Marieme Bekaye, économiste chargée du développement durable à la Commission économique pour l’Afrique (CEA-Afrique du Nord), aborde dans cet entretien le concept d’ « économie verte » et explique comment changer de modèle économique peut accélérer l’industrialisation de la région Afrique du Nord.
Maghreb Emergent : Comment définit-on l’économie verte ?
Marieme Bekaye : L’économie verte est un processus qui vise à changer notre modèle de consommation et de production de façon à s’engager dans un modèle économique qui soit plus soutenable que celui qu’on avait par le passé. Ce modèle économique est, surtout, basé sur utilisation beaucoup plus rationnelle de nos ressources naturelles, que ce soit l’énergie, l’eau, les sols ou la biodiversité, dans un processus qui permet de réduire la pollution et tout ce qui porte atteinte à l’environnement. Ce processus doit permettre également de développer un certain nombre de technologies innovantes et propres. On ne peut pas parler d’économie verte si on n’a pas de technologie qui soutient un tant soit peu tout ce passage à un autre type d’économie.
Donc, le concept d’économie verte tourne aujourd’hui autour des aspects que je viens de citer, dans un contexte où l’impact environnemental est très important pour toutes les activités économiques. Les coûts de dégradation de l’environnement, même s’ils ne sont pas réellement connus aujourd’hui dans des pays comme les nôtres, sont importants. Il faut donc changer notre vision, changer nos modèles de consommation et de production pour aller vers une économie qui soit beaucoup plus propre qui utilise d’une manière plus efficiente les ressources. C’est-à-dire avec moins de ressources on arrive à produire plus. Pour cela, il faut mettre les outils et les technologies qu’il faut.
Comment l’économie verte peut-elle accélérer l’industrialisation de la région Afrique du Nord ?
Comme vous le savez, aujourd’hui les processus d’industrialisation sont un peu différents en fonction des différences qui existent entre les pays de l’Afrique du Nord. Mais de manière générale, nos industries ne sont pas suffisamment compétitives et ne créent pas suffisamment d’emplois. Il faut dire qu’aujourd’hui, les pays de la région ne produisent et n’exportent que des matières premières. Au mieux, des produits semi-finis. Mais pas de produits finis qui suivent une chaîne de transformation optimale. Et l’idée est qu’une économie qui est beaucoup plus propre – qui gère d’une manière efficace l’énergie et les ressources – va nous permettre d’abord de réduire les coûts de production. Elle va, ainsi, permettre, à travers des technologies innovantes, d’accroître la valeur ajoutée des produits issus de l’industrie ou des technologies issues de l’industrie. C’est-à-dire d’avoir une valeur ajoutée beaucoup plus importante.
A travers cette économie verte, qui nécessite d’améliorer le niveau technologique des process en investissant la R&D, la finalité est d’attirer davantage de valeur ajoutée. Et donc, une meilleure contribution à la croissance. Ceci passe par la promotion de nouvelles filières dans le domaine de l’eau, de l’énergie, de la gestion des déchets, etc. et l’amélioration des filières traditionnelles. Il y a beaucoup de filières qui sont pressenties selon les pays. Les politiques industrielles doivent mettre l’accent sur le développement de ces nouvelles filières de façon à avoir cette valeur ajoutée et pouvoir pénétrer le marché de l’exportation. Parce qu’il y a aujourd’hui un marché des biens et des services environnementaux. Donc un marché des biens et services verts. Mais comme on n’est pas assez compétitif ni détenteur de technologies ou de compétences, on n’est pas aujourd’hui capable d’intégrer ce marché. Or, ce marché va évoluer dans les prochaines années et si on veut pouvoir avoir une croissance qui soit de plus en plus optimale qui impacte notre valeur ajoutée, on est obligé de développer notre marché national avant d’accéder à ce marché mondial des biens et services verts. Et les pays d’Afrique du Nord recèlent d’énormes potentialités pour le développement de ce marché.
Quels sont les défis à relever pour parvenir à une économie verte dans la région ?
Le principal défi à relever pour les entreprises de nos pays ne peut être que celui d’innover. Mais, à côté de cela, il faut augmenter les investissements publics et privés dans la recherche et développement dans tous les domaines qui sont en lien avec l’économie verte : les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’eau, etc., acquérir les technologies, mettre en place des partenariats de façon à optimiser le transfert de technologie. Cela passe d’abord, au niveau interne, par les partenariats public-privé.
Le secteur public doit travailler avec le privé pour mettre en place des programmes de R&D qui soient ciblés mais aussi pour accroître les investissements par des partenariats avec les banques pour apporter plus de ressources. A ce propos, on doit trouver des mécanismes de financement qui permettent de mettre ensemble les financements publics et privés des banques locales ou internationales, adaptés pour chacune des filières vertes. A titre d’exemple, le programme solaire marocain a pu aboutir grâce à un mécanisme de financement qui a su mettre dans un pool différents acteurs qui ont contribué à son financement.
L’autre défi majeur est celui de la structure du tissu industriel des économies de la région Afrique du Nord. Les PME, qui constituent 90% de ce tissu industriel, ont moins de financement et moins de compétences à l’innovation. Il faut donc mettre en place des programmes spécifiques dédiés aux PME qui prennent en considération les contraintes de ces entreprises pour les appuyer dans ce processus qui va leur permettre de devenir compétitives et de pouvoir intégrer le marché national mais aussi les marché international des biens et services verts.
Propos recueillis par Yazid Ferhat