L’abandon du South Stream ne relancera pas forcément les exportations gazières algériennes (expert) - Maghreb Emergent

L’abandon du South Stream ne relancera pas forcément les exportations gazières algériennes (expert)

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Pour le spécialiste algérien des questions énergétiques Amor Khelif, la suspension par la Russie du projet du gazoduc South Stream ne débouchera pas forcément sur la réactivation de celui du gazoduc Galsi. « La stagnation de la demande européenne et la non-possibilité pour l’Europe d’assumer sa part de ce projet ralentit le pas des autorités algériennes qui savent qu’en cas de surplus, ce sont elles qui devront payer cet excédent de l’offre. »

Commentant la décision de la Russie de renoncer au projet du gazoduc South Stream, Amor Khelif, professeur à l’université d’Alger et spécialiste des questions énergétiques, estime qu’il ne peut s’agir de son abandon total mais d’une manière de rediriger vers la Turquie le tronçon que la Bulgarie refuse de faire passer sur son territoire. « La Russie a investi énormément d’argent pour devoir suspendre carrément un projet d’une telle envergure », explique-t-il dans une déclaration à Maghreb Emergent.

La Russie a annoncé le 2 décembre dernier l’abandon de ce projet de gazoduc lancé en décembre 2012 par le géant gazier russe Gazprom (50%) avec plusieurs firmes européennes (l’italien Eni : 20%, le français EDF : 15 % et l’allemand Wintershall : 15 %) et qui devait transporter 36 milliards de mètres cubes de gaz depuis la Russie vers l’Europe occidentale, la Serbie, la Bulgarie, la Hongrie la Slovénie, et la Grèce, via la mer Noire et les Balkans. Le coût total de ce gazoduc sous-marin, qui devait entrer en activité en 2015, était estimé à 16 milliards d’euros. L’Europe, pour rappel, achète annuellement 300 milliards de m3 de gaz, dont 125 milliards à la Russie, soit le quart de sa consommation annuelle.

Le président russe Vladimir Poutine, en annonçant cette décision unilatérale en Turquie, où il effectuait une visite d’Etat, l’a justifiée par « la non-obtention de l’autorisation de la Bulgarie de faire passer le gazoduc sur son propre territoire ». Sur fond de crise ukrainienne et de sanctions répétitives contre Moscow, il s’est dit dans l’obligation de mettre fin au projet car « l’Union européenne a poussé les Etats impliqués à suspendre leur participation ».

Pour Amor Khelif, « Poutine veut transférer son marché gazier à la Turquie ainsi qu’à d’autres pays émergents asiatiques ». Effectivement, le Président russe a annoncé, lors de cette visite en Turquie, que Gazprom allait augmenter ses livraisons de gaz à la Turquie de 3 milliards de mètres cubes. Le 15 septembre dernier, Moscou avait signé avec Pékin un accord pour la construction du gazoduc Force de Sibérie, d’une longueur de 4.000 kilomètres devant fournir à la Chine 38 milliards de mètres-cubes de gaz par an dès 2018.

« La relance du Galsi n’est pas si facile »

La suspension de ce projet « confirme combien la diversification des sources d’approvisionnements est importante pour l’Europe », a déclaré la vice-présidente de la Commission européenne chargée du Budget, la Bulgare Kristalina Georgieva, au lendemain de l’annonce de l’abandon du projet par Vladimir Poutine.

Cette diversification impliquera-t-elle la relance des deux projets alternatifs pour l’approvisionnement en gaz, en l’occurrence le projet Nabucco et le projet Galsi ? Pour Amor Khelif, le projet Nabucco, d’une longueur de 3.300 km annoncé en 2011 par la Turquie et l’Azerbaïdjan et devant relier l’Iran, les pays du Caucase à l’Europe Orientale, par un gazoduc trans-anatolien, «ne sera pas réalisé par l’Europe, pour la simple raison que l’Europe en récession, n’est pas prête à augmenter sa demande intérieure en gaz».

Cet universitaire pense que l’Europe se contenterait d’un supplément d’approvisionnement qui pourrait venir de l’Algérie, en plus des énergies renouvelables et de celles en provenance du schiste américain, « sur lesquelles compte le vieux continent à moyen et long terme ». Il ajoute au sujet du Nabucco: « De tels projets coûteux, devant être reliés à terme aux réseaux de transport syrien et irakien, sont soumis à des enjeux géostratégiques sensibles. Par ce fait, ils ne seront pas entamés, compte tenu de la faible rentabilité et des risques du marché, d’un côté, et de la stagnation de la demande intérieure européenne, de l’autre ».

Marché saturé

S’il y a peu de chances pour le projet du Nabucco, qui devait approvisionner l’Europe annuellement de 31 milliards de mètres cubes, de voir le jour, pourrait-on voir le projet Galsi, devant relier l’Algérie à l’Europe via l’Italie, se concrétiser ? Ce projet de gazoduc, qui devait transporter le gaz algérien vers l’Italie via la Sardaigne sur une distance de 310 km, est actuellement à l’arrêt alors qu’il devait entrer en service cette année 2014. « Il est à l’arrêt à cause de l’absence de demande adéquate en gaz du côté européen, et sa relance dépendra de la sensibilité de la prochaine politique gazière du gouvernement algérien », estime Amor Khelif, qui exprime ses réticences quant à sa reprise imminente dans un contexte de dépression des prix des hydrocarbures. Et d’ajouter : « La suspension du projet South Stream devait libérer de la place pour le marché gazier algérien. Cependant, la stagnation de la demande européenne et la non-possibilité pour l’Europe d’assumer sa part de ce projet évalué à 4 milliards de dollars ralentissent le pas des autorités algériennes qui savent qu’en cas de surplus, ce sont elles qui devront payer cet excédent de l’offre. »

L’Algérie, qui couvre actuellement entre 13 et 15% de la demande gazière européenne, et dont la production nationale annuelle est estimée à 78,6 milliards de m3 (selon les données de BP), prévoit une augmentation de sa demande intérieure en matière de gaz à 75 milliards de m3 d’ici 2030. La couverture de cette demande intérieure, ainsi que la nécessité d’assurer des exportations au niveau de 60 milliards de m3 (45 milliards de m3 en 2013), nécessiterait la production de 22 milliards de m3 supplémentaire selon M. Khelif. « D’où est-ce que nous allons apporter cette quantité supplémentaire d’ici 2020/2022 ? », s’interroge-t-il. Et de rappeler : « Le marché gazier européen est actuellement équilibré et qu’il compte sur le GNL importé du Qatar, du Sultanat du Brunie et du Trinidad et Tobago. »

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