La finance islamique serait-elle la panacée ? (contribution) - Maghreb Emergent

La finance islamique serait-elle la panacée ? (contribution)

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Nous publions le texte intégral de l’intervention de Laetitia Zumstein* au symposium « La place financière algérienne en mouvement » (Alger, 3-5 avril 2018). Pour elle, l’échec de la finance islamique à s’imposer en Algérie est dû principalement l’absence de « stratégies marketing différenciées et différenciantes », qui se distinguent du « marketing de masse » correspondant aux pratiques des années 1960, lors que « tout le monde achetait une machine à laver pour les mêmes raisons ».

 

  

Pas une semaine ne s’écoule sans qu’un article ne soit consacré à la finance islamique. Tous les violons s’accordent à la présenter au grand public comme un remède à la crise économique qui sévit. On aura tout essayé : on a parlé d’obligations d’État rémunéré pour attirer les tant convoités « greyfunds ». Puis, il aurait fallu légiférer dit-on, pour accorder une plus grande légitimité aux produits conformes à la charia dans le droit national. Sans oublier la planche à billets dont le recours est des plus contestés par l’ensemble de la communauté économique internationale. Et voilà, qu’on en revient à la sacro-sainte finance islamique. Rien n’est laissé au hasard pour convaincre l’opinion publique de l’avènement sans cesse plus imminent de cette finance, que l’on requalifiera aussi opportunément de « finance participative » pour tenter de faire adhérer certains réfractaires. Rien n’y fait. La mayonnaise ne prend pas. Et pourtant, elle prend ailleurs, à des degrés divers et variés.

Mais pourquoi, diable, le mantra ne parvient-il pas à devenir réalité ? Il convient ainsi de se demander pourquoi même notre si chère méthode Coué ne parvient pas à développer sensiblement ce pan de la finance, dont les préceptes sont nobles, les principes porteurs d’une plus grande stabilité économique puisque entièrement adossée à l’économie réelle ?

Pour trouver des pistes de réponses, il faudra jeter un bref coup d’œil à l’informel et rechercher les véritables causes de ce développement par trop timide et d’en tirer les conclusions qui s’imposent pour bâtir de véritables stratégies marketing sur le long terme.

Il convient tout d’abord de se rappeler qu’une économie informelle prospère au point de dépasser, selon les estimations répétées, l’économie dite formelle. Alors ne vaudrait-il mieux pas mieux dire les choses telles qu’elles sont plutôt que de se voiler la face ? Quel intérêt y aurait-il pour un ménage ou investisseur lambda d’injecter son épargne dans le système bancaire – conventionnel ou non – si son retrait en devises est limité à quelques malheureux 100€ ?

On nous explique à l’envi qu’il serait difficile d’enrayer l’informel car le consommateur algérien ne se trouve pas en adéquation avec les pratiques bancaires conventionnelles non conformes à la charia – comprendre la pratique du ribâ – et ne placerait donc pas son épargne dans une banque. Mais dans le même temps, les chiffres des crédits à la consommation – basés sur ce même concept de ribâ – font l’objet de toutes les attentions des campagnes marketing. Premier point de contradiction. S’il est indéniable qu’une partie de la population algérienne rejette totalement les pratiques à intérêt des banques conventionnelles, elle ne s’est pour autant pas ruée dans les banques islamiques, dont l’existence remonte désormais à près de 30 ans. Deuxième point de contradiction. Et quid des institutionnels ? La finance islamique est pourtant réputée plus stable pour résister aux crises économiques et financières mondiales, comme elle l’a démontrée fermement à l’occasion de la crise de 2007-2008. Le secteur de l’assurance – conventionnelle – qui connaît une forte croissance en Algérie pourrait notamment être un grand pourvoyeur de fonds des banques islamiques. Mais non, toujours pas ! Troisième point de contradiction.

 

Un marketing inadapté

 

La réponse au faible développement de la finance islamique en Algérie – et sans doute sous d’autres latitudes aussi – ne serait-elle pas plutôt aussi le fait d’un marketing inadapté ? Le marketing confessionnel de la finance islamique a beau user de tous les symboles à sa disposition pour séduire le consommateur respectueux des préceptes de la charia, il n’y a pas foule au guichet. C’est ainsi qu’un glissement de sémantique s’est opéré, pour parler non plus de finance islamique, mais de finance participative. On aurait ainsi compris que la finance islamique pouvait aussi attirer dans ses filets des consommateurs musulmans plus sensibles à la notion d’éthique que d’absolue conformité à la charia. C’est malheureusement un pas que peu osent franchir. Mais il est une réalité marketing. Opérer un marketing de masse a correspondu aux pratiques des années 1960. Tout le monde achetait une machine à laver pour les mêmes raisons. Puis est apparu le concept de segmentation. On a reconnu aux consommateurs le droit à désirer le même produit mais pour des raisons différentes et c’est ainsi qu’on a commencé à lancer des études marketing s’intéressant réellement aux attentes des consommateurs. La vapeur s’est inversée. Les fabricants ont de moins en moins dicté la donne et c’est véritablement le consommateur qui a pris la parole au point de devenir aujourd’hui un « consom’acteur ».

Le parallèle avec les banques est aisé. Elles répondent trop à des besoins qu’elles pensent comprendre de manière empirique. C’est ainsi qu’on apprend que l’usage du TPE a du mal à susciter l’adhésion des commerçants algériens. Mais leur a-t-on demandé leur avis ? A-t-on mené des études marketing pour appréhender réellement les attentes du consommateur algérien ? A-t-on mesuré le poids des contraintes de l’informel sur l’adoption d’usages ayant le vent en poupe dans des pays dont on cherche à dupliquer les modèles mais qui ne sont pas du tout familiarisés avec une économie banalisée de l’informel ? S’est-on intéressé aux usages de certains pays africains voisins dont le taux de bancarisation est lui aussi faible – pour les mêmes raisons ou d’autres – mais qui ont su s’affranchir de ces contraintes pour développer d’autres usages monétiques ?

On nous oppose le fait que des sondages, enquêtes d’opinion ou questionnaires de satisfaction sont adressés aux clients. Certes. Mais l’on reste au milieu du gué en ne bâtissant toujours pas de stratégies marketing différenciées et différenciantes. Si l’on ne sait pas ce qu’attend le consommateur algérien et qu’on continue à partir de postulats fondés sur des visions traditionnelles de ses attentes, il y a fort à parier que le remède miracle pour l’angine ne puisse pas guérir l’otite…

 

(*) Diplômée en Executive MBA de Finance islamique (Université de Strasbourg) et détenant un master en marketing et management international (EM Strasbourg), Laetitia Zumstein est CEO de 3DS World Finance à (Barcelone) et 3DS Consulting à Alger. Elle est également traductrice financière et juridique.

 

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