La mégafusion, le 7 avril dernier, entre les deux géants mondiaux du ciment Holcim et Lafarge ne semble pas inquiéter outre mesure le gouvernement et les opérateurs au Maroc, malgré une situation de concentration, où la nouvelle entité détiendrait 55% de parts de marché et 57% des capacités de production.
Présents tous les deux au Maroc, Lafarge et Holcim fusionnés, seront de fait en position dominante. La jurisprudence marocaine estime en effet à 40%, le seuil de parts dans un marché donné à partir duquel la position d’un opérateur est jugée dominante. Le conseil de la concurrence marocain a déclaré n’avoir pas encore été saisi à ce sujet, rapportent les médias marocains, mais cette fusion ne semble pas, à priori, inquiéter les autorités du pays. «Nous n’avons pas été saisis pour cette opération. Ce n’est d’ailleurs pas encore un prérequis, sauf dans le cas où le chef de gouvernement le juge nécessaire. Mais globalement, la concentration dans un secteur est une chose normale en soi, à condition qu’elle se fasse dans le respect des bonnes règles concurrentielles», a déclaré Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence au Maroc.
Même les opérateurs privés opérant dans le secteur ne semblent pas ruer dans les brancards. «Le sujet ne sera vraisemblablement pas abordé par l’association, puisqu’il concerne deux concurrents. Nous restons donc dans une posture de «wait and see», tout en souhaitant que les effets de cette opération seront bénéfiques pour le secteur», a déclaré pour sa part Ahmed Bouhaouli, directeur de l’Association professionnelle des cimentiers. «Je ne pense pas qu’il y ait un risque d’abus de cette position dominante, car personne dans le secteur n’a intérêt à entamer une guerre de prix. Il faut bien entendu qu’il n’y ait aucune entente», déclare aux « ÉCO », David Toledano, président de la Fédération des industries des matériaux de construction (FMC).
Le mystère des prix élevés du ciment au Maroc
Dans sa livraison du 8 avril, le magazine L’Usine Nouvelle a rapporté que le Conseil marocain de la concurrence a présenté, en octobre 2012, une étude choc sur « la concurrentiabilité du secteur du ciment », dans laquelle l’institution relève de « très fortes suspicions » qui pèsent sur de prétendues ententes illicites entre les fabricants de ciment dans le pays. Cependant, faute de preuves tangibles, l’existence de ces ententes illicites ne pouvait être démontrées. L’étude en question s’est posé les questions suivantes : « pourquoi les prix au Maroc sont plus élevés qu’ailleurs ? », « qu’est ce qui explique que les marges sont aussi importantes? » ou encore « pourquoi depuis plus de cinquante ans, il n’y a que quatre producteurs ? ».
L’expert Philippe de Richoufftz, avocat associé au cabinet Adamas, présent à Casablanca estime que « la fusion Lafarge-Holcim au Maroc devra faire l’objet d’une procédure de contrôle des concentrations qui, compte tenu de l’importance du secteur du ciment au Maroc et de la volonté du Conseil de la concurrence de remplir pleinement son rôle ces dernières années, ne se limitera pas à une simple notification au Chef du Gouvernement ».
Quel impact sur les filiales locales ?
Qu’en est-il des implications de cette opération internationale sur les activités au Maroc des deux filiales locales des groupes Lafarge et Holcim ? Les deux filiales marocaines fusionneront-elles juridiquement leurs entités ? Sur ces points, les managers des filiales marocaines se montrent prudents et préfèrent temporiser avant de se prononcer sur la question.
Dans le camp des « optimistes », l’analyste et spécialiste du secteur, Majdouline Fakih, estime que «globalement, ce projet de fusion aura des effets bénéfiques sur le secteur cimentier », notamment la réduction de la surcapacité qui caractérise ce secteur au Maroc, ainsi qu’une meilleure adaptation à la demande, « induisant ainsi moins d’intensité concurrentielle et donc moins de pression sur les prix».
Mais pas que cela. C’est sur le terrain que la mesure pourrait se faire sentir. Des médias font état, d’ores et déjà, d’un risque de voir des projets lancés suspendus. Ainsi, la construction d’une nouvelle cimenterie Lafarge à Agadir, avec une capacité prévue entre 1,2 et 1,4 million de tonnes, serait selon toute vraisemblance annulée, croit savoir « les ECO ». «La perspective de la fusion et des effets de synergies attendus entre les deux entités impliquera sans doute l’annulation de ce projet», insiste un expert marocain du secteur. «De même, l’opérateur le plus susceptible de reprendre les actifs cédés n’est autre que Ciment du Maroc. Or, ce dernier projetait une nouvelle unité dans le Nord du Maroc, un projet qui devrait également être mis en suspens», poursuit-il. Il reste que ce processus de désinvestissement ne devrait, selon les maisons-mères, déboucher sur aucune fermeture. «Il n’y a pas de fermeture d’usine associée directement à cette transaction», rassure Bruno Lafont, PDG de Lafarge à Paris.