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Économie

Intégration régionale et unions monétaires en Afrique (opinion)

Par Yazid Ferhat
avril 11, 2016
Intégration régionale et unions monétaires en Afrique (opinion)

Avec plus de 30 millions de kilomètres carrés de terres émergées, l’Afrique est aussi grande que l’Inde, la Chine, les États-Unis et la plus grande partie de l’Europe réunis. Faussée par la projection de Mercator, la superficie qu’on lui donne généralement est plus petite que dans la réalité, presque à l’instar d’autres attributs du continent.

 

Lorsqu’on se rend compte que la superficie de la République démocratique du Congo à elle seule est à peu près égale à celle de la moitié de l’Union européenne, on pourrait aller jusqu’à prétendre qu’au moins un territoire équivalent est déjà intégré sur le continent. Or il s’avère que même dans tel ou tel pays pris isolément, comme la République démocratique du Congo, l’intégration nationale est une gageure. Il y a seulement 10 ans, le budget de l’État en République démocratique du Congo était inférieur à celui de Bruxelles. Au fond, le fait est que l’Afrique a encore beaucoup de chemin à faire !

Dans toutes les régions et contrées de la planète, la réalité de l’intégration en dit long sur les nombreuses difficultés rencontrées en la matière. L’Afrique ne déroge pas à la règle. Même l’Union européenne, considérée comme l’entreprise d’intégration la plus aboutie, commence à éprouver de sérieuses difficultés et à manifester d’importantes faiblesses, notamment en ce qui concerne la zone euro.

Si l’histoire des unions monétaires est plus longue en Afrique qu’en Europe, la taille de l’Union monétaire européenne et les problèmes qu’elle a rencontrés depuis la crise financière de 2008-2009 fournissent de précieux enseignements que peuvent exploiter les unions monétaires existantes ou en projet en Afrique. L’Europe a travaillé dur pour consolider son marché unique et parvenir à un haut degré d’intégration commerciale avant la création de l’euro. De plus, les pays de la zone euro ont construit avec le temps un impressionnant faisceau de mécanismes, d’institutions et  de règlements.

L’un des enseignements essentiels que l’Afrique peut tirer de l’expérience de l’Union européenne est que le cadre institutionnel doit être de nature à stimuler les échanges commerciaux régionaux. Un autre en est l’importance de la stabilité des politiques macroéconomiques. La survie et la stabilité de toute union sont en péril dès lors qu’il existe entre ses pays membres de grands écarts dans le respect de la discipline budgétaire. L’expérience de la zone euro souligne également la nécessité pour les pays qui s’apprêtent à participer à une union monétaire de disposer d’un mécanisme crédible et réaliste de transfert budgétaire qui leur permettrait de répondre aux chocs asymétriques et de s’y adapter. En l’absence d’un mécanisme de cette nature, toute union monétaire risque de subir des pressions considérables lorsque ses membres sont frappés par de tels chocs. Il est cependant à craindre que l’adoption de critères de convergence stricts ne réduise la marge de manœuvre dont les décideurs disposent pour affronter les problèmes de développement actuels et ceux qui se profilent à l’horizon.

On ne saurait trop insister sur l’intérêt de l’harmonisation des politiques monétaires, budgétaires et financières dans le cadre de l’intégration économique. Selon la littérature spécialisée, toute union monétaire se caractérise par deux éléments : une union de taux de change, c’est-à-dire une zone à l’intérieur de laquelle les taux de change sont en permanence fixes entre les diverses devises, et la convertibilité, qui s’entend de l’absence permanente de tout contrôle de change dans une zone donnée, que ce soit sur les opérations courantes ou sur les opérations en capital.

D’après Robert Mundell, lauréat du prix Nobel d’économie, le degré de mobilité des facteurs dans une union monétaire est de la plus haute importance. La main-d’œuvre et les biens d’équipement y circulant librement d’un pays à l’autre, il est facile que les facteurs se déplacent vers des zones où ils peuvent être rémunérés au mieux pour les services rendus. Une des conditions fondamentales en est la présence d’au moins une devise convertible à l’intérieur de l’union.

Les communautés économiques régionales d’Afrique ambitionnent de créer des unions monétaires dans le cadre de leurs programmes d’intégration généraux. En Afrique, certains pays partagent une même monnaie de longue date. Par exemple, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) compte huit pays utilisant le franc CFA, qui avait précédemment une parité fixe avec le franc français et est maintenant arrimé à l’euro. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) regroupe six autres pays où circule le franc CFA. Le Lesotho, la Namibie et le Swaziland ont une monnaie liée au rand sud-africain par une parité fixe, ce qui veut dire en quelque sorte que ces pays partagent la même politique monétaire. La part des pays appartenant à ces trois blocs dans le PIB de l’Afrique est considérable.

Un des principaux objectifs qui sous-tendent la volonté de créer des unions monétaires en Afrique est de renforcer l’intégration régionale, en particulier le commerce et les investissements intra-régionaux. Les échanges commerciaux intra-africains se chiffrent à environ 16 % en moyenne, contre 21 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 50 % pour l’Asie et 70 % pour l’Europe.

L’administration de 54 pays souverains disposant d’une panoplie de politiques nationales et d’appareils étatiques inefficaces requiert des frais généraux considérables qui viennent grever des économies africaines fragiles et peu diversifiées reposant sur la production primaire. Selon une étude menée sur les progrès accomplis vers la convergence macroéconomique dans les communautés économiques d’Afrique, des avancées existent effectivement, mais elles sont généralement insuffisantes par rapport aux objectifs fixés dans les programmes d’intégration monétaire de ces communautés.

Si l’Afrique était une entreprise, les frais de gestion de ce type de structure seraient peu compétitifs. Le coût d’administration d’une structure de production si fragmentée est vraiment trop élevé pour que l’Afrique se le permette ou le supporte. Par conséquent, le rôle de l’intégration régionale dans la promotion des échanges commerciaux intracommunautaires, la croissance, le développement et la cohésion sociale et politique est incontestable. La conclusion évidente qui en découle est que l’Afrique doit s’employer à former un tout cohérent (ou, pour emprunter le jargon des entreprises, procéder à sa rationalisation et à la fusion de ses États) afin de réduire ses frais généraux.

Or le débat sur l’intégration porte principalement sur ses dimensions politiques et l’idéal suprême panafricain. Depuis le début du siècle, l’Afrique a rompu le cycle du désespoir et commencé à se bâtir un avenir prometteur par une croissance économique rapide et forte. Le temps est venu de passer à un débat et un point de mire plus techniques, en partie pour rendre ces nobles idéaux politiques plus crédibles, mais aussi parce que le monde évolue trop vite pour attendre les retardataires beaucoup plus longtemps. Le grand défi qui attend encore l’Afrique consiste à accélérer le rythme de sa transformation structurelle et à la mener à bonne fin. De fait, la majorité des pays africains continuent à s’efforcer de diversifier leurs économies, qui ne reposent que sur un nombre restreint de secteurs.

Pour assurer les pièces maîtresses de la transformation structurelle de l’Afrique  susmentionnées, il faudra veiller à mettre en place un cadre de politique macroéconomique approprié, étayé par une stratégie de développement de longue durée qui facilite la transformation des structures économiques et sociales et crée une boucle de rétroaction positive entre les investissements et la croissance. Ce cadre de politique macroéconomique visant à réaliser la transformation structurelle du continent doit comporter cinq principales composantes : i) augmenter les investissements publics et mettre en place des biens collectifs supplémentaires, ii) assurer la macrostabilité pour attirer les investissements privés et les pérenniser, iii) coordonner les politiques d’investissement et les autres politiques de développement, iv) mobiliser des ressources et réduire à la longue la dépendance vis-à-vis de l’aide, v) assurer la viabilité budgétaire par la légitimité budgétaire.

Dans toute réflexion sur les unions monétaires dans le cadre de l’Afrique, ces facteurs de transformation essentiels ne doivent pas être considérés comme des éléments facultatifs. Il faut que les communautés économiques régionales y prêtent attention, sinon elles risquent de ne pas être prises au sérieux sur les objectifs ambitieux susmentionnés.

 (*) Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA)

Se référer à mon allocution au Africa Training Institute du Fonds monétaire international, prononcé le 8 mars 2016 à l’Île Maurice. http://www.uneca.org/fr/es-blog/int%C3%A9gration-r%C3%A9gionale-et-unions-mon%C3%A9taires-en-afrique

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