Ihsane El Kadi, parcours d'un journaliste libre et engagé - Maghreb Emergent

Ihsane El Kadi, parcours d’un journaliste libre et engagé

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Journaliste accompli et figure connue de la scène médiatique nationale, Ihsane El Kadi, qui croupit aujourd’hui en prison, s’est investi depuis longtemps dans le combat en faveur de la promotion de la démocratie et des libertés, dont celle de la presse.

El Kadi naît le 27 avril 1959 à Tripoli, en Libye, où son père, Bachir El Kadi, militant du PPA-MTLD puis cadre du FLN était au cœur des réseaux d’acheminement des armes vers l’ALN en guerre contre l’occupation française.

Durant ses études en sciences économiques à l’université d’Alger, Ihsane El Kadi milite au sein du mouvement étudiant autonome, hostile à la mainmise du parti unique sur l’université, ainsi que dans le Groupe communiste révolutionnaire (GCR), une organisation d’extrême gauche active dans les milieux syndicaux et estudiantin. En 1980, il participe à Alger au mouvement de soutien de la révolte du Printemps berbère. En mai 1981, il est un des vingt-deux étudiants, membres du collectif culturel de l’université d’Alger, arrêtés à la suite des incidents qui s’étaient déroulés lors de la Journée de l’étudiant. Il sera un des derniers à être libéré en novembre de la même année. 

Ihsane El Kadi se lance dans le journalisme au début des années 1980. Journaliste sportif au quotidien Horizons, il participe activement au Mouvement des Journalistes algériens (MJA), né après octobre 1988. Il devient rapidement une figure de la presse indépendante. Dans les années 1990, dans un contexte où les journalistes sont l’une des principales cibles des terroristes du GIA, Ihsane El Kadi est rédacteur en chef du quotidien La Tribune, et se distingue pour son courage à investiguer sur des questions cruciales : la nébuleuse des groupes armés islamistes, l’évolution de l’islamisme radical, les disparitions forcées, le mouvement d’autodéfense contre les groupes armés, etc. Il est également un des fondateurs du Syndicat national des journalistes algériens (SNJA).

Il fonde en 2002, avec un groupe de journalistes Interface Médias. Celle-ci va créer, en juillet 2007, en partenariat avec d’autres journalistes maghrébins et autres, le magazine financier international Les Afriques, premier hebdomadaire panafricain rédigé par des journalistes basés en Afrique. Ses rédacteurs en chef sont, pour la finance, Adama Wade (établi à Casablanca), pour l’économie et la politique, Ihsane El Kadi (basé à Alger) et pour la gestion publique et la coopération, Chérif Elvalide Seye (Dakar). En 2009, Interface Médias monte un journal uniquement en ligne, ce qui était rare à l’époque : Maghreb émergent, spécialisé dans l’actualité économique de la Mauritanie jusqu’à la Libye.

Interface Médias SPA, dirigée par Ihsane El Kadi, va poursuivre son investissement prioritairement dans les médias, en lançant Radio M en 2013 et la franchise algérienne du Huffington Post en 2014, dans le cadre d’une filiale.

Il participe, en 2014, à la fondation du prix Ali Boudoukha qui récompense le meilleur article de presse d’investigation. Il est en 2019, lauréat du prix de la liberté de la Presse Omar Ouartilane. Ce prix, du nom du fondateur et rédacteur en chef du quotidien El Khabar, assassiné le 3 octobre 1995 par les terroristes intégristes, récompense un journaliste d’investigation engagé dans le combat pour les libertés et la démocratie en Algérie.

Très engagé pour les libertés, il fait partie dans les années 2000 d’un des premiers opposants à Abdelaziz Bouteflika. Il participe notamment en 2009 à une initiative contre la candidature de ce dernier à un 3e mandat présidentiel. Il s’investit également dans l’opposition au 4e mandat bouteflikien en ouvrant les médias édités par Interface Médias à l’opposition démocratique et sociale.

Déboires judiciaires

Dès 2019, il s’investit dans le Hirak, personnellement et en ouvrant ses médias, notamment Radio M à toutes les voix qui s’expriment. Il va être ciblé par la répression qui s’intensifie et vise les figures du Hirak à l’approche des élections législatives algériennes de 2021 : deux jours avant le scrutin du 12 juin, il est arrêté par les services de sécurité en compagnie de l’opposant Karim Tabbou et le journaliste Khaled Drareni.

Jugé en juin 2022 pour un article d’analyse publié le 23 mars 2021, Ihsane El Kadi est condamné par le tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger, à six mois de prison ferme sans mandat de dépôt et 50 000 dinars d’amende.

Il est de nouveau arrêté dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022 et les locaux des sites Radio M et Maghreb Emergent sont perquisitionnés et mis sous scellés. Poursuivi sur la base d’articles du code pénal relatifs aux publications et aux dons (notamment l’article 95 bis), il est placé en détention provisoire jeudi 29 décembre. Son arrestation suscite une vague d’indignation nationale et internationale. L’ONG de défense des journalistes Reporters sans frontières dénonce dans un communiqué adressé à l’ONU « l’acharnement judiciaire » subi par Ihsane El Kadi.

Le 4 janvier 2023, une semaine après le placement en détention d’Ihsane El Kadi, la plateforme l’Orient XXI décide de republier son dernier article, cause probable de son arrestation et où il évoque les rapports entre l’armée et la présidence algérienne et les enjeux de l’élection présidentielle de 2024.

La semaine suivante, seize patrons de presse de divers pays, dont le prix Nobel de la paix de 2021 Dmitri Mouratov, réunis par RSF, appellent à sa libération. Le 17 janvier, l’ONG Amnesty International apporte à son tour son soutien à Ihsane El Kadi, dénonce sa détention comme injustifiée, et appelle à sa libération immédiate. Le 27 janvier, RSF met en ligne une pétition appelant à la libération d’Ihsane El Kadi. Cette dernière dépasse 10 000 signatures en un mois.

Mais peu de temps auparavant, le 16 janvier 2023, la justice algérienne confirmait son placement en détention. Sa date de jugement est fixée au 12 mars. Plusieurs charges initialement retenues contre lui ayant été abandonnées après son audition par le juge d’instruction, il sera jugé uniquement pour financement étranger de son entreprise.

Le 26 mars, le procureur requiert cinq ans de prison ferme à son encontre. Ce lourd réquisitoire se base pour toute « preuve » sur un transfert de fonds reçus par Interface Médias de la part de Tin Hinan El Kadi, sa fille, chercheuse en sciences politiques dans une université anglaise et actionnaire associée dans Interface Médias.  Le 2 avril 2023, le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger le condamne à cinq années de prison, dont trois ferme, pour “financement étranger de son entreprise”. Ihsane El Kadi est actuellement en attente de son procès en appel fixé pour le 21 Mai prochain.

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