interface Médias, avait envoyée à son père en plusieurs tranches, pour payer les salaires des employées, pendant que l’agence traversait une crise financière durant la pandémie COVID.
Son arrestation est intervenue peu après la diffusion et la publication de contenus sur Radio M et Maghreb Emergent qui semblent avoir dérangé le pouvoir. En effet, le journaliste avait ouvert le débat sur les présidentielles de 2024 et la possibilité d’un éventuel candidat consensuel du Hirak. Il avait aussi analysé dans un blog, publié le 17 décembre sur Maghreb Emergent, l’hésitation de l’armée à reconduire Abdelmadid Tebboune à la tête du pays en 2024. Beaucoup pensent que la goutte qui a fait déborder le vase était un tweet dan lequel Ihsane El Kadi avait exprimé des doutes à propos du chiffre de 20 milliards de dollars donné par A. Tabboune comme étant la partie, déjà récupérée des fonds détournés par la « Aissaba », terme désignant d’anciens ministres, hauts responsables et oligarques de l’ère Bouteflika, et qui sont actuellement poursuivis en justice.
Dans leurs déclarations, notamment lors de deux conférences de presse, les avocats d’Ihsane El Kadi ont affirmé qu’il s’agit d’un procès politique sous couvert de dossier juridique, et que la fermeture de ses deux médias est une tentative de faire taire toute voix discordante dans le pays.
L’arrestation d’Ihsane El Kadi a suscité une grande indignation et un tollé national et international. Plusieurs voix se sont élevées demandant sa libération, dont des organisations de défense des droits humains et de la liberté de la presse, des intellectuels, des journalistes, des personnalités connues et reconnues, dont des artistes. Des rapporteurs onusiens ont même saisi le Gouvernement algérien, le 16 janvier, sur le cas de l’incarcération du journaliste et la perquisition de ses deux médias. Le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, le représentant de RSF pour la région Mena-Afrique du Nord, Khaled Drareni avait remis en mains propres une lettre à Abdelmadjid Tebboune, lors d’une cérémonie, organisée à cette occasion au CIC, et lui a demandé de libérer Ihsane El Kadi. Dernière action en date, une lettre ouverte adressée au président Tebboune, parue dans le quotidien Le Monde. Elle a été signée par dix intellectuels de renommée mondiale, dont le célèbre linguiste et activiste américain Noam Chomsky, la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, le philosophe Etienne Balibar, l’universitaire Joyce Blau, membre des réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’indépendance algérienne et bien d’autres, dont le cinéaste anglais Ken Loach.