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Idées

La consommation de carburants ne pourra pas être rationalisée sans une politique intersectorielle cohérente (contribution)

Par Yacine Temlali
juin 29, 2015
La consommation de carburants ne pourra pas être rationalisée sans une politique intersectorielle cohérente (contribution)

L’auteur de cette contribution* propose quelques pistes pour une réforme de la politique des transports du pays, intimement liée à une aussi nécessaire réforme de sa politique énergétique.

 

 

L’observation de la situation du transport en Algérie amène à faire cinq constats. Premier constat : le retour à la croissance est un facteur structurel et durable du dynamisme de la demande de transports. Deuxième constat : l’accroissement des trafics concerne tous les modes de transport. Troisième constat : l’espace des transports apparaît très fragmenté, tandis qu’une part croissante des infrastructures arrive à saturation ; cette fragmentation et cette saturation concernent tous les modes : encombrement du ciel, concentration du trafic maritime, lenteur du fret ferroviaire. Quatrième constat : les politiques nationales en matière de transports restent peu coordonnées. Cinquième constat, enfin : l’intervention de l’Etat dans ce secteur est importante du fait que la rentabilité y est à moyen et long terme, surtout pour les investissements ferroviaires supposant un financement quasi exclusif sur les ressources budgétaires.

Nous assistons à une importation massive de véhicules de tourisme dont la facture s’est élevée à 2,956 milliards de dollars en 2014 tandis que la facture d’importation de véhicules de transport de marchandises s’est élevée, elle, à 2,104 milliards de dollars, soit au total 5,060 milliards de dollars.La consommation du gasoil, du fait du bas prix bas – une partie est importée avec l’essence sans plomb au prix international et cédé à un prix subventionné – a explosé ces dernières années. Selon le rapport de la Banque mondiale de 2014, les subventions des carburants ont dépassé l’année dernière 20 milliards de dollars, le tiers du budget annuel de l’Etat, alors que 10% de la population, les plus aisés, consomment plus de carburant que les 90% restants.

Cette consommation a été dopée par une croissance spectaculaire du parc automobile, passé de 2,9 à 5,5 millions de véhicules durant la période 2000-2013. Le gasoil représente actuellement 70% des ventes des carburants en Algérie, estimées à 14 millions de tonnes à fin 2013, contre 3,6 millions de tonnes en 2000, alors que la demande sur le GPL tourne aux alentours de 300.000 à 350.000 tonnes par an seulement. 

Cette politique énergétique et des transports atteint ses limites. Une maîtrise de la demande de gasoil comme carburant renvoie à la politique de transport tant pour les voyageurs que pour les marchandises, et ce, par l’encouragement des transports en commun, plus économes en énergie, ainsi que du transport par rail, dont il faut développer l’électrification. 

 

Il faut encourager le transport en commun

 

L’utilisation des transports en commun devrait être encouragée par l’Etat, aussi bien par un soutien direct à l’investissement dans cette activité, que par une nouvelle politique tarifaire en direction des usagers. En effet, une maîtrise de la consommation de carburants nécessite une politique des prix appropriée. La gestion de la demande renvoie à la question fondamentale de savoir quelle politique de prix des carburants adopter pour un pays comme l’Algérie. Car toute politique des prix, pour s’inscrire dans la durée, doit permettre de couvrir l’ensemble des coûts directs et indirects, qui doivent être internalisés dans le prix des carburants sous forme de taxes, dont les recettes iraient couvrir les dépenses d’infrastructures routières, et de protection de la santé des citoyens.

Une nouvelle politique s’impose, articulée essentiellement autour de deux axes : d’une part, une diversification de l’offre par l’encouragement à l’utilisation de carburants alternatifs, comme les GPL, et les énergies renouvelables, et, d’autre part, la maîtrise de la demande, dans le cadre d’une politique de développement durable, à travers l’internalisation dans le prix de l’ensemble des coûts induits par l’utilisation des carburants, dont le gasoil fortement polluant.

Il existe quatre solutions, dont les trois premières sont intiment liés, pour rationaliser la consommation des carburants. Premièrement : aligner les prix sur ceux du marché libre mais, parallèlement, augmenter les salaires, ce qui suppose une nouvelle politique salariale tenant compte de la productivité, de la structuration du revenu national par couches sociales et d’une péréquation intra-régionale pour un espace équilibré et solidaire afin qu’à terme, il existe un système de prix relatif équilibré qui n’induit pas un processus inflationniste. Deuxièmement : aligner le taux de change officiel sur celui du marché parallèle afin d’atténuer les fuites hors des frontières. Troisièmement : définir une nouvelle politique axée sur un mix énergétique conditionnée par une politique de régulation globale afin d’inciter les consommateurs à utiliser l’énergie la plus abondante dans le pays (GNW- GPc ), une tarification appropriée permettant l’efficacité énergétique devant passer notamment par une nouvelle politique de l’habitat et une nouvelle culture des consommateurs . Quatrièmement, enfin : comme cela se passe dans les sociétés en guerre, et à titre transitoire faute de mécanismes de régulation macro-économique et macro-sociale, instaurer des bons par utilisateurs et régions ; cependant, sans un système d’information performant, le risque est grand de développement important de la sphère informelle.

 

Il faut une politique globale cohérente

 

Toutes ces solutions renvoient à une politique cohérente des transports. Or, aujourd’hui, les signes de congestion, les nuisances environnementales et les accidents s’aggravent chaque jour davantage et pénalisent autant les usagers que l’économie. Il est temps de fixer à la politique des transports de nouvelles ambitions car génératrice de croissance et de création d’emplois. Dans e même cadre, il serait intéressant de réaliser une étude sur le coût supporté par l’Etat, notamment en matière de santé du fait d’un mode de transport qui favorise la pollution sans compter les impacts négatifs sur l’environnement.

A lumière des expériences internationales, je définirais quatre orientations. Première orientation : la libéralisation, la sécurité et la clarification des priorités. En pratique, le chemin de fer reste l’apanage de compagnies nationales en situation de monopole. Mais doivent être encouragés l’inter-modalité en général, principalement entre le chemin de fer et la route, et également le transport maritime, afin de décongestionner les axes terrestres. 

Deuxième orientation : l’assainissement du transport routier.Durant les années 1970 et 1980, et pour les grandes villes bien avant, toutes les villes moyennes ont crée leur opérateur de transport public étatique. Ces opérateurs ont été pour la plupart en situation de quasi-monopole sur le marché de transport urbain. Cette période a été marquée par une pénurie relative des moyens de transport. Financièrement, ces opérateurs étaient soutenus par l’Etat, à travers les collectivités locales. A partir des années 1990, et par manque de subventions, les entreprises de transports urbains ont connu de plus en plus de problèmes financiers et nous avons assisté au développement des transports informels qui sont une réponse aussi aux dysfonctionnements du système de transport public. Aujourd’hui, le transport par taxi clandestin est tout à fait banalisé dans la plupart des villes algériennes. La crise économique est pour beaucoup de choses dans son développement mais il y a aussi d’autres considérations : l’insuffisance des contrôles et des sanction, et le fait que la possession du capital (la voiture) ne constitue pas véritablement une barrière à l’entrée du marché, les clandestins offrant un transport à la demande, relativement meilleur marché, de jour comme de nuit.

Le transport terrestre est l’un des moyens de transport le plus usuel en Algérie, que ce soit pour les voyageurs ou pour les marchandises. Il doit être regroupé dans des entreprises et non rester artisanal comme c’est le cas actuellement. En 1988, il y avait 90% d’entreprises étatiques et 10% de privés dans ce segment. Actuellement, c’est l’inverse mais avec une atomisation influant sur la rentabilité globale comme en témoignent les faillites et le non- remboursement de crédits de transporteurs individuels dans le cadre de l’ANSEJ.

Malgré sa domination commerciale écrasante par rapport aux autres modes de transport terrestres, le transport routier reste fragile, étant composé d’un grand nombre de petites entreprises, qui ne peuvent pas faire face aux pressions exercées pour abaisser les prix en dessous du niveau qui serait nécessaire pour assurer leur stabilité financière. Ainsi, l’augmentation inattendue du prix des carburants risque de ne pas être répercutée par les entreprises de transport routier, du fait de la pression exercée par les chargeurs, entraînant une réduction significative des marges des transporteurs. Il sera alors essentiel de faire converger les processus de programmation financière de telle sorte que les systèmes de transport intelligents puissent être mis en place de manière synchronisée. 

 

Une tarification appropriée

 

Troisième orientation : une tarification appropriée car actuellement, les bilans sectoriels des différents modes de transport en Algérie restent confus. Au niveau international, l’on s’oriente de plus en plus concernant la tarification, vers la sollicitation de l’utilisateur plutôt que du contribuable, par une tarification au « coût marginal social », intégrant notamment dans les prix les préoccupations environnementales. Mais cela passe par l’ harmonisation de la fiscalité des carburants professionnels, en particulier pour le transport routier, le rapprochement des principes tarifaires d’usage des infrastructures , la prise en compte des coûts externes qui doit aussi encourager l’utilisation des modes de transport ayant un moindre impact environnemental et permettre des investissements, avec les recettes dégagées, dans de nouvelles infrastructures, tout en assurant une concurrence équitable entre les modes de transport et en permettant d’assurer le maintien de la qualité du service.

Comme le recommandent les experts internationaux, cette réforme nécessite l’égalité de traitement entre opérateurs et entre modes de transport, le prix devant varier selon le même principe en fonction de la catégorie des infrastructures utilisées, de la période de la journée, de la distance, de la taille et du poids du véhicule, et de tout autre facteur qui a une influence sur la congestion, la dégradation des infrastructures ou l’environnement.

Je note avec satisfaction en ce mois de juin 2015 que les autorités reprennent les actions préconisées de l’audit réalisée entre 2006/2007 sous ma direction assisté des principaux dirigeants et cadres supérieurs de Sonatrach, d’experts indépendants et du bureau d’études Ernest Young et intitulée « Une nouvelle politique de carburants en Algérie dans un environnement concurrentiel ». Devant la commission économique de l’Assemblée nationale populaire en tant que directeur d’études de cette audit, j’avais attiré l’attention sur le gaspillage croissant d’énergie et l’urgence d’une nouvelle politique de carburants axée sur le GPLc, le GNW (camions-bus-tracteurs) et l’utilisation du BUPRO qui ne nécessitait pas la séparation du propane et du butane pour approvisionner certains utilisateurs (boulangeries, industries, par exemple) et les zones déshéritées dans les Hauts-Plateaux et le Sud.

Les enjeux futurs en matière de transport sont les suivants : réduire les circuits de distribution entre production et consommation ; responsabiliser en faisant payer à chaque mode de transport son juste prix, intégrant les coûts externes qu’il induit dans le cadre du principe du « pollueur/payeur » et ce, au travers d’une « pollutaxe » ; sécuriser par des définitions de politiques sociales et environnementales pour protéger les travailleurs du transport – notamment routier et maritime – ainsi que les espaces naturels qu’ils traversent ; enfin démocratiser par l’institutionnalisation du contrôle de la politique des transports incluant la participation de la société civile. 

 

(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management.

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