LA LOI DES FINANCES POUR 2020 : QUELLES MARGES DE MANŒUVRE ? (CONTRIBUTION) - Maghreb Emergent

LA LOI DES FINANCES POUR 2020 : QUELLES MARGES DE MANŒUVRE ? (CONTRIBUTION)

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A une certaine époque, nous préparions les arbitrages financiers (les grands équilibres), de la loi des finances, dès le mois de juin, afin de permettre à tous les fonctionnaires de prendre quelques jours de vacances (entre juillet et Août), de manière à ce que tout le monde entame l’année (rentrée sociale), dès la dernière semaine d’Août, pour commencer les navettes établies entre les commissions des finances, des assemblées élues (les deux chambres) et débattre des diverses éléments à introduire ou à amender, dans ce document essentiel pour la vie d’une nation, à travers le monde.

En fait, le débat était à sens unique, puisque les amendements des députés et sénateurs étaient tous quasi-rejetés par le gouvernement, certains pour de bonnes raisons (les élus étant, en général, imperméables dans ce domaine très complexe et spécialisé et pour certains parce qu’ils ne cadraient pas avec les prérogatives des lois de finances qui ne sont pas établies pour constituer la « poubelle législative » des assemblées élues ! Enfin, le reste des amendements « à caractère politique » était « botté en touche » car ils n’entraient pas dans le cadrage (1), arrêté par le gouvernement ou ils avaient un caractère régionaliste voire défendaient des intérêts pas toujours avouables (intérêts privés nationaux et internationaux, doctrinaux, déséquilibres budgétaires, allocations inégalitaires) (2). Les équilibres politiques du pouvoir étaient tels qu’en fin de parcours, une très large majorité votait le document, tel que présenté par le gouvernement, même si de temps à autre, il fallait passer par l’augmentation de leurs… indemnités et autres avantages (prêt pour véhicule, retraites particulières…) !

Il est donc pour le moins inquiétant, qu’en date du 1er septembre, aucuns éléments financiers officiels n’ont été diffusés par le gouvernement, aux assemblées élues ni rendu public, en matière d’arbitrages globaux que devra mettre en œuvre la prochaine loi des finances. On relève à cet endroit cependant une contradiction flagrante, par rapport aux discours des « spécialistes » qui considèrent ce gouvernement comme transitoire, illégitime et incompétent, d’une part et d’autre part, on lui demande de prendre des mesures structurelles pour promouvoir le développement économique et social ! Il faut savoir ce que l’on veut et ne pas ajouter de la confusion à celle qui règne déjà.

Ce gouvernement, ne peut avoir pour ambition, que celle de proposer une loi des finances qui puisse tenter de trouver des équilibres internes, les moins défavorables possibles, en veillant farouchement à, d’une part, diminuer la dépense publique sans paralyser l’économie (3) et d’autre part, à générer des ressources, hors hydrocarbures, sans faire porter la charge aux populations les plus vulnérables… Plus facile à dire, qu’à faire, me diriez-vous ! Un budget technique pour un gouvernement technique, en d’autres termes, sans l’introduction de réformes stratégiques qui, elles, devraient échoir aux futures instances élues démocratiquement.

Il s’agit donc d’une loi des finances pour « boucler les fins des mois », pour ainsi dire, même si cet exercice va durer une année, avec une éventuelle loi des finances complémentaire, si le marché mondial des hydrocarbures le commande !

Les tenants et les aboutissants de cette équation, à multiples variables, peuvent partir d’un état des lieux global, à savoir un endettement extérieur quasi minime, pour l’instant, des réserves de changes évaluées à quelques 20 Milliards de US$ et une manne (Ech-kara) en dinars de quelques 1.000 Milliards de DA, imprimés (4), dans le cadre de la politique dite de financement conventionnel et qui sont actuellement à l’actif du Trésor public (5).

En excluant de l’analyse, dès le départ, la fiscalité pétrolière, que je considère comme une variable exogène, sur laquelle notre pays n’a absolument aucune maîtrise (6), n’en déplaise à ceux des experts qui passent leur temps à nous faire miroiter les tendances du marché international, à court terme, cette analyse est donc essentiellement, concentrée sur la fiscalité ordinaire (impôts directs et indirects) et sur les variables qui sont entre nos mains, à savoir, les niveaux de nos recettes et nos dépenses voire la combinaison des deux variables, de manière à assurer les équilibres globaux (7).

Dans le compartiment des dépenses (fonctionnement, équipement et dépenses en capital) un toilettage doit être entrepris, entre les budgets primitifs et ceux réels, (notamment à l’éducation nationale et certains autres secteurs budgétivores), de manière à permettre une allocation parcimonieuse des dépenses, en fonction des besoins réels des secteurs et non pas ceux supposés, pour ne pas se retrouver avec des niveaux de consommations de crédits inférieurs à 50% en fin d’année (8). S’agissant du budget de fonctionnement (essentiellement constitué des salaires des fonctionnaires), une maitrise stricte des ressources humaines doit permettre de réaliser des économies substantielles, dans les grands départements ministériels qui représentent à eux seuls, 72% du budget de l’état avec quelques 3.555 Milliards de DA (9).

Cela passe par une diminution quantitative (10) pour certains et par un gel d’une augmentation des salaires, pour cette année budgétaire, pour les autres. Enfin, il faut ouvrir la « boite à Pandore » que constituent les charges communes (678 Milliards de DA soit 14% du budget de l’état), ce chapitre étant un véritable scandale masqué, puisqu’il n’est pas déglobalisé, ce qui entraine une opacité totale.

S’agissant du budget d’équipement, la loi des finances pour 2019, l’avait fixé à 2.438 Milliard de DA (crédits de paiement), par rapport à celle de 2018 (2.175 Milliards de DA), avec des enveloppes conséquentes aux infrastructures (635 Milliards de DA) et aux divers « soutiens » dont l’agriculture et l’hydraulique (235 Milliards de DA) et l’habitat (423 Milliards de DA), tout en reportant, clandestinement, un certain nombre de projets et ou en les ralentissant (suspension des paiements des situations de travaux), mettant en péril certain d’entre eux ou créant des contentieux judiciaires avec les entreprises étrangères contractantes (11).

Dans ce cadre, il serait très douteux que ce gouvernement inscrive de nouveaux projets, il se contentera certainement, d’achever ceux existant, en « libérant » les tranches de financement échues des entreprises contractantes, nationales et étrangères. Une reconduction  des ressources retenues pour 2019, semble la voie optimale pour 2020, ce qui ne va pas sans réduire la demande publique, essentielle pour la croissance, dans notre pays. Enfin, les dépenses en capital, qui sont passées de 1.868 Milliards de DA en 2018 à 1.164 Milliards de DA en 2019, soit une diminution de 704 Milliards de DA, largement expliquée, en 2018, par une avance exceptionnelle à la CNAS de 500 Milliards de DA et des créances détenues sur l’état de 300 Milliards de DA (12). Quels arbitrages devront être pris, dans ce compartiment très sensible, puisqu’il impacte directement les subventions, les retraites (via la CNAS) et les dettes de l’état et de ses démembrements ? Nuls doutes que la politique de « l’achat de la paix sociale », mise en œuvre depuis 1999, va encore être priorisée, au-delà de toute politique de rigueur budgétaire affichée par la dernière déclaration du Président d’état, en la matière… le pouvoir actuel, n’ayant pas de légitimité populaire, il ne pourra pas introduire les réformes structurelles tant attendues ! Un peu d’efficience financière pourrait être introduite par la fermeture des comptes spéciaux du Trésor public (13) et une politique de déconcentration des budgets, en même temps, qu’un effort soutenu de formation des agents, en charge de la mettre en œuvre, par le renforcement leur efficacité (formation, perfectionnement et recyclage, informatisation), dans les établissements publics et ceux assimilés (hôpitaux, écoles, lycées, universités, prisons, complexes sportifs, œuvres sociales, les cantines, le transport…).

Après avoir passé en revue sommairement les dépenses, l’analyse des recettes, hors hydrocarbures, est nécessaire, puisqu’elles vont être déterminantes pour le calcul des déficits et de leurs impacts. Ce n’est certainement pas, dans le projet de loi de finances pour 2020, qu’il faut attendre un équilibre recettes / dépenses, car cette quête requière une œuvre de longue haleine qui présuppose un pouvoir légitimé par des élections transparentes et démocratiques, à tous les niveaux de l’édifice institutionnel. Cependant, la question essentielle que devra résoudre ce pouvoir transitoire, c’est la répartition, la plus équitable possible, entre les différentes couches de la population, de la charge des décisions fiscales prises, en protégeant, le plus possible, les catégories les plus défavorisées et les plus vulnérables (salariés, retraités, chômeurs, personnes âgées…) et en ne chargeant pas trop les entreprises « trop d’impôt tue l’impôt » dit l’adage.

C’est donc dans le compartiment de l’élargissement de l’assiette fiscale et non pas dans celui du relèvement des taux, qu’il va falloir trouver des ressources fiscales additionnelles. En effet, la loi des finances pour 2019 avait inscrit pour les recettes ordinaires 3.793 Milliards de DA, par rapport à celle de 2018 de 3.938 Milliards de DA, soit une légère diminution de 145 Milliards de DA, provenant, essentiellement, du poste non déglobalisé « autres recettes » (14).

Dans la conjoncture politique actuelle et probablement celle de l’année prochaine, il serait très douteux, que le projet de loi des finances pour 2020, inscrive des prévisions de ressources fiscales (sur le capital et sur la consommation), en augmentation substantielle, par rapport à cette année… pire encore, il est fort probable qu’elles soient en nette diminution ! Provenant, en 2019, pour une large partie, des impôts sur le capital (les entreprises pour 1.453 Milliards de DA), sur la consommation (essentiellement la TVA pour 1.120 Milliards de DA) et des droits de douanes (pour 349 Milliards de DA), les prévisions des recettes fiscales pour 2020, connaitront une chute vertigineuse que devra inscrire cette loi, pour être crédible, ce qui augure un déficit abyssal du budget de l’état.

Reste la fiscalité pétrolière, fixée à 2.776 Milliards de DA, pour la loi des finances 2019 et sur laquelle sont construits tous les équilibres, il est clair, pour tous les analystes, que les niveaux des prix relatifs sont dans une tendance baissière (15), sauf à assister à un évènement géopolitique majeure à savoir une guerre ouverte entre les USA et l’Iran ou entre les USA et la chine.

C’est dans ces marges étroites, que devraient s’inscrire les prévisions de recettes pétrolières pour 2020 et sur lesquelles notre pays doit construire ses équilibres, toutes autres interprétations paraissent ubuesques.

Attendons sereinement la publication du projet de loi des finances pour 2020, promis pour la semaine prochaine.   

Dr Mourad Goumiri, Professeur associé.     

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(1) Les élus avaient pour habitude de toujours exiger plus de dépenses, sans se soucier des ressources en contrepartie. En outre, ils refusaient tous impôts et taxes additionnels, pour « protéger » le pouvoir d’achat des citoyens. En même temps, ils dénonçaient les déficits, lorsqu’ils apparaissaient. Le débat étant retransmis en direct sur les médias publics, ils se considéraient comme les protecteurs des classes les plus démunies, contre la tyrannie du pouvoir exécutif.

(2) Il serait judicieux de calculer les allocations budgétaires par Wilaya, toutes dépenses confondues, depuis 1999. En effet, on découvrirait des inégalités flagrantes entre les wilayas, avec des wilayas « privilégiées » et d’autres laissées pour compte. Ce travail aurait, pour vocation première, de renverser la tendance qui a prévalu et corrigerait ces inégalités de traitement dans l’allocation des ressources publiques.

(3) Il ne faut pas oublier une caractéristique structurelle de notre économie actuelle, qui dépend en grande partie de la demande publique. Toute diminution drastique de cette dernière (budget d’équipement) se traduira négativement sur la croissance du PIB avec ses impacts négatifs sur l’emploi, sur le niveau général des prix relatifs et la balance des paiements.

(4) Le ministre des finances a annoncé que « sur les 6.553 milliards de dinars mobilisés dans le cadre du financement non conventionnel, environ 5.500 milliards de dinars ont été injectés dans l’économie…et il reste donc 1.000 milliards de dinars, mobilisés depuis le 18 janvier 2019, qui sont destinés à financer une partie du déficit du Trésor de l’exercice en cours ».

(5) Lorsque le Trésor public dégage des excédents budgétaires, en général, il se désendette auprès  de la Banque centrale (l’endettement intérieur) après s’être assuré d’avoir couvert la totalité de ses dépenses (fonctionnement, équipement et dépense en capital).

(6) Notre pays n’a aucune influence sur les prix mais peut agir, afin d’au moins maintenir le niveau de sa production d’hydrocarbures liquides et gazeux, par une politique appropriée d’investissements, en partenariat avec les grandes compagnies internationales. En outre, il peut mener une politique de rationalisation  de la consommation intérieure, par la diminution progressive des subventions, de manière à pouvoir exporter plus.

(7) La recherche de l’équilibre budgétaire n’est pas une fin en soi, même si la persistance des déficits (surtout s’ils deviennent structurels), doit alerter les pouvoirs publics, sur la pertinence des politiques publiques et de leur impact sur le reste des variables économiques. Ainsi, une période de déficits « volontaires et assumés politiquement » peut-être envisagée, à condition que l’allocation des ressources soit orientée vers des investissements productifs qui, arrivés à maturité, vont générer des recettes, ce qui va diminuer substantiellement, les déficits voire les éliminés. Ceci est d’autant plus vrai, dans un pays comme l’Algérie, où la demande publique représente la quasi-totalité de l’investissement.

(8) Une analyse sommaire des niveaux de consommation des crédits alloués aux administrations centrales et aux collectivités locales ainsi qu’aux établissements publics, nous démontre clairement la faiblesse de l’ingénierie financier, les lourdeurs voire les entraves administratives et l’incompétence des ressources humaines affectées à ce travail. Le résultat de cette situation c’est l’incapacité de consommation des crédits alloués, avec toutes les conséquences au niveau des retards de réalisation des projets et leur allongement temporel inacceptable.

(9) Une analyse fine de la loi des finances pour 2019, démontre que pour l’« état » B (budget de fonctionnement), d’un total de 4.954 Milliards de DA, 1.230 Milliards de DA sont alloués au Ministère de la défense, 418 Milliards de DA au ministère de l’intérieur, soit un total de 1.648 Milliards de DA, représentant 33,2 % du budget total. Les Ministères de l’éducation nationale (709 Milliards de DA), celui de l’enseignement supérieur (317 Milliards de DA), de la formation professionnelle (48 Milliards de DA), totalisent à eux seuls 1.074 Milliards de DA, soit 21,6 % du budget total. Si on ajoute à cela, les ministères dits sociaux, santé (398 Milliards de DA), travail, emploi et sécurité sociale (153 Milliards de DA), moudjahidine (225 Milliards de DA), solidarité nationale, famille (67 Milliards de DA), ils totalisent 833 Milliards de DA, soit 17% du budget total.

(10) La privatisation non prédatrice, dans les secteurs de l’éducation nationale et de l’université ainsi que dans le secteur de la santé, peut dégager des économies importantes, en lieu et place, d’une séparation très flou entre secteur public (qui doit assurer obligatoirement le service public) et celui privé. Enfin, une révision profonde des listes de moudjahidine et des ayants-droits, doit être entreprise, pour assainir le fichier des vrais et des faux moudjahidine car il est inconcevable que ce budget reste constant alors qu’ils disparaissent physiquement en grand nombre chaque année !

(11) Beaucoup d’entreprises étrangères ont porté les contentieux en justice, à l’étranger et ont eu gain de cause, ce qui a contraint l’Algérie à payer d’énormes amendes.

(12) Le traitement du fond du problème de ces deux subventions déguisées, n’ayant pas eu lieu, il n’est pas impossible que la déstructuration financière de la CNAS (et la CNR) et les dettes des entreprises publiques, vis-à-vis de l’état, ne ressurgissent de nouveaux dans le projet de loi des finances pour 2020 ! 

(13) Les comptes spéciaux du Trésor sont une procédure exceptionnelle de la comptabilité publique, qui prend en charge un évènement politique, économique, social, naturel…imprévisible et qui demande un allègement procédurier afin de répondre très rapidement à cette situation. Malheureusement, les pouvoirs publics ont usé et abusé de cette procédure et ont démultiplié ces comptes spéciaux.

(14) L’opération, de « retour » des capitaux transférés illégalement », lancée, il y a quelques années, avec moult commentaires, n’a l’objet d’aucun bilan exhaustif publié. Par contre, la cellule de régulation des comptes cachés, (le service de régularisation des avoirs à l’étranger STDR) déclare que cette opération a rapporté 9,4 Milliards d’euros en cinq ans, en impôts et amendes, au trésor français, avec 77% des comptes hébergés en Suisse, au Luxembourg 8% et aux USA 2,5%. Ceci, grâce à la police et au renseignement fiscal, au niveau national et avec la procédure d’échange automatique d’information bancaire au niveau international (Figaro du 28 Août 2019). (15) Les analyses provenant des plus grands centres d’expertise, tablent, pour ce qui concerne les fondamentaux, pour l’année prochaine, sur un baril autour de 60 US$ et même moins (en fonction des qualités), sur la base de la récession économique mondiale, de la surproduction, des stocks, de la spéculation, des embargos, des produits de substitution, et des stratégies des grandes firmes pétrolières (notamment ce que l’on nome les « cinq sœurs ».   

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